La dette nous asphyxie, la dette
pourrait nous tuer
Quelques nouvelles du front, le seul qui vaille, celui qui commande tout
le reste, ou pour dire les choses autrement, quelques nouvelles de cette
bataille de Verdun que nous menons pas, c’est pour cela que nous la
perdrons, et que des esprits faux, qui éditent un hebdomadaire, mais hélas
pas seulement eux, déconseillent de mener au motif, faux et stupide pour
reprendre des adjectifs en vogue, que c’est « libéral », et ceci et cela.
Je veux parler, bien sûr, évidemment, des finances publiques. Encore une
fois, et toujours, et encore. Page 3 des Echos vendredi, un papier
d’apparence technique, donc sans prolongements dans le débat public, un
papier signé par Vincent de Longueville et Etienne Lefebvre, tout simple et
bourré d’informations.La Banque centrale européenne (BCE) a relevé, la
veille, le taux directeur de l’euro de 0,25 %. Conséquence immédiate pour l’Etat:
le placement à court terme d’une partie de la faramineuse dette publique,
100 milliards sur un total d’environ 1300 milliards d’euros, renchérit le
remboursement de 250 millions d’euros.
Ceci pourrait fournir des arguments à ceux qui voient en Jean-Claude
Trichet, le président de la BCE, l’incarnation du Diable marié à la bêtise.
Mais le papier des Echos, subtil parce que factuel, du journalisme en fait,
détruit toute velléité de procès en sorcellerie. En effet, si la BCE a
augmenté les taux, c’est pour tenter de contrecarrer les effets
inflationnistes liés, pour l’essentiel, à la flambée des matières premières.
Or, justement, l’inflation déjà constatée coûte cher à l’Etat.
Il faut savoir, je ne le savais pas, je l’ai appris, qu’une partie des
emprunts contractés par les administrations dans le vaste océan de la dette
publique sont indexés sur l’inflation. Donc, quand celle ci augmente, le
coût du remboursement augmente aussi. D’autre part, les retraites des agents
de l’Etat sont elles aussi indexées sur l’inflation. Au total, assure le
papier des Echos, pour 2009, c’est environ 1 milliard d’euros de dépenses
supplémentaires que l’Etat doit d’ores et déjà prendre en compte du seul
fait du niveau relativement important constaté dans la zone euro. Au total
du total, quand la BCE, comme c’est d’ailleurs sa mission, prétend vouloir
mener une lutte rigoureuse contre l’inflation, elle sert l’intérêt général
de la France endettée jusqu’à l’os et jusqu’au cou et qui souffre sous les
coups de la conjoncture pour cette seule et unique raison que le boulet de
sa dette, le poids de sa dette, le malheur de sa dette, l’empêche
littéralement de faire face aux chocs de l’histoire économique en train de
s’écrire.
On ne dira jamais assez, on ne répétera jamais assez que la dette nous
asphyxie, et que la dette pourrait nous tuer. De tous les chantiers qui sont
devant nous, celui là est prioritaire. Le président de la République pourra
se gargariser jusqu’à la fin des temps d’avoir fait plus de réformes en
France que personne d’autre avant lui, ni Napoléon, ni de Gaulle, ni
Charlemagne, ni Clovis, ni Louis de Funès, ni Jean-François Kahn, ni Paul
Amar, ni Versac, ne peuvent résister à la comparaison. Sarko premier, bravo,
content de lui. Seulement, le chantier qui commande tous les autres, c’est
celui là : la dette, la dette, la dette. La vraie réforme, celle qui est
encore à venir, c’est celle là : construire un discours sur la dette, faire
partager l’urgence et la complexité du problème, proposer des solutions pour
la faire diminuer de telle sorte que le fardeau s’allège.
Deux anecdotes à ce propos. Un déjeuner, voilà dix jours, avec un ancien
ministre, aujourd’hui parlementaire de l’UMP. Pendant une heure, de la
pommade au président, de la pommade au gouvernement, de la pommade, de la
pommade. Au bout d’un moment, comme s’apercevant que j’existe et que je peux
avoir une pensée, il s’avise de me demander ce que je pense, moi, de la
pommade. En deux mots, réponse simple: du flan et du vent. Le vrai boulet,
c’est la dette. On continue de la creuser. Nous sommes fous, collectivement,
les pommadés et les pas pommadés. Et là, stupeur, miracle, étonnement, son
visage change, la bulle de contentement qu’il s’était fabriquée se dégonfle.
Je suis d’accord, me dit-il, nous allons dans le mur, ceci m’angoisse, mais
personne ne veut sérieusement traiter ce problème. D’un coup, nous étions
dans la sincérité. Avant, il était dans le mensonge, où nous nous laissons
tous entraîner. C’est cela qui m’agace. Le problème
numéro un de la société française, ce n’est pas : « Stop à la télé Sarko! ».
C’est : « Stop à la dette Sarko! », puisque c’est lui qui, aujourd’hui, en a
la charge.
Deuxième anecdote. Hier, après le Grand Jury d’Hervé Morin, discussion
informelle avec des députés qui ont accompagné le ministre de la Défense. Au
détour de la discussion, après des doutes émis par moi, moi, moi, ce cri du
coeur de l’un d’entre eux : « Mais c’est évident que le budget ne sera pas à
l’équilibre en 2012. » Pourtant, c’est la thèse, l’a priori du gouvernement,
son engagement sa promesse. Personne n’y croit, et d’abord pas les députés
de la majorité qui pourtant voteront le prochain budget.
A quoi rime, à ce propos, l’engagement de faire passer la TVA dans la
restauration de 19,6 % à 5,5 %. La conséquence assurée, ce sera une perte de
recettes fiscales de 2 à 3 milliards d’euros. Espérer une compensation d’un
surcroît d’activités hôtelières, alors même qu’un ralentissement de
croissance est annoncé est à peu près aussi réaliste qu'espérer l’éclosion
d’une idée au parti socialiste.
Deux remarques pour terminer. Il y a quelques mois encore, Arnaud Montebourg
était un farouche partisan du non cumul des mandats. Depuis le mois de mars,
le député de Saône-et-Loire est devenu, en plus, à côté, président du
conseil général de son département. Demain, en plus et à côté, il sera
candidat à la fonction de président de groupe à l’Assemblée nationale, pour
l’instant détenue par un député qui est maire de l’une des plus grandes
villes de France. Pourquoi le mensonge est-il une permanence de la vie
politique française ?
Les barons de la blogosphère sont vraiment mignons. Ils vous canardent
méchamment dans des papiers prétentieux et ampoulés. Ils assurent que vous
faites mal votre boulot, que vous êtes nul, que vous n’avez de journaliste
que la prétention et que vous êtes une honte ambulante dans le paysage
démocratique français. Vous répondez quelque chose du style : vous ne
risquez pas de mourir de modestie, votre seigneurie, et on vous rétorque que
vous êtes un gros jaloux, que vous ne supportez pas le monde des blogs, que
vous êtes une vieille chaussette usée face au monde moderne d’Internet.
La cuistrerie, c’est comme la dette : on ne va pas en être débarrassé tout
de suite.
Jean-Michel Aphatie
|