La France en 2014, c’est l’URSS en 1985 !
Le propos peut paraître outrancier et l’on entend déjà la clique des
dispensateurs de la pensée unique s’effaroucher de la comparaison. Or cette
phrase est d’une Russe qui a vécu l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev et qui,
travaillant maintenant en France dans un cabinet comptable, sait de quoi
elle parle surtout sur ce qui touche les entreprises.
La problématique est la suivante : ne jamais oublier que Gorbatchev fut un
réformateur certes, mais qui, afin de rendre possible le fonctionnement de
l’économie planifiée autant que faire se peut et donc de garder le pouvoir
sur l’URSS, voulait changer pour que rien ne change !
On connaît la suite, le marché n’améliore pas l’économie dirigée, il la tue.
Ayant ouvert la boîte de Pandore, le secrétaire général du PC d’URSS se
retrouva à la tête d’une fédération qui n’existait plus. Gorbatchev devint
le dirigeant soviétique le plus détesté de l’histoire russe et ne fut
d’ailleurs jamais réélu.
Changer pour que rien ne change !
Hollande et Valls ont eux aussi ouvert la boîte de Pandore de la réforme, ce
qui explique la réaction des frondeurs ,des mélanchonistes pour ce qu’il en
reste, de Martine Aubry, de Montebourg et de quelques autres dinosaures.
Pour ce dernier, en voulant s’initier à la conduite des entreprises et au
marché, c’est le dinosaure qui se fait mammifère ! Ainsi l’échec probable du
CICE et du pacte de responsabilité, aujourd’hui reconnu par la presse,
serait de la faute du patronat, selon Emmanuel Macron. Ce dernier joue, avec
son nouveau plan présenté à la chambre le mercredi 10 décembre, mutatis
mutandis, le rôle que joua Abel Aganbeguian, bien oublié aujourd’hui, comme
jeune et fringuant conseiller économique de Gorbatchev .
Tout au long de son histoire, le socialisme soviétique chercha la réforme
sans la vouloir tout en la voulant (l’utopie cherche le réel pour exister).
Ce fut la NEP dès Lénine, puis la réforme de Khrouchtchev ( les
sovnarkhozes), puis les réformes de Libermann sous la Troïka pour les
entreprises soviétiques, puis, après l’immobilisme brejnévien, la réforme
Gorbatchev.
Il n’y a pas de différence de nature avec les réformes socialistes en
France, seulement une différence de degré. Mitterrand, avec la nomination de
Fabius en 1984, enterra le programme commun et ce fut le ni-ni, ni
nationalisations ni privatisations, surtout ne pas bouger ! Bouger, Jospin
le fit un peu, avec le mouvement des privatisations, mais la cohabitation
avec le radical-socialiste de l’Elysée lui convint parfaitement pour ne rien
changer mais, au final, avouer : « L’Etat ne peut pas tout faire ! ».
Quand un ancien trotskyste découvre la réalité!
De nos jours, en l’absence de croissance, dans un contexte de grande crise
depuis 2008 et de mondialisation intense, les failles structurelles,
congénitales dirions-nous, du modèle économique à la française apparaissent
béantes. Poids excessif de l’état (57% de prélèvements obligatoires), poids
des actifs fonctionnaires (presque un sur quatre contre 14% pour les pays
comparables), réglementations pléthoriques, doublons des tâches, régions,
administrations, observatoires, comités Théodule... Les entrepreneurs
honnêtes, les travailleurs consciencieux, les créateurs de richesses
disparaissent, accentuant encore la crise.
Et si un certain patronat oligarchique et monopolistique (même
syndicalement) n’est pas à l’abri des critiques, la vraie raison de l’échec
du pacte responsabilité c’est justement l’irresponsabilité générale dans
laquelle les hommes de l’Etat ont mis notre société. La société civile se
dérobe, fait mentalement dissidence, la France fait grève sans préavis,
jette l’éponge, réduit ses activités pour échapper à l’impôt (désutilité
marginale du travail !) et l’impôt rentre mal, obligeant à toujours plus de
contrôles, plus de lois. On nous tient alors, en prime, le discours sur les
paradis fiscaux où se refugient quelques riches évadés, ce qui permet de
masquer l’existence de l’enfer fiscal où croupit la majorité de la classe
moyenne française.
Plusieurs milliers de patrons dans la rue !
Ah les ingrats ! On leur « donne » 40 milliard et voilà qu’ils ne sont pas
contents. En effet c’est beaucoup, soit 2 points de PIB, 5% de la masse
salariale et 12% de l’ensemble des impôts, et tout cela pratiquement sans
effets sur l’emploi ! Dans ces conditions la cause ne peut-être qu’ailleurs
! D’abord qui donne ? Les Français, pas l’Etat qui redistribue. Ensuite qui
pouvait penser que la baisse des charges suffirait à elle seule à l’embauche
et qu’il était possible de mettre en équation les deux termes (embauche et
réduction des charges) ? Voilà bien une équation impossible. Il eût mieux
valu s’interroger sur le terme « carnet de commandes » : ce facteur, lui,
est le vrai déterminant de l’embauche. Si j’ai besoin de cinq travailleurs
pour remplir une commande, je n’en embaucherai pas un sixième au motif qu’il
est moins cher !
Il faut bien reconnaître que ceux qui descendent dans la rue s’élèvent
contre une politique qui ne date pas de 2012 mais de trente ans d’une action
gouvernementale qui a littéralement bridé l’économie française et la société
(selon un sondage 59% des Français comprennent le mouvement de protestation
patronale). Le paradoxe est que ce sont les entreprises qui créent le plus
d’emplois en France qui sont le plus exposées à l’obésité de l’Etat, tandis
que les patrons des grands groupes du CAC 40 voguent au large et déjeunent
avec les ministres.
Le soutien populaire aux patrons sera qualifié de populiste par les aveugles
et les sourds qui font le bruit médiatique. Pour que le peuple, dans ses
actions, mérite le qualitatif de populaire, il faut qu’il soit contre les
patrons, avec c’est populiste ! La lutte des classes en est le discriminant.
La France comme l’URSS croule sous les normes, les règlements, l’insécurité
juridique par le vote compulsif de nouvelles lois. Qui peut se vanter
aujourd’hui de connaître le code du travail, le code des impôts ?
L’épaississement bureaucratique, voilà la vraie raison de l’échec du pacte
de responsabilité, ce que ne veut pas voir une classe politique
irresponsable, qui a stérilisé l’initiative, la volonté d’avancer,
d’innover. On ne peut plus bouger, boire, fumer, plaisanter, faire un feu
dans sa cheminée, ou une crèche, sans encourir les foudres d’innombrables
commissaires politiques en jupon, en robe de magistrat, mais tous assurément
d’esprit sans- culotte. Ces menues interdictions sont la partie émergée de
l’iceberg de l’impuissance à laquelle un état omnipotent a réduit les
Français, un soviétisme « soft » mais tout aussi envahissant.
Voilà pourquoi les entreprises n’ont pas repris confiance, voilà pourquoi
aveugles, sourds, mais pas muets, les hommes de l’Etat n’ont plus que le
ministère de la parlotte. En URSS, dans les années 80, on disait qu’il n’y
avait pas de pravda dans les Izvestia et pas d’izvestia dans la Pravda (pas
de vérité dans Les Nouvelles et pas de nouvelles dans la Vérité).
Les hommes qui nous gouvernent ne comprennent pas ce qui est en train de se
produire. Un indicateur significatif : le recul de l’investissement des
entreprises. L’investissement c’est l’anticipation, c’est l’avenir, c’est
l’espoir. Or celles –ci (enquête INSEE) anticipent déjà un recul de 3% de
leurs investissements qui affecte directement l’offre de biens et de
services et la demande des mêmes. La France achète 3 000 robots industriels
par an, l’Allemagne 18 000. La rentabilité du capital physique est faible en
France (la moitié de celle des pays de l’OCDE), mais on ne veut pas voir,
puisqu’il s’agit de capital, forcément mauvais, que cette rentabilité faible
menace dangereusement la création d’emplois. Dans cette analyse, le CICE
aura simplement évité une chute supplémentaire de cette rentabilité. Surtout
si, dans le même temps que l’on crée le CICE, les hommes de l’Etat ne
peuvent s’empêcher, tel le scorpion de la fable traversant la rivière sur le
dos de la grenouille, d’entraver l’action économique par des textes
défavorables aux entreprises : la loi Hamon sur l’annonce préalable de la
recherche d’un acheteur par une entreprise, le compte pénibilité, le
plafonnement du crédit d’impôt -recherche pour les sociétés holding.
Accélération de la pesanteur
Qui se souvient qu’à côté de la perestroïka et de la glasnost, un autre mot
d’ordre fut en vogue à l’époque de Gorbatchev : uskurénié (yckopehne) qui
voulait dire accélération ? En l’occurrence, il s’agissait d’accélérer les
réformes (les Russes pratiquent l’humour comme moyen d’opposition et avaient
classé ces trois termes dans l’ordre des initiales suivant : GPU !)
En fait, l’accélération des processus de réforme ne s’est pas produit,
Gorbatchev n’a pas réformé le modèle, on sait que ce fut surtout
l’accélération de sa chute. Tout se passe comme si les sociétés figées dans
un modèle connaissaient, dès lors qu’elles lui impriment un mouvement de
réforme, telle l’accélération de la pesanteur, une accélération vers la
chute. Toutes choses égales par ailleurs, l’échec du CICE annonce que le
modèle n’est pas réformable, ou du moins que la réforme doit s’attaquer au
cœur du système et non à sa surface.
Voyez l’affaire Le Paon, emblématique d’un système syndical, financé par
l’Etat. Des syndicalistes de la CGT se sont indignés de ce que leurs
cotisations servissent au train de vie de leur secrétaire général. Ils
auraient mieux fait, en cette occasion, de défendre les contribuables ! En
URSS les syndicats étaient entièrement financés par l’Etat, mais, en France,
qui se souvient de l’enterrement en novembre 2011du rapport Perruchot,
député du Loir et Cher, sur le financement opaque des syndicats ?
Officiellement il ne pourra être publié que dans trente ans, édifiante
démocratie !
En France, la classe politique et consorts iront jusqu’ au bout de leur
logique, le changement ne viendra pas d’eux. Il viendra de la
déstabilisation et de la dissidence de la société française en ce qu’elle va
se dérober progressivement, tandis que les appareils syndicaux, médiatiques,
politiques se dessècheront sur pied loin du peuple et du pays réel. C’est
déjà ce qui est en train de se produire dans un des domaines ou le caractère
soviétoïde est le plus affirmé, l’éducation nationale. Le Mammouth s’est
enfoncé dans les fondrières de la toundra, son agonie tragique s’accomplit
sous nos yeux, le gender et la suppression des notes étant de la nature des
perestroïka qui ne guérissent pas le malade mais qui l’achèvent. (1) L’exode
vers le privé, sous toutes ses formes, s’accélère, sans mot d’ordre d’un
quelconque parti. Les parents d’élèves votent avec leurs pieds, les Français
ont déjà commencé à faire de même, nous sommes tous des dissidents
potentiels et, comme disait Boukovski, 65 millions de prisonniers
politiques...
Olivier Pichon
1) L’auteur de ces lignes avait publié en 2002 « Dernières nouvelles du
Mammouth », annonçant la sénescence du système et sa fin proche. (Editions
du Trident).
Article paru dans Politique Magazine.
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