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1/4/13 | Vaclav Klaus |
Avertissement à l'Europe
! Le jeudi 7 mars 2013, j'ai terminé mon second mandat comme président de la République Tchèque. Le nouveau président est entré en fonction le vendredi. Il fut de tout temps mon principal adversaire et rival politique, appartenant à l'autre côté de l'échiquier politique et idéologique. Pour moi c'est la fin de plus de 23 ans de carrière politique en Tchécoslovaquie, puis en République Tchèque, une carrière politique qui aura duré de la chute du communisme et de la révolution de velours jusqu'à la semaine dernière. Je démarre donc aujourd'hui, avec vous, une nouvelle vie. On m'a demandé de vous dire quelques mots à propos de l'Europe. Je le ferai en me plaçant dans une perspective plus large. Il y a un peu plus d'un an, j'ai publié un livre intitulé : « L'intégration européenne sans illusions ». Il a été traduit et publié en anglais, allemand, italien, espagnol, bulgare et danois. L'éditeur anglais a préféré lui donner pour titre : « Europe : la fin des illusions ». Les Allemands : « L'Europe a besoin de liberté ». Ce livre reflète ma profonde frustration devant l’évolution européenne. Il analyse le développement des institutions européennes depuis la seconde guerre mondiale jusqu'au déclenchement de la crise de la zone euro, les très discutables réponses qui y ont été apportées, ainsi que leur coût faramineux. Il dénonce le caractère naïf et illusoire des avantages économiques généralement considérés comme le principal argument en faveur du double processus d'intégration et de centralisation européenne. Il évoque enfin les conséquences antidémocratiques de l'actuel processus d'unification européenne. Tout nous prouve que l'avenir économique ne sera pas rose pour tous ceux d'entre nous qui vivons en Europe avec nos familles, nos enfants, nos petits-enfants et qui sommes donc directement concernés par son avenir, pas seulement par intérêt universitaire. La République Tchèque fait partie de l'Europe, est membre de l'Union européenne, et n'est pas membre de la zone euro. A dessein, je fais bien la différence entre ces trois entités institutionnelles. Elles ne se confondent pas. Près de 85 % des exportations tchèques se font avec l'Europe, région qui connaît actuellement une période de stagnation économique prolongée et est victime d'une sévère crise de dette souveraine. Même avec notre couronne tchèque, qui flotte librement, nous dépendons très étroitement de la situation économique qui prévaut dans le reste de l'Europe. Il ne peut y avoir de saine et durable croissance en République Tchèque – exemple type d'une petite économie ouverte – si ce n'est également le cas chez nos principaux partenaires commerciaux. Ce qui, actuellement, malheureusement est loin d'être le cas. L'actuelle situation économique européenne ne résulte pas d'un accident. Elle est la conséquence de choix délibérés et progressifs qui ont gravement porté atteinte à l'efficacité de son système économique et social, et ont en même temps entraîné l'Union européenne dans la voie d'arrangements institutionnels de plus en plus centralisés, bureaucratiques et intrusifs. Ce double phénomène représente un obstacle fondamental à toute évolution positive, un obstacle qui ne saurait être levé par de simples corrections à la marge, ni même par une politique économique de court terme plus rationnelle et mieux pensée. Le problème est beaucoup plus profond. Je le répète, c’est le système économique et social de l’Europe lui-même qui représente l’essentiel du problème. Il est plus qu'évident qu'on ne peut guère attendre de croissance d'une économie sur-régulée, qui plus est contrainte par une multitude de réglementations sociales et environnementales de plus en plus lourdes, et opérant enfin dans une environnement surdéveloppé d'Etat providence à prétentions paternalistes. Le fardeau est trop lourd, et les incitations productives y sont trop faibles. Si l'Europe veut renouer avec la croissance et le développement économique, il lui faut entreprendre une transformation fondamentale, amorcer un changement systémique radical à l’échelle de ce que nous avons été contraints d’accepter il y a maintenant plus de vingt ans dans notre partie de l’espace européen. Ce qui est également en jeu est le modèle d'intégration choisi par l'Union européenne. L'autre grand obstacle est le caractère excessif et antinaturel du quadruple processus de centralisation, d'harmonisation, de standardisation et d'unification du continent européen fondé sur le concept d'une « union toujours plus étroite ». Il s'agit de problèmes complexes qui doivent être abordés de multiples façons, mais il est évident que cette démarche a atteint son « paroxysme » avec la funeste ambition de réaliser l'unification monétaire de tout le continent. C'est alors que les coûts marginaux du projet d'intégration européenne ont commencé à l'évidence à en dépasser les avantages. L’échec du projet – car c’est un échec et pas autre chose – était inévitable, anticipé, et déjà parfaitement bien analysé par beaucoup d’entre nous. On en connaissait déjà à l'avance les conséquences – notamment pour les économies européennes les plus faibles, déjà tant habituées aux effets délétères d'opérations de dévaluation à répétition. Tout économiste digne de ce nom savait que la Grèce et quelques autres pays du même genre étaient d'avance condamnés à l'échec dès lors qu'ils se retrouvaient emprisonnés dans un tel système. L'histoire est pleine d'exemples de ce genre. N'oublions jamais le précédent de l'Argentine (qui, avec son Currency Board, avait au moins l'avantage de bénéficier d'une forme d'union monétaire plus souple et plus facile à défaire). Les avantages promis comme conséquence de la mise en place d'une monnaie unique ne se sont jamais matérialisés. La double augmentation des échanges commerciaux et financiers qui en était attendue a finalement été relativement faible et a été plus que compensée par l'énormité des coûts de cet arrangement. Par temps favorable (au sens économique du terme), même une zone monétaire non optimale peut arriver à fonctionner, comme l'ont démontré toutes sortes de régimes de changes fixes qui ont réussi à durer un certain temps. Mais quand le temps se gâte – comme ce fut le cas avec la crise économique et financière à la fin de la dernière décennie – se révèlent toute une gamme de divergences, d'incohérences, de faiblesses, d'inefficacités, de contradictions, et de déséquilibres qui font que l'union monétaire cesse de fonctionner correctement. Cela ne devrait pas être une surprise. L’Histoire, mais aussi tous les manuels élémentaires d’économie montrent comment tous les régimes de taux de change fixes (comme le système de Bretton Woods) finissent toujours, un jour ou l’autre, par des réajustements monétaires inévitables. L’espérance – nous devrions mieux dire le désir ou le rêve – de voir une
économie européenne à caractère fortement hétérogène se transformer, grâce à
l’unification monétaire, en un tout homogène ne s’est pas réalisée. Depuis
la création de l’euro, les économies européennes ont divergé, au lieu de
converger. L'élimination, au sein du système, de l'une des variables
économiques les plus importantes – le taux de change - a rendu aveugles tant
les hommes politiques, les économistes, les banquiers, qu'un grand nombre
d'autres agents économiques..
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