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La république des fonctionnaires commence à craquer |
26/2/05 | Claude Reichman |
L'élimination d'Hervé Gaymard représente la première brèche dans le
mur d'enceinte de la cité interdite, celle où vit le haut personnel politique de la 5e
République. Nos excellences commencent à sentir un déplaisant courant d'air sur leurs
nuques prétentieuses. Qu'ils s'emmitouflent vite d'un cache-col : le zéphyr ne va pas
tarder à se transformer en tornade ! L'affaire Gaymard n'a pu éclater qu'en raison de la formidable distorsion entre le mode de vie des princes qui nous gouvernent et celui de ce que ces derniers ont bien imprudemment appelé " la France d'en bas ", espérant qu'on croirait la fable selon laquelle ils la représenteraient. Mais au-delà même des princes, il y a aussi la formidable masse des privilégiés du régime, à savoir les fonctionnaires. Leur proportion dans la population active a doublé au cours des vingt dernières années. Ils bénéficient de la garantie à vie de leur emploi, de salaires et de retraites meilleurs que dans le secteur privé et nul n'est capable de dire combien d'heures exactement ils travaillent car si l'on peut sans difficulté chiffrer leur temps de présence à leur bureau, personne ne sait exactement à quoi ils l'occupent ni si ce qu'ils font est utile au pays. Tout simplement parce qu'une telle masse de personnel n'est pas gérable et que la seule manière de vérifier la nécessité d'une fonction est de la soumettre à la concurrence. Ainsi la 5e République est-elle devenue au fil des ans la république des fonctionnaires. Aujourd'hui, elle n'est plus que cela et c'est la raison du divorce entre le peuple et le pouvoir. Double divorce d'ailleurs. D'une part entre les hauts fonctionnaires, qui règnent sur le gouvernement et l'administration, et la masse des petits et moyens fonctionnaires, qui veulent obtenir encore plus d'avantages. D'autre part entre l'Etat et ses desservants et profiteurs et le secteur privé qui les fait vivre et souffre de plus en plus. Et en raison de cette double fracture, plus rien ne marche dans le pays. La croissance économique a connu une rupture brutale au début de 2003 et n'est plus repartie depuis. Comment s'en débarrasser ? Tout indique d'ailleurs que cette atonie, dont le caractère déflationniste apparaît de plus en plus clairement, ne pourra pas être surmontée sans de grandes réformes. La majorité actuelle et la gauche en sont incapables car elles ne veulent pas toucher au système. Et comme il n'y a pas d'alternative politique crédible, le peuple désespère et se venge comme il peut en flinguant un puissant qui a failli, tout en sachant qu'il lui faudra se débarrasser de tous les autres s'il veut que le pays s'en sorte. C'est ainsi qu'on en arrive à la deuxième phase de la révolution, qui commence à présent. Le système politique français n'est plus qu'un chien crevé dérivant au fil de l'eau. Personne ne pourra lui redonner vie. Il faut donc en changer. Comment cela peut-il se faire ? Hélas pas dans le calme. Si le président de la République avait un minimum de sens de ses responsabilités, il réunirait non pas des " hauts conseils " ou des " hautes autorités ", composées de vieillards honorables et dépassés, mais de véritables états généraux précédés de cahiers de doléances. Nul doute qu'en remonteraient les preuves évidentes des vraies aspirations du peuple : moins d'impôts et de charges, moins d'administration et de règlements, moins d'assistance et plus de liberté. Il ne resterait plus alors au pouvoir qu'à donner satisfaction au peuple et cela se ferait tout naturellement par la désignation de nouveaux représentants de celui-ci, auxquels la légitimité ainsi conférée donnerait la force nécessaire à l'accomplissement des réformes. Mais voilà, Chirac qui aime tant le Japon n'en pousse pas le goût jusqu'à pratiquer le hara-kiri. Force sera donc au pays de répondre à la question que beaucoup se posent depuis longtemps : comment s'en débarrasser ? Le référendum sur la Constitution européenne peut en donner l'occasion. Si le non l'emporte, Chirac ne démissionnera pas, mais sera considérablement affaibli et l'ensemble du camp du oui avec lui. Or qu'est-ce que le camp du oui sinon la coterie qui s'est emparée de la République depuis plus de quatre décennies et qui a ruiné les chances de la France ? Mais ne nous y trompons pas : le non ne suffira pas. Il faudra que le peuple se fasse entendre. Et pour cela que la véritable opposition au système, celle qui n'y participe d'aucune manière pas plus qu'elle n'en bénéficie, se donne un minimum d'organisation et de cohérence. Elle est portée par une majorité de Français et n'a aucune existence institutionnelle. Cette contradiction mortelle doit cesser d'urgence. Sinon le pays sera livré aux factions et notamment à la plus dangereuse d'entre elles, celle que constitue l'extrême gauche alliée à présent aux activistes islamistes des banlieues et qui s'est donné en la personne de Dieudonné un leader aussi bouffon que dangereux. N'oublions pas à cet égard qu'Hitler, au début de sa diabolique carrière, était aussi considéré comme un bouffon ! On connaît la suite. Dans l'affaire Gaymard, la presse a fait son travail. Sans doute n'avait-elle pas le choix, poussée qu'elle était par l'opinion. Mais il faut quand même lui en donner acte. A elle de poursuivre dans cette voie. Le fait de dénoncer les scandales fait partie des attributs républicains de ce qu'on appelle le quatrième pouvoir. C'est à son silence trop prolongé qu'on doit la grave situation dans laquelle se trouve le pays. Puisqu'elle s'est enfin réveillée, qu'elle prenne garde à ne pas s'assoupir à nouveau. Ce serait impardonnable et, soyons en certains, cela ne lui serait pas pardonné. Claude Reichman
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