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5/12/12 Richard Hanlet
               Malades, préparez-vous à l’enfer !

La médecine libérale fait actuellement l'objet d'un pilonnage médiatique intensif, destiné à préparer l'opinion à des mesures extrêmes contre "les difficultés d'accès aux soins". Alors qu'il n'y a jamais eu en France autant de médecins, il est vrai que certaines zones rurales se dépeuplent. C'est que les gros contingents de la génération du baby boom partent à la retraite. Pourquoi n'ont-ils pas de successeurs ? D'abord parce que les deux tiers des étudiants en médecine sont aujourd'hui des femmes. Pourquoi iraient-elles s'installer (avec leurs jeunes enfants) là où l'école, la poste, la gendarmerie ou l'épicerie ont déjà fermé ? Et quels emplois leurs maris, généralement diplômés, trouveraient-il dans ces campagnes ? Mais les centres-villes aussi se dépeuplent de médecins, car les loyers y deviennent inabordables.

L'autre grief couramment invoqué contre les médecins est que de nombreux Français (on parle de 70 % !) n'auraient plus les moyens de "se soigner". A cause des dépassements d'honoraires ? En fait dès qu'on analyse les sondages de plus près, c'est la quasi-absence de remboursement des lunettes, lentilles, prothèses dentaires et auditives qui provoque ce mécontentement compréhensible. Car plus des trois-quarts des généralistes sont strictement conventionnés (ce sont d'ailleurs les derniers professionnels indépendants à ne pas être libres de leurs tarifs.) On peut donc encore se soigner en France.

En réalité, sur les 120.000 libéraux en exercice, la campagne de stigmatisation des dépassements « abusifs » orchestrée depuis quelques mois s'appuie sur un petit millier de médecins, en grande partie hospitaliers avec "secteur privé" (comme le frère de l'actuelle ministre de la Santé). Mais la plupart des spécialistes du secteur à honoraires libres (dits secteur 2) - dont il ne faut pas oublier qu'ils ne bénéficient de cette liberté qu'en échange de cotisations sociales majorées -, se font honorer, selon la formule consacrée, "avec tact et mesure" et, pour une part de leur clientèle, au tarif conventionnel. Or ce dernier n'a en rien suivi le coût de la vie. Une consultation qui valait 22 € en 1995, en vaut 23 en 2012 !

Et pis pour la chirurgie, dont les tarifs n'ont pratiquement pas bougé depuis un quart de siècle. Il faut savoir que s'il ne veut pas être condamné en justice, le médecin ou le chirurgien doit soigner "conformément aux données actuelles de la science", donc en pratique être équipé d'un matériel de plus en plus coûteux. Mais la Sécurité sociale ne veut connaître que le résultat de l'intervention : que l'on vous enlève la vésicule par une cicatrice de 15 cm, ou sous endoscopie par trois minuscules incisions, pour la Sécu, c'est le même prix !

Cette chirurgie endoscopique, qui raccourcit l'hospitalisation ainsi que ses suites et diminue les douleurs, mais au prix d'une intervention plus longue et d'un matériel plus cher, est née en France grâce à des chirurgiens libéraux. C'eût été impossible s'ils avaient dû respecter les tarifs officiels. Et il en est de même pour tous les perfectionnements techniques chirurgicaux. Or on ne peut pas vouloir la médecine du troisième millénaire aux tarifs du XXe siècle. Et n'oublions pas que sur ses honoraires, le chirurgien reverse un pourcentage à la clinique et paye son aide opératoire.

Tout cela explique peut-être qu'il n'y a plus désormais que 9 % des étudiants qui embrassent la carrière libérale après leurs études, et à un âge moyen proche de la quarantaine, autant dire avec la certitude de ne jamais toucher un sou de retraite…

Mais c'est aussi la génération élevée sous Mitterrand, celle du ministère du Temps libre et des 35 heures : en majorité, elle veut la "qualité de la vie" et le rassurant cocon du salariat hospitalier, avec ses repos compensateurs de garde, ses congés de maternité, voire ses arrêts... maladie ! D'autant que quelques remplacements dans "l'autre monde" ont fait entrevoir les tracasseries administratives, le harcèlement bureaucratique et les 55 heures nécessaires pour jouir d'un revenu décent avec une consultation à 23 €. Quand on a passé dix ans dans un monde salarié où l’on "pose ses jours de RTT", le choc est rude !

Jadis on entrait le plus souvent en médecine sans trop se soucier d'une rentabilité qu'on savait en tout état de cause satisfaisante. Les jeunes font aujourd'hui un choix rationnel : ils mettent en balance la difficulté et la longueur des études médicales avec le bénéfice escompté et le temps de travail. Et beaucoup concluent que le jeu n'en vaut plus la chandelle… C'est pourquoi toutes les mesures de coercition sur les lieux d'installation, d'encadrement des honoraires et autres carcans n'auront qu'un effet : décourager encore plus les jeunes, sinon de faire médecine, du moins de s'installer en libéral.

Et c'est sans doute le vrai but des politiques pour les médecins spécialistes. Toutes tendances confondues depuis des décennies, le projet des énarques pour l'avenir de la médecine est limpide. A la base, pour assurer la "bobologie", un réseau de généralistes soumis à la Sécu, télécommandés électroniquement, et déléguant certaines tâches techniques aux paramédicaux (c'est moins cher...). Pour les pathologies plus sérieuses, orientation vers l’hôpital ou à la rigueur, vers des spécialistes de grosses cliniques tenues en laisse courte par la Sécu et les Agences régionales de Santé. Entre les deux, à la place traditionnelle des spécialistes libéraux de ville, plus rien ! Trop libres, trop indépendants, trop incontrôlables financièrement…

L'afflux de malades dans les hôpitaux y justifiera ensuite des embauches financées par l'impôt, sans que très probablement vos cotisations sociales diminuent. C'est le classique système britannique, si confortable pour ses gestionnaires, qui peuvent fixer à la livre près ce que coûtera la santé l'année prochaine. Et c'est aussi la vraie médecine à deux vitesses : abattage médiocre pour les plus modestes jusqu'à 17h00 ; ensuite consultations personnalisées à prix libres pour ceux qui peuvent se l'offrir. Pas trop désagréable pour les médecins, paraît-il, mais un vrai purgatoire pour les malades. En attendant l’enfer !

Dr Richard Hanlet
 


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