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L'heureux suicide des politiciens français |
18/9/04 | Claude Reichman |
Le référendum de 2005 sur la Constitution européenne sera le dixième
de la Ve République. Cinq de ces dix consultations ont été le fait du général de
Gaulle. Elles étaient destinées soit à asseoir son pouvoir, soit à résoudre tant bien
que mal (et plutôt mal que bien) le problème de l'Algérie. De Gaulle parti, il n'y eut
que quatre référendums. Trois d'entre eux n'eurent aucun enjeu de pouvoir : celui de
1972 sur l'élargissement de la Communauté économique européenne à la Grande-Bretagne,
l'Irlande, le Danemark et la Norvège, celui de 1988 sur la statut de la
Nouvelle-Calédonie et celui de 2000 sur l'instauration du quinquennat. Seul le
référendum de 1992 sur l'approbation du traité de Maastricht eut un véritable enjeu.
On se souvient qu'il n' y eut que 51,05 % de oui et que l'abstention (30,31 %) y fut
faible. Il y a donc eu deux périodes très différente dans l'histoire de la Ve
République : la première a connu cinq référendums en onze ans. La seconde n'en a eu
que quatre en trente-cinq ans, dont un seul pouvait se comparer aux précédents (et
encore, puisque le président de la République de l'époque, François Mitterrand,
n'avait pas lié son sort au résultat du référendum). On a pu dire que la Ve
République est une monarchie tempérée par le référendum. La simple observation des
faits conduit à penser que depuis trente-cinq ans, elle est une monarchie que rien ne
tempère plus. C'est la raison pour laquelle le référendum de l'an prochain revêt une
importance exceptionnelle. Certes, rien ne dit que M. Chirac liera la poursuite de son
mandat au succès du oui (on peut même être certain du contraire), mais c'est l'ensemble
de la classe politique au pouvoir depuis trente-cinq ans qui jouera son sort. Si le non
l'emporte, elle sera désavouée et n'aura plus qu'à faire ses bagages, quelque mauvaise
volonté qu'elle y mette et même si le parti socialiste fait campagne contre le oui. Le sort du régime se joue au référendum Ils le feront d'autant plus volontiers qu'aucune tentative de dramatisation de l'enjeu n'a chance de prospérer. L'Union européenne ne volera pas en éclats si le non l'emporte. Elle cessera simplement sa course folle vers un élargissement sans bornes et devra se remettre en question au plan démocratique, ce qui sera une excellente chose. Et si Chirac mettait sa démission dans la balance, cela augmenterait encore les chances du non. On peut donc se demander quelle raison impérieuse a bien pu pousser le président de la République à décider un référendum, alors que la voie parlementaire lui garantissait l'adoption sans risque de la Constitution européenne. Nous avons analysé, aussitôt après l'annonce, le 14 juillet, du référendum, les raisons politiques qui ont conduit M. Chirac à faire un tel choix et les deux mois qui se sont écoulés depuis n'ont en rien modifié notre jugement. Notons au passage la faillite des analystes politiques qui pendant toute cette période ont continué à nous seriner, faisant écho aux politiciens du système, qu'il n'y aurait pas d'élection pendant trois ans, comme si un référendum sur l'Europe n'était pas une consultation politique. De même ils jugent aujourd'hui M. Fabius avec sévérité, comme s'il était le seul à être mu par des motivations politiciennes. C'est par de tels comportements que se révèle de façon éclatante l'étroite connivence des médias et du système politique actuel. Pour la presse, qu'elle soit écrite ou audiovisuelle, tout ce qui risque de mettre en péril le régime d'affermage de la France à la petite coterie qui la gouverne est à condamner absolument. Or le non de Fabius est de nature à produire un tel effet, dans la mesure où il risque d'entraîner le parti socialiste derrière lui. Le choix du référendum, nous l'avons dit aussitôt, est un constat d'impuissance de Chirac. La France court à la catastrophe, et il se sait incapable de l'empêcher. Il lui faut à tout prix se défaire du pouvoir afin de conserver quelque chance de n'être pas emporté par le cyclone qui pointe au proche horizon. Mais ce que Chirac n'avait pas prévu, c'est que le parti socialiste, à qui il s'apprêtait à confier le gouvernement pour deux ans afin de l'y user avant l'élection présidentielle de 2007, exploserait aussi. Du coup, c'est l'ensemble de la classe politicienne au pouvoir depuis trente-cinq ans qui a mis sa tête sur le billot et le sort du régime qui se joue à ce référendum. En vérité, le comportement des socialistes n'est pas plus étonnant que celui de la fausse droite. Les uns et les autres se savent illégitimes aux yeux du peuple. Et sans oser le dire ni même se l'avouer, ils éprouvent l'impérieux désir d'en finir. C'est ainsi que meurent tous les régimes coupés du peuple. A un moment ou à un autre, lorsque s'accumulent les difficultés insurmontables, surgit la nécessité de tenter quelque chose. Ce fut le cas en Union soviétique avec Gorbatchev. Ce fut aussi le cas sous Louis XVI avec Necker qui, pour justifier sa gestion, révéla au pays le montant des pensions versées aux courtisans. Toute tentative d'amendement d'un régime incapable de résoudre les problèmes du pays ne peut conduire qu'à accélérer sa chute. En choisissant de donner la parole au peuple, alors qu'on avait bien pris soin, depuis trente-cinq ans, de la lui confisquer, et en se divisant au lieu d'essayer de sauver le système, les politiciens français se livrent à un suicide collectif. Grâces leur en soient rendues ! Claude Reichman
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