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4/9/08 Bernard Martoïa

Nous sommes tous des lâches !

Dans son blog du 18 août 2008, Ivan Rioufol, l’éditorialiste du Figaro, a voulu exhorter les Européens au sursaut sous le titre « Nous sommes tous Géorgiens. » Le même air fut entendu, au lendemain du 11 septembre 2001, avec « Nous sommes tous Américains » de Jean-Marie Colombani, alors directeur du journal Le Monde. Le sursaut s’est-il produit ? Bien sûr que non ! Personne n’a envie de mourir pour les Américains ou les Géorgiens. Ne sont-ils pas en partie responsables de leur malheur ? Les premiers par leur arrogance, les seconds par leur bévue d’une attaque par surprise pendant la trêve olympique. Au risque de m’attirer les foudres de vrais patriotes, il vaudrait mieux dire que «nous sommes tous des lâches ! » Le seul intérêt de cette provocation est d’ouvrir le débat suivant : « Est-ce que le courage peut s’épanouir dans une société matérialiste ? »

Se garder de généraliser

Il y a toujours eu des individus courageux, même aux heures les plus sombres de notre histoire. Combien étaient-ils, les premiers résistants de juin 1940 à ne pas accepter un armistice s’apparentant à une capitulation ? Quelques centaines à l’échelle d’un pays de quarante millions d’habitants. Il ne faut pas non plus jeter la pierre à ceux qui sont restés en métropole. Lorsqu’on a une famille, il est difficile de les abandonner à leur sort pour rejoindre à Londres un général rebelle qui, lui, a eu la chance d’avoir mis la sienne à l’abri. Il faut toujours comparer ce qui est comparable…Il y avait aussi des fonctionnaires courageux qui ont servi sous le gouvernement de Vichy. Il est bon de réapprendre notre histoire occultée par la chape de plomb stalinienne qui s’est abattue depuis 1945 dans notre pays (1) Combien y eut-il de volontaires à s’engager dans l’armée du général Leclerc après la libération de Paris ? Deux mille cinq cents. Cela fait très peu par rapport aux F.F.I (Forces françaises de l’intérieur) qui paradaient dans les villages mais décampaient au premier bruit de chenille d’un panzer.

Le relativisme

Ce ne sont pas les gens courageux qui sont médaillés, mais ceux qui intriguent et connaissent les arcanes de l’administration. Le général de Gaulle voulut mettre un frein à l’inflation de récipiendaires de la Légion d’honneur. Peine perdue. La traditionnelle remise des médailles lors de la fête nationale remplit les colonnes des journaux. « Quelle vedette l’aura cette année ? » C’est la seule question qui intéresse les journalistes. La remise de cette haute distinction à des gens du spectacle est une insulte à nos glorieux aînés qui sont morts sur les champs de bataille. Personne ne s’en offusque. Tout se vaut : la vie d'un soldat, la carrière d'une chanteuse, la lèche d'un fonctionnaire pour avoir la médaille. C'est la conséquence désastreuse du relativisme imposé par nos élites.

Comparaison internationale

L’inflation de récipiendaires ne concerne par l’Amérique. La plus haute distinction militaire (medal of honor) n’est pas encore bradée dans ce pays. Depuis la remise de la première par George Washington, le 7 août 1782, il n’y a eu que 3465 médailles remises à ce jour. Il arrive qu’il n’y en ait pas une décernée dans l’année en temps de paix. Theodore Roosevelt (2) a reçu, à titre posthume, cette médaille pour sa bravoure lors de la bataille de San Juan à Cuba le 1er juillet 1898. Bravant la mitraille, il lança, à cheval, la charge héroïque qui devait conduire à la victoire de son légendaire régiment de volontaires de cavalerie des Rough Riders. Il fut proposé pour la médaille d’honneur par ses supérieurs mais il perdit toute chance de l’obtenir lorsqu’il critiqua l’état-major dans une lettre ouverte à la presse. Se faisant le porte-parole des professionnels de l’armée, il demanda, après la reddition de la forteresse de Santiago, le rapatriement immédiat des soldats américains menacés d’hécatombe en raison des maladies tropicales. Le courage s’exprime parfois par la désobéissance aux ordres.

Le vernis de la civilisation

Alexandre Soljenitsyne, qui s’est éteint le 3 août dernier, était non seulement un grand écrivain, mais aussi un homme très courageux. Son expérience prolongée du goulag lui a permis de méditer sur la véritable nature humaine. Dans son discours, prononcé le 8 juin 1978 à l’université de Harvard, il prit un malin plaisir à prendre à rebrousse-poil son auditoire. « Le centre de votre démocratie et de votre culture est-il privé de courant pendant quelques heures, et voilà que soudainement des foules de citoyens américains se livrent au pillage et au grabuge. C'est que le vernis doit être bien fin, et le système social bien instable et mal en point. »

La récupération de la bravoure par les antimilitaristes

Dans son édition du 21 août 2008, le journal Le Monde évoque l’héroïsme d’un infirmier dans l’embuscade tendue par les talibans. Le caporal Penon est mort en portant secours à ses camarades. En ne voulant retenir de cet accrochage meurtrier que le courage de ce brancardier, Jacques Follorou répond à l’attente des Français abrutis par la pensée unique : « La guerre est évacuée, tout se résume à des opérations humanitaires... » Cette vision réductrice nous prépare à des lendemains munichois. Une dangereuse glissade sémantique depuis que le ministère de la guerre a été remplacé par celui de la défense nationale, en juin 1969, sous le gouvernement de Michel Debré. Mai 1968 était passé par là. Ce n’est pas en radiant la guerre de notre vocabulaire que celle-ci va disparaître.

Le crépuscule de l'Europe

« Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l'Ouest aujourd'hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d'où l'impression que le courage a déserté la société toute entière. » Voilà ce que disait encore Soljenitsyne dans ce discours de Harvard qui, trente ans plus tard, est d’une terrible évidence pour les Européens incapables d’appréhender la réalité d’un monde où l’usage de la force reste dominant. Nos dirigeants "condamnent" l'agresseur et s'empressent d'établir un plan de paix qui ne sera jamais respecté ; c'est malheureusement tout ce qu'ils savent faire...

Le gros bâton

Il faut toujours avoir un gros bâton pour être écouté. Lorsqu'il était un très jeune député de vingt-quatre ans à la chambre basse d'Albany, Théodore Roosevelt (3) craignit d'être agressé physiquement par des collègues démocrates. Il cacha sous la table un morceau de chaise cassée en prévision d'une discussion houleuse. Lorsqu'il évoqua la corruption des syndicalistes de Tammany Hall, ses collègues se firent très menaçants mais il brandit le bâton pour les dissuader de passer à l'acte. La motion qu'il avait préparée fut adoptée par la commission des lois à laquelle il siégeait. "Speak softly and carry a big stick ; you will go far" (parlez doucement avec un gros bâton ; vous irez loin). Teddy n'oublia jamais ce proverbe africain lorsqu'il devint le vingt-sixième président des Etats-Unis.(4)

Bernard Martoïa

(1) « Mémoires d’un diplomate » de Pierre Bressy (1890-1973) Ce livre méconnu mais fort intéressant a été publié en 2006 par Texte et Prétexte.

(2) « Théodore Roosevelt : de Santiago de Cuba à la Maison Blanche » par Bernard Martoïa

(3) "Théodore Roosevelt : l'ascension d'un homme courageux" par Bernard Martoïa

(4) "Théodore Roosevelt : la présidence impériale" par Bernard Martoïa

 

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