La révolte des fourmis
Les plus anciens de notre pays, qui sont allés aux écoles au temps où
celles-ci transmettaient encore la culture française, se souviennent de Jean
de La Fontaine et de sa fable La cigale et la fourmi. Année après
année, cette œuvre a été malmenée, trahie, bouleversée, au point qu’on lui a
fait dire le contraire de ce qu’elle professait. Mais le malheur ne dure pas
toujours, car voici qu’après des décennies de folies cigalières, les fourmis
ont enfin réagi.
Rappelons tout d’abord, et notamment à l’intention de ceux qui n’ont
jamais eu le bonheur de l’apprendre par cœur, la fable originelle du bon La
Fontaine.
La cigale et la fourmi, par Jean de La Fontaine (1621-1695)
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
Intérêt et principal. "
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? J'en suis fort aise.
Eh bien! Dansez maintenant.
Et voici maintenant La cigale et la fourmi, version de 2009, après
les modifications du texte de Jean de La Fontaine effectuées sous le règne
des Messieurs Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac et Sarkozy
La fourmi travaille dur tout l'été dans la canicule.
Elle construit sa maison et prépare ses provisions pour l'hiver.
La cigale pense que la fourmi est stupide, elle rit, danse et joue tout
l'été.
Une fois l'hiver venu, la fourmi est au chaud et bien nourrie.
La cigale grelottante de froid organise une conférence de presse et demande
pourquoi la fourmi a le droit d'être au chaud et bien nourrie tandis que
d’autres, moins chanceux comme elle, ont froid et faim.
La télévision organise des émissions en direct qui montrent la cigale
grelottante de froid et qui passent des extraits vidéo de la fourmi bien au
chaud dans sa maison confortable avec une table pleine de provisions.
Les Français sont frappés que, dans un pays si riche, on laisse souffrir
cette pauvre cigale tandis que d'autres vivent dans l'abondance.
Les associations contre la pauvreté manifestent devant la maison de la
fourmi.
Les journalistes organisent des interviews, demandant pourquoi la fourmi est
devenue riche sur le dos de la cigale et interpellent le gouvernement pour
augmenter les impôts de la fourmi afin qu'elle paie « sa juste part ».
La CGT, Le Parti Communiste, la Ligue Communiste Révolutionnaire, les Gay
et Lesbian Pride, organisent des sit-in et des manifestations devant la
maison de la fourmi.
Les fonctionnaires décident de faire une grève de solidarité de 59
minutes par
jour pour une durée illimitée.
Un philosophe à la mode écrit un livre démontrant les liens de la fourmi
avec les tortionnaires d'Auschwitz.
En réponse aux sondages, le gouvernement rédige une loi sur l'égalité
économique et une loi (rétroactive à l'été) d'anti-discrimination.
Les impôts de la fourmi sont augmentés et la fourmi reçoit aussi une
amende pour ne pas avoir embauché la cigale comme aide.
La maison de la fourmi est préemptée par les autorités car la fourmi n'a
pas
assez d'argent pour payer son amende et ses impôts.
La fourmi quitte la France pour s'installer en Suisse où elle contribue à
la
richesse économique.
La télévision fait un reportage sur la cigale maintenant engraissée.
Elle est en train de finir les dernières provisions de la fourmi bien que
le
printemps soit encore loin.
Des rassemblements d'artistes et d'écrivains de gauche, se tiennent
régulièrement dans la maison de la fourmi.
Le chanteur Renaud compose la chanson « Fourmi, barre-toi ! »
L'ancienne maison de la fourmi, devenue logement social pour la cigale, se
détériore car cette dernière n'a rien fait pour l'entretenir.
Des reproches sont faits au gouvernement pour le manque de moyens.
Une commission d'enquête est mise en place, ce qui coûtera 10 millions
d'euros.
La cigale meurt d'une overdose.
Libération et L'Humanité commentent l'échec du gouvernement à régler
sérieusement le problème des inégalités sociales.
La maison est squattée par des insectes sans papiers qui organisent
un trafic de marijuana et terrorisent la communauté.
Le gouvernement se félicite de la diversité multiculturelle de la France.
***
Au jour où nous publions cette version de La cigale et la
fourmi, on considère, dans les milieux bien informés, qu’une guerre
civile pourrait bientôt éclater entre Français, les uns soutenant les
cigales et réclamant la réquisition de tous les biens immobiliers afin d’y
loger les malchanceux de la vie, et les autres, enfin réveillés, campant les
armes à la main devant leur bien et bien décidés à faire feu sur tout
envahisseur. Chassé de l’Elysée par Droit au Logement, qui l’a transformé en
squat multiculturel, le président de la République a demandé l’asile
politique en Suisse. La Confédération helvétique le lui a refusé au motif
qu’il a exercé des poursuites contre les honnêtes Français détenteurs de
comptes dans ce pays et ainsi violé les règles du droit d’asile fiscal. Par
bonheur le fils d’Omar Bongo, récemment élu successeur de son père à la tête
de l’Etat gabonais a bien voulu oublier les ridicules querelles faites à son
géniteur sur les turpitudes présumées de la Françafrique et accueillir sur
son sol le président français. Ce dernier, sain et sauf mais détruit
moralement, coule désormais des jours sans espoir à Libreville, méditant sur
la malchance qui a fait de lui, après quelques brèves années de règne où la
folle dérive collectiviste française, loin de s’interrompre s’est encore
aggravée, la victime de plusieurs décennies de trahison des idéaux français.
Sa tristesse est d’autant plus grande que son épouse l’a quitté pour le
nouveau grand maître des télévisions publiques de France, qui offre de
somptueux temps d’antenne à ses confidentiels murmures vocaux.
Jean Esope
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