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15/9/08 Philippe Nemo

Philippe Nemo : « Les salauds ne sont pas ceux que l’on croit ! »

Philosophe, spécialiste d'histoire des idées morales et politiques, Philippe Nemo qui s'est, entre autres, intéressé à la Bible, au problème de l'éducation ou encore au philosophe libéral autrichien E A. Hayek dont il est aujourd'hui le meilleur connaisseur en France, a écrit une « Histoire des idées politiques dans l'Antiquité et au Moyen Âge » (Puf) couronnée par l'Académie des Sciences morales et politiques et actuellement traduite en chinois, ainsi qu'une « Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains » (Puf). Il est aussi le directeur (avec Jean Petitot) d'une « Histoire du libéralisme en Europe ». Son livre « Qu'est ce que l'Occident ? » » a été traduit en dix langues.

Vous dites qu'il n'y a pas en France de consensus sur la notion de « République ». Le mot aurait même des sens diamétralement opposés ! Pouvez nous expliquer d'où est né ce malentendu qui perdurerait donc depuis plus de deux siècles ?

Les uns, quand ils parlent de « République », pensent à Robespierre, à Saint Just, au Comité de Salut public, aux soldats de l'An II ... Le mot, pour eux, évoque donc un État tout-puissant, socialiste, et aussi un État conquérant, nationaliste, cocardier, Pour les autres, la République, c'est simplement la démocratie libérale, les droits de l'homme, les libertés individuelles essentielles. Elle est ce que nous avons de commun avec les autres démocraties occidentales, qu'elles soient formellement des républiques, comme les USA ou la Suisse, ou des monarchies constitutionnelles comme l'Angleterre ou les Pays Bas. Or ceux ci se réfèrent à une autre Révolution française, celle de Mirabeau, de Sieyès, du serment du Jeu de Paume, de l'Assemblée nationale constituante, de l'abolition des privilèges, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'opposition République libérale/République totalitaire remonte donc à la Révolution. Le conflit est ancien, et il n'a, en réalité, jamais été réglé...

Pouvez vous donner quelques exemples des mauvaises lectures de l'Histoire de notre République ou de ses symboles ?

Depuis 1900, l'école publique française est, grosso modo, aux mains de la gauche, qui a une sympathie marquée pour le modèle jacobin. On raconte donc aux enfants et aux étudiants un catéchisme républicain qui favorise indûment la vision jacobine, voire marxiste, de notre histoire politique. Ainsi, on dit que les jacobins ont été les premiers démocrates, alors qu'ils n'ont pratiqué que la violence et n'ont jamais respecté les élections. On dit que la Marseillaise est un chant patriotique, alors que c'est un chant de lutte de classes... On dit que la République a été fondée par les républicains, alors qu'elle l'a été, en 1875 (en alliance, il est vrai, avec les républicains modérés et non jacobins qu'étaient Ferry et Grévy) par les monarchistes constitutionnels conscients qu'ils ne pouvaient se départager entre les trois dynasties concurrentes. On dit que la République de gauche est laïque, alors qu'elle est laïciste, c'est à dire adepte d'une véritable religion de substitution, intolérante aux autres. On a fait de l'Affaire Dreyfus un véritable mythe d'origine pour une certaine République de gauche, radicale, socialiste et communiste ; or l'essentiel de la gauche était antidreyfusarde et antisémite jusqu'à l'été 1899... On fait l'impasse totale sur le fait que les principaux acteurs de la Collaboration ont été d'anciens radicaux de gauche, d'anciens socialistes, d'anciens communistes, tous excellents « républicains », certes...

Quelles sont les conséquences contemporaines de cette confusion historique que vous jugez désastreuse pour notre pays, et qui expliquerait pourquoi la République française est malade aujourd'hui ?

Ce qui est désastreux pour le consensus national, c'est que la République française n'est pas fondée sur une base morale claire, comme le sont les États Unis, ou même l'Allemagne moderne (qui s'est bâtie sur le rejet explicite et absolu du nazisme). Elle ne pourra l'être tant qu'on présentera encore les acteurs du jacobinisme, ou ceux de révolutions sanglantes comme la Commune, comme les seuls vrais héros nationaux (et qu'on donnera leurs noms à nos avenues, à nos places : Robespierre, Auguste Blanqui...), alors qu'il est difficile de les distinguer des Hitler, des Lénine ou des Mussolini, pères des totalitarismes modernes. Et tant qu'on présentera inversement comme des affreux des hommes comme Guizot, Cavaignac, Thiers, Tardieu, à qui nous devons de n'être pas tombés dans lesdits totalitarismes. Ou tant qu'on fera un silence radio total sur des penseurs ou des hommes politiques qui ont le malheur d'être politiquement incorrects, alors qu'ils sont les pères de nos libertés, tel Anatole Leroy Beaulieu, bien oublié aujourd'hui à Sciences-Po dont il fut pourtant directeur... L'histoire de la République française, ainsi, est pleine de « cadavres dans le placard ». Tant qu'il ne leur sera pas rendu justice, tant qu'on dira, sans la moindre raison valable, qu'ils ont été des « salauds » (pour parler comme Sartre), des « ennemis du peuple », des « réactionnaires », une partie de la population française pensera sourdement que l'autre partie la nie, la menace, rêve de sa disparition et de sa mort. Elle n'adhérera donc au régime que du bout des lèvres... Ainsi, ce que j'ai voulu faire par mon livre, c'est une « psychanalyse de la France », comme dit Thierry Wolton, c'est à dire que j'ai voulu revenir aux traumatismes de la petite enfance du pays et tenter de les régler en toute clarté.

Votre livre est polémique : ne craignez-vous qu’à tuer les symboles de la République, on tue la République elle-même ?

Mais non ! Dissiper les mythes, les légendes qui pèsent sur l'histoire de la République, c'est, par définition, gagner en rationalité. Faire en sorte que la République cesse de valoriser de façon absurde ses dimensions criminelles, c'est, par définition aussi, la rendre plus aimable, plus digne de confiance et d'adhésion. Au total, il me semble que ce toilettage est un progrès ! Ce qui reste après lui, c'est la vraie République, celle que je désigne par le signe « 1789 », c'est-à-dire l'État de droit démocratique et libéral. Ce qui est tué, c'est seulement « 1793 », ce modèle de République fondé sur la violence et l'intolérance, dont les seules vitrines qui demeurent aujourd'hui, après la chute de l'URSS, sont Cuba et la Corée du Nord.

Alors, la République comme projet de société, est ce possible ? Et à quelles conditions ?

La République doit être en effet un « projet de société , mais pas au sens directif qu'on a voulu donner à cette expression dans les dernières années, par exemple le projet du PS de « changer la vie », qui supposait une emprise plus ou moins totalitaire de l'État sur les vies et les propriétés individuelles. La République, telle que je l'entends, et telle qu'elle fut voulue par les plus civilisés des Français depuis 1789, est plutôt le projet d'établir un cadre de libertés, de droit, de sécurité, qui permette à chacun de mener sa vie comme il l'entend. Le seul « projet de société » qui vaille est d'établir et de défendre ce cadre, que nous avons en commun avec les autres grands pays démocratiques d'Europe et d'Amérique, et même avec le Japon, mais qui est menacé, aujourd'hui, par d'autres influences. Mais, volontairement, je n'ai pas abordé cette dimension géopolitique dans ce livre comme je l'avais fait dans « Qu'est ce que l'Occident ? » Il faut sérier les questions... « Les deux Républiques françaises » est un examen de conscience franco-français, fait par un Français pour les Français – lesquels doivent balayer devant leur porte et examiner lucidement leurs propres fautes et erreurs avant de songer à donner des leçons de démocratie au monde.

 

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