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31/3/12 | Mark Helprin |
Obama veut copier le modèle européen … au moment même où celui-ci s’effondre ! Tant dans sa campagne de réélection que dans le cœur de sa présidence, Barack Obama demande à l'Amérique de renoncer à la libre entreprise - parce que, dans son optique, le marché libre "ne fonctionne pas" - et d’adopter le modèle européen avec plus de rigueur, plus de régulation et plus de gouvernance. C'est ce qu'il fait, au moment même où le modèle européen s’effondre. Avec la certitude dans ses convictions qui est sa marque, il propose en effet que nous le suivions au bord des chutes de Niagara auxquelles il tourne le dos. L'écrivain Henry James a averti : "C'est un destin complexe, d'être un Américain avec les responsabilités qui en découlent, et d’avoir une évaluation superstitieuse de l'Europe." L’approbation charnelle de tout ce qui a trait à l’Europe, une attitude invétérée dans la coterie universitaire du président, a longtemps été la caractéristique des snobs américains. (1) Comme l’université d’Harvard a autrefois envoyé des missionnaires pour améliorer la condition des sauvages, il envoie maintenant des étudiants à l'étranger afin qu'ils puissent nous améliorer à leur retour. Avoir tort sur les deux chefs d'accusation requiert une cécité congénitale aux faits. Ce qui suggère que, malgré nos manquements graves, l’Europe n'est guère digne d'être imitée. En tant que musée de la culture, l’Europe a peu de concurrents. Les Européens font de meilleurs films que nous, leur cuisine est meilleure (sauf en Europe de l'Est, en Europe centrale, en Scandinavie, en Angleterre, en Irlande, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suisse), et ils résistent mieux à l'architecture moderne à laquelle nous devrions tous nous soumettre. Mais dans leur volonté de diriger et de réglementer l’économie, ils courent au désastre. Tout comme sont imprudents leurs efforts à vouloir pallier la stagnation économique par l'intermédiaire d’un État providence trop gourmand. Allons-nous créer plus d'emplois en singeant l'Europe, qui depuis 1990 enregistre un taux médian de chômage de 9 % tandis que le nôtre est de 6 %? Le chômage structurel en Europe est censé être tolérable dans le contexte d’une moindre inégalité des revenus et d’une plus grande amnésie sociale, mais quoique l'égalité représente l'idéal socialiste, le but ultime n’est-il pas de pourvoir autant que possible à la richesse de la population plutôt que d'anéantir le potentiel que secrète l'ambition individuelle ? Les revenus sont parfaitement égaux dans le goulag, alors qu’ils ne le sont pas à Boston et à Singapour. Plus précisément, les systèmes géants de protection sociale ne peuvent qu’étouffer les économies dont ils sont censés pallier les défaillances. Les différences au sein de l’Europe illustrent les moyens qui sont mis en œuvre pour sortir de la crise alors que les progressistes américains ne pensent qu’à sauter dans le trou que les Européens essaient de quitter. La France a en proportion de sa population active 44% de plus de fonctionnaires que l'Allemagne, et elle consacre 57 % de son produit intérieur brut aux dépenses publiques alors que l'Allemagne se contente de 47 %. Les Français, pour ne pas mentionner les Grecs, se demandent par quelle magie l'Allemagne parvient à rester solvable. Il est remarquable que, comme les dirigeants des Etats européens en faillite, le président Obama croie que la clé de la prospérité est de réglementer et de diriger l'économie, d’augmenter les impôts, d’augmenter les pouvoirs du gouvernement, de se substituer à la famille, de dépenser de l'argent qui n'existe pas, et, pour paraphraser Macbeth, d'emprunter, d’emprunter, et d'emprunter toujours. Dans la soi-disant « Europe des lumières », la polarisation politique trouve encore son expression dans le fascisme et le communisme, comme cela a été illustré lors des élections françaises de 2002, lorsque, avant la crise économique, les partis de l'extrême droite et de l’extrême gauche ont raflé près d'un vote sur cinq. Faut-il s'inspirer de la France ou de la dévolution du Royaume-Uni, de l'Espagne ou de la Belgique ? Des guerres en Irlande du Nord et dans les Balkans ? Des banlieues incendiées en France ou en Grèce ? Faute de l'équilibre qui existe dans notre système fédéral, l'Union européenne l'emportera brutalement sur les préférences nationales, et si l'Europe devient un jour un toit unique, ce sera une concoction technocratique si dirigiste et si cassante qu’elle se désintégrera aussi sûrement que n'importe quel empire. Allons-nous imiter cela ? Si nos élites pensent que les faibles taux de natalité, la remise en cause de la famille en Europe et le nihilisme sont une bonne chose en soi, ils doivent lire de Thomas Mann "Le désordre et la douleur précoce", et contempler la République de Weimar. Ayant abandonné les principes de notre constitution, les universités américaines ont décidé d’avoir une représentation par race et par sexe, et d'embrasser les codes de parole mis en place en Europe, où, par exemple, le négationnisme est un crime. (2) Bien qu'il soit un crime contre la vérité, il ne devrait pas être un crime devant la loi, qui peut aussi facilement interdire la prédication de l'Holocauste que son déni. Cela doit-il être notre modèle ? Même avec l'indispensable aide américaine, il a fallu sept mois à l’Europe pour renverser un fou libyen à la tête d'un petit Etat corrompu avec une armée inexpérimentée et équipée d'armes obsolètes. La Grande-Bretagne n’a plus de porte-avions, et elle a seulement 25 navires de guerre de surface (la moitié de ceux de la Corée du Sud), et moins de 200 chars et avions de combat qui lui permettent à peine d’assurer la défense de son territoire. En dehors de la Russie, l'Allemagne a la plus puissante armée terrestre en Europe, mais seulement un sixième des chars et de l'artillerie de l'Iran. Aucune force de l'air européenne, sauf celle de la Russie, n’est supérieure à celle de l'Arabie saoudite. Un tel affaiblissement, presque inimaginable en un laps de temps si court, ne devrait pas être notre aspiration, mais elle l’est pour nos progressistes. Le désarmement de l'Europe rend pratiquement impossible sa contribution à la stabilité dans le reste du monde - autrefois, la puissance de la Grande-Bretagne lui permettait d’assurer seule l’ordre au Moyen-Orient, ou même de prévenir une guerre sur son propre sol - comme ce fut le cas dans les Balkans dans les années 1990. L'Europe est aujourd'hui plus vulnérable que durant la guerre froide, sa vulnérabilité ne fera qu'augmenter et stimuler les appétits de la Russie qui veut avant tout se redresser. (3) Si cela vous semble tiré par les cheveux, dites-vous qu’on réagissait comme cela dans l’entre deux-guerres lorsque la Wehrmacht, l'Armée rouge, et les forces de l'Empire du Japon se préparaient sérieusement à la guerre. En abdiquant son rôle militaire, indispensable pour assurer un équilibre stable, ce n'est pas la première fois que l’Europe se trouve entraînée dans une décadence insouciante qui s’est terminée dans la tragédie et le sang, et le pire c’est que nous lui emboîtons le pas. En bref, le président et ses amis progressistes courent après des mythes. Parce que le président rejette les principes qui ont présidé à la fondation des Etats-Unis, et qu’il n’a pas d’autre alternative que le modèle européen, il n’a rien dans son carquois qui lui permette d’envisager sans crainte l’avenir, à part l’emploi incessant de la litote. Car s'il n'est plus capable que de multiplier sans cesse les actions de l’Etat, d'étouffer la fortune et le hasard sous un oreiller toujours plus lourd de réglementations, de vouloir régler tout dans le moindre détail, de boucher chaque trou de la chaussée avec du sable, de réconforter tous les cris de désespoir, de repasser chaque chemise et de protéger toutes les grenouilles, que deviendra l'Amérique ? Nous serons encore plus bas que l'Europe, et comme tout le monde peut le constater, en Europe ils font tout cela très bien. Mark Helprin Notes du traducteur :
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