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	La France va se réveiller dans un cauchemar  
	         
	politique à la rentrée des vacances d’été ! 
	 
	Pendant un bref moment, il sembla que l'espoir fût revenu en France. Cela 
	commença dans la soirée du 15 juin avec la victoire des Bleus sur le 
	Honduras, et cela se termina vendredi dernier, à 19h50 précises, quand cet 
	espoir fut brisé par le poing de fer de Manuel Neuer, le gardien de but de 
	l’équipe d’Allemagne. 
	 
	Deux semaines plus tôt, le 20 juin, quand l'équipe française écrasa celle de 
	la Suisse, les Français ébahis se frottèrent les yeux car ils ne croyaient 
	pas que leur équipe fût capable d’un tel dynamisme. Personne n’aurait 
	imaginé que les Bleus pussent jouer aussi bien. Jusque là, l'équipe de 
	France était considérée comme un ramassis de joueurs insolents et 
	individualistes. Lors de la Coupe du Monde de 2010, cette équipe ne se fit 
	remarquer que par la tactique innovante de la grève décrétée dans le bus. 
	(1) 
	 
	L’entraîneur Didier Deschamps n’a pas eu à déplorer le moindre comportement 
	répréhensible de ses joueurs. L’exception mérite d’être soulignée. La jeune 
	équipe a joué vite et les joueurs ont donné des entretiens polis et humbles. 
	Cela a suffi à rallier les Français derrière leur équipe. A l’automne 
	dernier, les sondages indiquaient que 82% des Français avaient une opinion 
	négative de leur équipe. Elle était considérée «égoïste» à 84% et «vulgaire» 
	à 73%. 
	 
	Hollande a bénéficié des Bleus. 
	 
	En singeant les supporteurs de football, le palais de l'Elysée a surtout 
	démontré une certaine envie, comme si cette équipe nationale était investie 
	d’une mission officielle. Dans un laps de temps très court, l’équipe de 
	France a su redresser sa cote de popularité qui était misérable. Dans la 
	foulée de ce succès, même celle de François Hollande a remonté un peu. Bien 
	que l’intéressé ne soit pour rien dans ce succès, sa cote de confiance, qui 
	était à un taux historiquement faible de 18 %, est remontée un peu à 23%. 
	 
	Hollande garde à l’esprit que le titre mondial de l’équipe de France en 1998 
	a permis à Jacques Chirac de remonter dans les sondages. Après avoir défilé 
	avec les vainqueurs sur les Champs-Élysées, la cote de popularité de Chirac 
	avait grimpé de 6% dans les sondages. C’est dans ce contexte qu’une blague 
	circule à propos de l’Elysée. Hollande considérerait que l’homme le plus 
	important du moment n’est pas Valls mais Valbuena, un ailier à la place du 
	Premier ministre. (2) 
	 
	Quand il s'avéra que l'adversaire dans le quart de finale était l’Allemagne, 
	la tension et l'excitation d’une joie anticipée étaient clairement 
	perceptibles dans les médias. Puis, cette confrontation avec le voisin 
	offrit la perspective alléchante de réparer deux échecs à la fois. Il 
	s’agissait, en effet, d’effacer l’affront historique de 1982 où la France 
	perdit, en demi-finale de la Coupe du Monde en Espagne, contre l'Allemagne 
	aux tirs au but. Et il s’agissait aussi de battre le partenaire et rival qui 
	enfonce un peu plus chaque jour la nation dans le pessimisme à cause de sa 
	supériorité économique écrasante.  
	 
	La profondeur du sentiment d'être «injustement» distancé par l’Allemagne se 
	retrouve dans l’illusoire tentative des journalistes français de contredire 
	la prépondérance économique de l’Allemagne, non pas en justifiant leur thèse 
	par des chiffres, des graphiques ou des rapports, mais en déclarant que 
	«tout n’est pas rose de l’autre côté du Rhin…» 
	 
	Le dernier exemple de cette passion de déconstruire le «modèle allemand» est 
	la question soulevée par le quotidien Libération qui a publié, le 
	jour du match, un numéro spécial. La manchette du journal était « 
	France-Allemagne : l'autre match ». Dans ce cahier, les faiblesses et les 
	forces allemandes étaient comparées à celles des françaises. Gagnante de ce 
	concours, la France arrivait en tête non pas en additionnant des 
	statistiques mais en prenant en compte des critères aussi variés que le 
	cinéma, la philosophie, la politique énergétique, la chaussure et, dans une 
	touche d'orgueil, la qualité de la bière ! 
	 
	L'optimisme fut de courte durée 
	 
	S'il existe un événement fondateur du complexe d'infériorité de la France, 
	il est probablement ancré dans le stade de Séville où le gardien de but 
	Harald Schumacher cassa trois dents et une vertèbre du cou de Patrick 
	Battiston, le milieu de terrain français. Non seulement cette faute grave 
	est repassée souvent sur les écrans de télévision, mais elle a été 
	requalifiée comme «l’attentat de Schumacher.» La chaîne France 2 a 
	rediffusé entièrement le match avant la rencontre. La France est 
	certainement le seul pays au monde où une défaite, subie trente-deux ans 
	auparavant, recueille une audience comparable à celle d’un match en direct. 
	 
	Le besoin, qui semble encore grand, d'une revanche pour effacer cette 
	défaite traumatisante peut s’illustrer dans l’idée de François Hollande 
	d’inviter l'ancien entraîneur de l'équipe de football, Michel Hidalgo, et 
	Michel Platini à venir regarder le match de la revanche à l'Elysée. Hidalgo 
	et Hollande célébrant conjointement la revanche de Séville dans le jardin du 
	palais présidentiel, cela aurait certainement fait une très belle photo pour 
	le compte Twitter de l'Elysée, et cela aurait aussi engrangé deux points 
	supplémentaires dans les sondages.  
	 
	Il ne s’est finalement pas produit, ne serait-ce que pour un bref instant, 
	que la France soit gagnée collectivement par un élan qui ne lui est plus 
	permis depuis longtemps : l'optimisme. On pourrait considérer ce postulat 
	presque audacieux. Et tout cela juste parce qu'il y avait l'espoir de battre 
	l'Allemagne. « Laissons-nous rêver, (3) s'est exclamé Le Parisien 
	le jour du match. Cette fois, c'est possible ! L’Allemagne n'est pas 
	invincible parce que 2014 n'est pas 1982 et que la nouvelle génération de 
	Bleus est solide, disciplinée, vive, mordante et opiniâtre. Cette équipe 
	joue d’une façon étonnante et dans un style de gagneur. Elle a un je ne sais 
	quoi combinant talent et chance, qui devrait l’emmener très loin dans la 
	compétition.» « Nous pensons qu'ils vont réussir», a conclu l'éditorial, 
	qui est symptomatique d'une confiance soudaine dans une explosion de joie. 
	 
	Des journalistes particulièrement audacieux ont demandé au président, qu’en 
	cas de victoire finale française le 13 juillet, le défilé de la fête 
	nationale soit reporté afin que l’équipe victorieuse puisse défiler sur les 
	Champs-Élysées. Si ce pays mettait autant d’énergie, d’imagination et 
	d’audace à résoudre ses problèmes économiques, il aurait probablement un 
	budget équilibré dès l'année prochaine ! (4) 
	 
	Le problème logistique de déplacer le défilé militaire du 14 juillet ne se 
	pose plus pour Hollande. Les commentateurs de football sont tous d'accord 
	que l’échec est imputable au réalisme allemand et à sa plus grande 
	efficacité. Ce faisant, leurs commentaires sonnent de la même façon que ceux 
	exprimés par les analystes économistes. Mais l'équipe est encore jeune et le 
	championnat d'Europe de 2016 va se jouer dans leur propre pays. Un soupçon 
	de jubilation reste donc de mise, du moins en termes de perspectives 
	footballistiques. 
	 
	Pas de confiance dans les institutions 
	 
	En ce qui concerne les perspectives politiques, il est à craindre qu’après 
	la fin du spectacle de diversion au Brésil, l'ancienne crise économique ne 
	revienne sur le devant de la scène. Pas plus tard qu’après les vacances 
	d'été, il apparaîtra que Hollande n’a tenu aucune de ses promesses, en 
	commençant par celle de renverser la courbe du chômage qu’il a formulée pour 
	l’année 2013, celle de ramener le budget 2013 à un déficit de 3% et 
	d'équilibrer le budget d'ici 2017, ou encore celle « de veiller à ce que 
	chaque jeune en échec scolaire trouve un apprentissage ». Il n’a atteint 
	aucun objectif qu’il s’est fixé. L'affirmation selon laquelle «
	la reprise est là » s'est avérée nulle. Jamais un président n’a 
	autant gaspillé de crédibilité qu’avec ses nombreuses prévisions 
	insoutenables. 
	 
	Tout le monde peut constater aussi que l’opposition en France offre une 
	image encore plus affligeante que celle du président. Sans tête et sans 
	chef, elle est embourbée dans ses propres scandales financiers. L'ancien 
	président Nicolas Sarkozy se voyait bien revenir à l'automne dans l’habit du 
	sauveur de la patrie que la Providence lui aurait attribué. Après son 
	interrogatoire serré par la police et sa mise en examen par deux juges 
	d'instruction, il a cru intelligent de revenir sur le devant de la scène à 
	la manière de Berlusconi. Dans une interview à la télévision, il s'en est 
	pris à l'ensemble de la justice française, l’accusant d’être 
	instrumentalisée à des fins politiques. (5)  
	 
	A juste titre, le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, a 
	dit que la diabolisation d'une institution de la République - en particulier 
	celle du système judiciaire - par des dirigeants politiques est une 
	procédure douteuse. 
	 
	Par sa filiale France Stratégie, qui est une sorte de think tank
	à la française, le Commissariat général de la stratégie et de la 
	planification se préoccupe de l'avenir de la France. Il vient de publier un 
	rapport de 350 pages intitulé «Quelle France dans dix ans ?» 
	 
	Le directeur de France Stratégie, l'économiste Jean Pisani-Ferry, 
	note que l'un des problèmes essentiels de la France, c’est que «les Français 
	ont perdu la confiance dans les institutions ». C'est pourquoi il est si 
	difficile aujourd’hui aux représentants de ces institutions de convaincre 
	les citoyens de la nécessité des réformes. Hollande et Sarkozy ont 
	contribué, avec leur propre style, à cette perte de confiance. 
	 
	«Quelle France dans dix ans ?» est un bon livre indiquant comment la 
	France doit être réformée afin qu'elle ait de nouveau un avenir. L’agenda 
	2025 est une réplique de celui de 2010. (6) C'est vraiment dommage que le 
	gouvernement français ne lise pas les livres qu'il commandite. Au lieu de 
	cela, il préfère regarder à nouveau la demi-finale de la Coupe du Monde de 
	football à Séville en 1982.
	 Sascha Lehnartz  
	 
	Notes du traducteur 
	 
	(1) La « gréviculture » est une exception française qui se porte toujours 
	bien quelle que soit la santé économique du pays.  
	(2) Comme ses prédécesseurs à l’Elysée, l’actuel locataire passe son 
	temps à peaufiner des petits coups minables pour remonter dans les sondages 
	d’opinion au lieu de consacrer son énergie à libéraliser l’économie 
	sclérosée par les corporatismes et écrasée par la technostructure imposée 
	par ses anciens collègues de l’ENA. C’est toute la différence entre un homme 
	politique moyen, dont il s’est flatté d’être le prototype pour se faire 
	élire, et un grand homme d’Etat comme le général de Gaulle. Une nation a les 
	hommes politiques qu’elle mérite.  
	(3) Le refus d’affronter le réel est le signe patent d’une schizophrénie 
	à l’échelle du pays, qui est relevée depuis longtemps par les professeurs 
	étrangers qui se penchent avec bonté à son chevet. La France schizophrène 
	aurait besoin d’une énorme pharmacopée de neuroleptiques pour lui faire 
	avaler la potion libérale. Bonne chance au docteur Valls ! Comme nous 
	doutons que ce dernier parvienne à la soigner dans un délai convenable (les 
	prêteurs étrangers n’auront pas cette patience infinie), il faudra alors 
	recourir au traitement traumatique faisant appel à la sismothérapie. Pour 
	lui administrer ces terribles séances d’électrochocs, la France devra se 
	tourner vers une Maggie Thatcher qui n’existe pas dans notre pays. C’est un 
	comble pour la nation qui fut l’une des pionnières de la recherche 
	psychiatrique, avec les docteurs Philippe Pinel (1745-1826), pour un 
	traitement moral des malades, avec Jean Esquirol (1772-1840), qui fut le 
	premier à diagnostiquer la dépression, ou encore avec Jean-Martin Charcot 
	(1825-1893), pour ses travaux sur l’hypnose et l’hystérie.  
	(4) En réponse à l’auteur de cet article, on ne peut pas attendre d’un 
	pays schizophrène qu’il agisse rationnellement. Si cela était possible, il y 
	a longtemps que les déficits budgétaires auraient été résorbés en France. La 
	maladie s’est aggravée avec l’arrivée des énarques au pouvoir en 1974. Au 
	lieu de traiter convenablement le patient, comme le préconisait le docteur 
	Philippe Pinel, ils l’ont endormi de belles paroles en lui faisant croire 
	qu’ils étaient capables de résoudre la crise économique après le second 
	krach pétrolier en instaurant une économie dirigiste. Malgré leurs échecs 
	patents, ces charlatans sont encore au pouvoir. Hollande est la quintessence 
	de l’erreur technocratique dans le diagnostic (sous-estimation de la 
	faiblesse des marges des entreprises) et le traitement du patient 
	(matraquage fiscal).  
	(5) L’ex-président souffre, quand à lui, de paranoïa, qui se manifeste 
	par un sentiment de persécution. Contrairement à la schizophrénie, la 
	paranoïa n’est pas un trouble anxieux mais une psychose qui se manifeste par 
	un dérèglement de la pensée dont le patient n’a que rarement conscience.  
	(6) L’auteur fait implicitement référence à l’agenda de réformes menées 
	en Allemagne par la coalition rouge-verte du chancelier Gerhard Schröder. 
	Cet agenda portait essentiellement sur les réformes du marché du travail (Hartz) 
	et des assurances sociales. Pour mémoire, la libéralisation de ce marché est 
	toujours refusée dans notre pays malgré la jurisprudence la Cour de Justice 
	dans son arrêt capital du 3 octobre 2013. C’est un autre bel exemple de 
	schizophrénie, le malade se raccrochant à de fausses croyances en prétendant 
	que le monopole de la Sécurité sociale n’est pas du tout menacé par cet 
	arrêt qui ne concernerait qu’une caisse publique allemande, alors qu’il est 
	de portée générale et oblige tous les pays membres de l’Union européenne à 
	l’appliquer. 
	
	 
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