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19/9/12 Jean-Claude Gruffat
        Les grands enjeux des élections américaines
                                de novembre !

Un des consultants politiques les plus réputés à Washington DC, Charlie Cook, résume ainsi la problématique présidentielle : « Soit Obama sera réélu en dépit de l’économie, grâce à sa campagne, soit Romney l’emportera au finish, en dépit de sa campagne, et principalement du fait de la situation de l’emploi. »

Les commentateurs de presse, pour la plupart avec un biais « libéral », c’est-à-dire plutôt à gauche, donnent à Obama un pourcentage de probabilité de réélection entre 70 et 75%

Ces chiffres nationaux sont toutefois sans grande signification, car l’élection se joue en fait dans quelques Etats dits « swing », Ohio, Floride, Caroline du Nord, Colorado, Iowa, Nevada, New Hampshire, Virginie et Wisconsin (ce dernier grâce à Paul Ryan, originaire de cet Etat).

Dans ces Etats, sauf en Caroline du Nord, Obama aurait depuis la Convention démocrate de Charlotte, NC, un léger avantage non déterminant et réversible de 2 à 4%, selon les cas.

Et cette élection se fait au suffrage universel indirect, comme on l’oublie parfois hors des Etats-Unis. En d’autres termes, tout est encore possible, et les trois débats qui auront lieu en octobre, les 3, 16 et 22, plus celui entre Biden et Ryan le 11octobre, peuvent faire évoluer les intentions de vote ou faire basculer ceux qui sont encore indécis. Le président sortant peut mettre à son actif d’avoir géré dans l’urgence une crise sans précédent depuis la Grande Dépression des années 30. Et puis il a éliminé l’ennemi public numéro 1, Ben Laden, et sauvé General Motors.

Mais son argument principal pour sa réélection est comparatif : il est, malgré son « track record » minimal, plus crédible que son adversaire, présenté comme un indécis qui a soutenu tout et son contraire, de surcroît un ploutocrate étranger aux problèmes des plus défavorisés et des classes moyennes. Selon les « spécialistes », les intentions de vote ne seraient en majorité favorables à Romney que chez les hommes de race blanche, les jeunes, les femmes, notamment diplômées, les minorités noires et hispaniques étant largement acquises à Obama.

La catégorie « homme de race blanche » est en régression constante, en pourcentage, du moins en termes d’électeurs potentiels. Il peut en aller différemment au titre de la participation électorale, les motivations des électeurs du premier président de race noire s’étant émoussées depuis 2008. En revanche la perspective de son élimination est susceptible de galvaniser un électorat qui ne s’était pas mobilisé, après huit ans de présidence Bush, pour un ticket McCain-Palin.

L’argument principal de l’équipe démocrate est d’éviter le retour aux années républicaines, qui sont présentées comme ayant largement contribué à la crise financière par un excès de déréglementation et des baisses d’impôt sans justification économique, au bénéfice exclusif des contribuables très aisés.

Bref, il est trop tôt pour prévoir l’issue du scrutin et l’équilibre futur des pouvoirs entre un congrès divisé et une présidence encore incertaine.

La meilleure analyse des enjeux et probabilités se trouvait dans l’avant-dernière livraison de The Economist, qui posait en couverture cette question : « Réélire le président Obama, pour faire quoi au juste ? » Et le corps de l’éditorial de rappeler que les présidents ayant déçu et pourtant réélus pour un second mandat de 4 ans s’avèrent à l’usage encore plus « lame duck ».

Cette élection, pour un observateur européen et notamment après notre propre campagne présidentielle de 2012, est pourtant fascinante, car effectivement s’affrontent dans un pays où les débats idéologiques étaient réputes dépassés, avec un consensus mou au centre, tantôt gauche tantôt droit, deux conceptions de la place de l’Etat dans les affaires de la cité, du domaine socio-économique aux questions dites sociétales.

Cela résulte au premier chef d’une radicalisation des deux partis dominants, au profit de la gauche, des minorités ethniques et sociétales chez les démocrates (une motion sur la mention de Dieu dans la plateforme a été mise trois fois aux voix par acclamation à la convention de Charlotte, sans majorité claire pour son adoption).

En revanche le parti républicain est désormais sous influence forte d’une conjonction d’évangélistes anti-avortement et mariage homosexuel, de supporteurs du Tea party anti-fiscalité, et de libertaires économiques et sociétaux anti-intervention militaire à l’étranger, pour la légalisation des drogues « douces » et l’abolition ou à tout le moins la mise sous tutelle de la Reserve fédérale.

Plus fondamentalement, la contribution de l’Etat dans le produit intérieur brut est pour les uns susceptible de continuer à croître pour atteindre un pourcentage de 26% (elle se situe autour de 23 %), tandis que pour les autres elle doit impérativement être ramenée à 20%. Ces chiffres doivent être rapprochés des 56% auxquels sont confrontés nos propres dirigeants. Le pourcentage américain a été augmenté par les mesures interventionnistes dites de stimulus, à résultat médiocre et non significatif, aggravées par l’activisme de la Réserve fédérale (qui est investie d’un double mandat de lutte contre l’inflation mais aussi de défense de l’emploi) à l’aide de deux QE (quantitative easing), passés à trois aujourd’hui, et d’autres artifices non convaincants et peut être plus nocifs que bénéfiques.

Comment se ventile cette dépense publique fédérale ?

22% pour la Sécurité sociale, c’est-à-dire les pensions de retraite, 19% pour Medicare (dépenses de santé des plus de 65 ans), 17 M% pour les autres dépenses de santé (essentiellement Medicaid, pour les plus défavorisés), service de la dette fédérale16%, Défense13%, autres 13%. Soit 58% de dépenses dites « mandatory spending » et 42% de dépenses « discrétionnaires ». Et la tendance continue avec une diminution prévue de la proportion prévue du « discrétionnaire » du fait de l’augmentation des dépenses de retraite et de santé.

L’explication de cette dérive des dépenses de santé réside dans la démographie – allongement de la durée de vie – et hausse mécanique du coût par bénéficiaire, entraînant une progression de ces débours plus rapide que la croissance anticipée du PIB. Sans réforme majeure, les dépenses fédérales de santé passeraient d’ici à 2040 de 5% à 10% du PIB.

Une progression jugée insoutenable par tous. Les républicains refusent toute hausse des prélèvements fiscaux et ont signé des engagements en ce sens, les démocrates rejettent toute remise en cause de ce que l’on appelle ici les « entitlements », principalement pensions de retraite et dépenses de santé. Le système est bloqué et il n’est pas évident que l’élection dégage une majorité suffisante au Congrès pour des choix clairs et tranchés.

Dans ces conditions se manifestent désormais avec plus ou moins de force ou de crédibilité des initiatives non partisanes de rupture des blocages pour une réforme en profondeur des déséquilibres au niveau fédéral, des Etats et des systèmes de protection.
Financée au départ par Pete Peterson, ancien ministre républicain du Commerce, devenu banquier d’affaires, créateur du Fond de Private Equity Blackstone, une fondation a contribué au lancement d’une initiative dite « Come back America », sous la direction de David Walker, ancien contrôleur général et responsable pendant 10 ans du General Accountibility Office .

Un véritable expert de ces questions de finances publiques. Une campagne de sensibilisation des élites, des médias, un projet de film documentaire de vulgarisation par HBO, ont pour vocation de promouvoir quelques principes simples mais de bon sens :

- des mesures qui soutiennent la croissance.
- un agenda socialement équitable.
- des dispositifs culturellement acceptables.
- un objectif réaliste non pas de réduction drastique des déficits mais plutôt de stabilisation de la dette a un pourcentage du PIB inférieur au niveau atteint.
- des réformes politiquement envisageables, et notamment un soutien suffisamment bipartisan, avec une participation de l’opposition au moins à hauteur de 15% des voix.

Est-ce crédible ? Des pays tels que la Nouvelle Zélande, l’Australie, mais aussi la Suède et surtout le Canada y sont parvenus. Pourquoi pas les Etats-Unis ?

Une commission bipartisane dite Simpson-Bowles avait élaboré un plan ambitieux de réduction des déficits sur une période de dix ans. Hélas ses conclusions prévoyaient des coupes dans les programmes sociaux, repoussées par les démocrates, et quelques hausses d’impôts, que les républicains n’acceptaient que cumulées avec la remise en cause d’Obamacare…

Bref l’impasse.

Le projet présidentiel Romney-Ryan prévoit certes des baisses de taux d’imposition qui seraient compensées en termes de revenus par des éliminations radicales de la plupart des niches fiscales.

Mais les critiques soutiennent que le refus de l’équipe Romney de détailler ces mesures les rend peu crédibles, alors que la campagne Obama se fait sur l’air connu de faire payer les riches dans un Etat où près de 50% des citoyens échappent à l’impôt direct, et que la taxation indirecte se fait uniquement au niveau des Etats fédérés, avec des exceptions, en toute hypothèse à un taux maximum de 8,5% très inférieur à ce qui est pratiqué au titre de la TVA en Europe.

Des échéances proches pousseront peut être le président et le Congrès, dans la période du 7 novembre au 31 décembre 2012, à conclure un accord bipartisan de résorption des déficits dans le futur, sinon les réductions d’impôts dites Bush expireront au 31décembre et dès le 1er janvier des coupes importantes, y compris dans les budgets de défense et les dépenses de santé, seront automatiquement mises en œuvre avec un effet négatif majeur sur la croissance.

Tout cela dépendra largement du résultat des élections du 6 novembre, d’où leur importance historique.

Jean-Claude Gruffat



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