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22/4/09 | Ph Even, B. Debré |
Hôpital : Sarkozy et Bachelot donnent tout pouvoir à l’administration En moins de vingt ans, on aura superposé unités fonctionnelles, pôles d'activité, services, départements et fédérations, et bientôt on y ajoutera les centres de responsabilité, dans un va et vient pendulaire qui donne le tournis. Mais, jusqu'à aujourd'hui du moins, l'administration a gagné l'essentiel. Nommés ou élus, « dirigeant » ceci ou cela, les médecins n'ont plus aucune autorité sur quiconque et les directeurs prennent toutes les décisions, investissements, ouverture et fermeture de lits, choix des priorités d'équipements, répartition des personnels au sein même des services ou départements. C'est ainsi que les malades découvrent tout à coup, une nuit, qu'ils sont seuls. L'infirmière a été déplacée par la direction dans un autre service, où il lui fallait prendre en charge des malades qu'elle ne connaît pas et utiliser des techniques qu'elle ne connaît pas non plus, et cela, sans même informer les chefs de service, pénalement responsables. Là où, dans un service ou un département, médecins, chirurgiens, anesthésistes, panseuses, infirmières, aides soignantes, secrétaires et assistantes sociales formaient, horizontalement, une équipe humaine et cohérente, rassemblée autour des patients, les directeurs contrôlent désormais trois secteurs verticaux et étanches, l'administration, les médecins et les infirmières. Une direction sans compétence médicale Ce n'est plus aujourd'hui le médecin, pénalement responsable des soins, qui organise et répartit l'équipe de soins, en fonction des responsabilités et charges de travail, qu'il a seul compétence pour évaluer. C'est la direction qui s'en charge, bien qu'elle soit sans compétence médicale et qu'elle ne soit jamais sur le terrain, ni le jour, ni encore moins la nuit. Les malades à qui on l'explique ont du mal à le croire. Quand se réveilleront ils ? En même temps que le champ d'action des médecins se rétrécissait, le directeur concentrait de plus en plus de pouvoirs. Les réunions de direction se font sans représentants des médecins, tandis que les directeurs assistent aux réunions des « Commissions médicales d'établissement ». Parlons en, car nous sommes là au coeur des dysfonctionnements des hôpitaux. Structures fantômes Selon la loi de 1991, ces commissions disposent, sur le papier, de responsabilités très étendues, proches de celles d'une direction médicale et tout irait beaucoup mieux si elles fonctionnaient vraiment (art. L.714 16 du code de Santé publique). La CME : Prépare avec le directeur le projet médical de l'établissement et les
mesures d'organisation des activités médicales. A ) Émet un avis : - sur le projet d'établissement, sur les programmes d'investissement
relatifs aux travaux et équipements matériels lourds, B) Est régulièrement tenue informée de l'exécution du budget et descréations et suppressions d'emplois de praticiens hospitaliers. Mais dans la pratique, cette commission n'est qu'un théâtre, un décor, une structure fantôme, privée de toutes les informations dés sur les projets les plus importants, toujours communiquées au dernier moment, quand elles le sont, et ne disposant d'aucun moyen (bureaux, collaborateurs, secrétariat, informatique), sans accès aux documents comptables et aux documents concernant les immeubles, les équipements, y compris informatiques, qui sont décidés sans elle, ni sur l'état des ressources humaines. L’hôpital n’est pas au service des malades mais de l’administration Faute de la volonté d'exiger informations et moyens et d'exercer la plénitude de leurs prérogatives, les CME n'ont joué aucun rôle. Elles sont restées des structures évanescentes, divisées, marginalisées et moins préoccupées de la politique générale de l'hôpital que d'intérêts corporatistes, se perdant dans des conflits de personnes ou de disciplines, avec depuis vingt ans, et au moins à l'AP HP, un bilan unanimement considéré comme négligeable, par ses membres eux mêmes. Pour les autres, il s'agit d'un « machin », d'une structure de toutes les irresponsabilités et toutes les défaites. Un abandon en rase campagne. L'hôpital est construit aujourd'hui à l'envers, non pas au service des patients, mais de facto, par empiètements successifs, à celui de l'administration. Les directions décident quasi seules, l'oeil fixé sur les factures et non sur les malades, des projets, des constructions ou rénovations, des recrutements de personnels et des plans informatiques, de la répartition des personnels, des aménagements, ouvertures ou fermetures des secteurs de soins, des équipements nouveaux, du renouvellement d'équipements, de l'utilisation des médicaments onéreux, des prothèses cardiaques, articulaires ou autres, etc. Les soignants ont le sentiment de vivre en zone occupée Plus rien n'est autorisé ou dispensé, quelle qu'en soit l'utilité
médicale, que par décision du directeur, en fonction d'un budget alloué,
dont il décide seul des affectations : médicaments, consommables,
équipements lourds et légers, dépenses hôtelières, maintenance, travaux,
etc. Les activités médicales doivent être ainsi réduites quantitativement et
qualitativement, en fonction de cette Comble de l'ironie, l'administration pénalise les réductions d'activité auxquelles elle contraint les services et, mieux encore, si les soignants parviennent à grand peine à réaliser quelques économies, ils en sont récompensés par une réduction de budget l'année suivante. Puisqu'ils avaient pu réduire leurs dépenses une année, ils doivent pouvoir continuer à le faire l'année suivante. Mais si, à l'inverse, ils ont dépassé leurs crédits, ils sont sanctionnés par une réduction de budget identique. Économie ou surcoûts, même conséquence : un budget réduit ! Pourquoi, dès, lors, s'évertuer à l'économie ? Dans ce contexte, les soignants, anonymisés, traités comme des pions soumis à des tâches administratives, le plus souvent sans pertinence ni utilité et confinant parfois à une très irritante sottise, affrontés à une succession de mises à l'écart, de vexations et de brimades, ont perdu jusqu'à leur identité et toute influence sur les politiques hospitalières. Ils ont désormais le sentiment de vivre en zone occupée par l'administration et voient avec stupeur se dérouler, au ralenti, sous leurs yeux médusés, le film ébrieux et burlesque de tous les arbitraires. Une administration indifférente à l’attente des hommes Investissements inutiles, opérations de construction, regroupements, fusions ou créations de services, arbitraires, mal préparées et dispendieuses, décidées sans concertation avec les médecins, actées et aussitôt annulées, puis relancées et encore annulées, et étalées sur vingt ans, quand, soudain, ce n'est pas l'inverse qui est soudainement réalisé sous des pressions diverses, le plus souvent politiques. Le temps n'existe pas pour l'administration, toujours respectueuse à l'excès de toutes les contraintes des 10 000 textes et grimoires qui la ligotent, des avis de ses cinq ou six tutelles, des cent commissions, comités et directions qui ont à connaître ses décisions et qui lui donnent tant de bonnes raisons de ne rien faire. Hiératique, impassible, l'administration reste là, tranquille, indifférente à l'attente des hommes, calme, immobile et contemplative. Le temps n'existe pas pour elle. « Travaille t elle d'ailleurs pour des vivants ? » demande Bruno Frappat. Nous passons, elle reste. Elle repose. Éternelle ? Professeur Philippe Even, Professeur Bernard Debré.
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