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8/12/13 | Sascha Lehnartz |
Incapable de gérer le présent, Hollande rêve à l'avenir ! Autrefois, le premier commentaire fusant à la rentrée des classes commençait toujours par «mon meilleur souvenir de vacances ». Cela n’aurait pas donné grand chose cette année, dans les rangs du gouvernement français, parce que, sur ordre du président, les ministres ne devaient ni voyager à l’étranger, ni passer des vacances dans des villégiatures huppées ou dans des régions particulièrement excitantes…(1) Les ministres devaient, de préférence, rester non loin de Paris et faire
en sorte d’assurer à tour de rôle une permanence du gouvernement. L’idée
était de faire passer auprès de la population le message qu’en dépit de
l’été le gouvernement restait au travail. Pour marquer sa volonté, l'Elysée a imaginé quelque chose de spécial. Les membres du gouvernement ont été invités par le président à réfléchir aux moyens d’assurer un bel avenir à la France. « La France de 2025 », tel est le thème sur lequel François Hollande a demandé à son gouvernement de plancher pendant la trêve estivale. Objectif de cette réflexion : « La France d'aujourd'hui se prépare à relever des défis dans dix ans.» Il fallait d'abord établir un diagnostic pointu mettant en valeur les «forces et les faiblesses» du pays, puis «fixer des priorités» d’ici la fin de l'année, et établir un «calendrier avec des échéances intermédiaires» pour bâtir le futur de la France selon la commande de l'Elysée. (2) Au lieu de traiter les problèmes trop familiers du quotidien, François Hollande s’est positionné comme une sorte de capitaine du futur en conviant ses ministres à élaborer une vision heureuse de la France. Comme on pouvait s’y attendre, les ministres se sont empressés de cogiter dans leur domaine respectif et de le faire savoir aussi tôt que possible. Le magazine Le Point a suivi les objectifs de cinq d’entre eux. Les auteurs étaient-ils sobres ? En lisant leurs rapports, on ne peut échapper à l'impression que les auteurs ont rédigé leurs œuvres par une douce soirée estivale après avoir bu quelques bouteilles de vin rosé. Le ministre des Finances, Pierre Moscovici, envisage le retour au plein emploi en France en 2025 comme «tout à fait réalisable ». (3) Certes, la France ne serait plus, en 2025, la cinquième mais seulement la huitième plus grande puissance économique du monde. Elle serait dépassée par des puissances émergentes comme l'Inde et le Brésil, mais sa «souveraineté budgétaire serait complètement récupérée», selon la vision rose du ministre des Finances. (4) Comment cela va-t-il se produire ? Moscovici ne le sait pas encore. Contrairement à l’opinion de la plupart de ses collègues, il n’entrevoit pas seulement l'avenir de son pays à travers un verre de rouge ou de rosé : « La France doit aussi s’unir pour se protéger des dangers qui la menacent. En plus de sa perte d'influence, elle encourt des risques technologiques, sociaux et démographiques.» L'utopie du plein emploi «Sans un apport massif de capitaux, la France court le danger de rater la révolution du numérique », a déclaré Moscovici sur la chaîne de télévision BFM. « En outre, la population vieillit et le nombre d’actifs diminue.» D’un autre côté, cela permettrait, grâce à la diminution de la population en âge de travailler, de se rapprocher de l'utopie du plein emploi en 2025… Encore plus optimiste que Moscovici s’est affiché le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, avec sa vision futuriste des «forces de sécurité» dans une version digitale 3.0. «Elles seront efficaces, proches de la population, et équipées des dernières avancées technologiques.» Qui devra payer ces investissements fantastiques ? Valls évite prudemment de répondre à la question. Sa collègue Christiane Taubira - dont il a critiqué la volonté de ne pas faire exécuter les peines - a quant à elle confirmé, une fois de plus, sa vision de l’avenir de la France marqué par « le développement de peines alternatives à l'emprisonnement pour résoudre la surpopulation carcérale chronique». Pour d'autres ministres, la vision de la France de 2025 prend parfois un tour hallucinant. Cécile Duflot, ministre du Logement et membre de la coalition des Verts et d’Europe Ecologie, considère que « l'accès au logement pour tous ne sera plus un facteur de stress, une source de préoccupation, mais une période agréable de transition dans la vie ». La croissance dans onze ans Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, imagine que la France va retourner dans le «concert des grandes nations industrielles.» La balance du commerce extérieur, qui est chroniquement déficitaire, sera marquée, en 2025, par un «surplus structurellement positif ». (5) Ces scénarii très optimistes ont provoqué des réactions étonnées dans l'opposition. Le président du MoDem, François Bayrou, a estimé que le gouvernement «rêve les yeux ouverts". Ces plans seraient dépourvus de tout lien avec la réalité. Le gouvernement ferait mieux d'identifier les problèmes qui « l’empêchent de bien finir l’année 2013 », a-t-il conclu. Dans le même registre, l'ancien secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Laurent Wauquiez, a déclaré : « On ne devrait pas s’occuper de 2025 mais de 2014. Le séminaire d'été a montré que le gouvernement a une vision surréaliste des problèmes actuels. Le plan de 2025 est un écran de fumée pour masquer les hausses massives d'impôts qu’il nous prépare à l’automne.» Gérer à court terme et voir loin Toutefois, le Premier ministre Jean- Marc Ayrault a pratiquement échappé à ces accusations. Pour lui, «ce qui manque à la France, c'est le pouvoir d'imaginer son avenir. Nous avons une double mission. Nous avons besoin de toute urgence de prendre des mesures et d'atténuer les pires difficultés, mais aussi de commencer les réformes structurelles qui ont été étouffées en France depuis dix ans. » Ayrault a élucubré une notion absconse : « Dans l'action à court terme, mais en regardant l'avenir dès à présent.» Le président François Hollande, quant à lui, a changé de slogan pour orchestrer cette campagne : «L'avenir, c’est maintenant! », a-t-il déclaré. Parmi tous ceux qui critiquent cette vision du futur, le parti de l'ancien président Nicolas Sarkozy ne donne pas l'impression d’avoir pris la mesure des problèmes urgents à résoudre. Laurent Wauquiez a été le seul au sein de l’UMP à mettre en cause les années Sarkozy, qui n’auraient conduit qu’à des «réformettes ». (6) Pas de « procès stalinien » Le chef du parti UMP, Jean- François Copé, a admis, dans une conférence de presse, la nécessité d'un tel débat, mais il a immédiatement averti que cela ne devait pas dégénérer en un « procès stalinien » contre Nicolas Sarkozy et François Fillon. Ainsi va la vie politique française à la fin de l'année 2013 : le rêve d’un futur lointain pour la majorité, tandis que l’opposition est coincée par son passé. Sascha Lehnartz, Notes du traducteur (1) Cette vacance studieuse a été instaurée par le président Jacques Chirac après l’hécatombe de morts –quarante-cinq mille environ - provoquée par la vague de chaleur en août 2003. Par un mélange de lâcheté et de stupidité sans borne, les médias avaient accusé le gouvernement Raffarin de ne pas avoir réagi, alors qu’il s’agissait d’une faute grave individuelle des enfants choyés de la révolution de 1968 qui avaient abandonné leurs vieux à leur triste sort. Plus le socialisme progresse dans un pays, plus la responsabilité individuelle diminue, et plus l’interventionnisme aggrave la situation. Qui est encore capable en France de comprendre ce cercle vicieux ? (2) Le plan de la France de 2025 s’inspire grandement de la «nouvelle politique économique» (NEP) lancée par Vladimir Ilitch Lénine et approuvée par le dixième congrès du parti communiste en 1921. C’est la même méthodologie marxiste, avec ses plans quinquennaux pour vérifier l’état d’avancement des travaux. (3) Ce serait un objectif tout à fait réalisable pour un gouvernement conservateur mené par un Premier ministre ayant la trempe de Margaret Thatcher pour briser les syndicats marxistes. (4) Si la tutelle tatillonne du commissaire européen Olli Rehn est insupportable au ministre des Finances, qu’il abaisse simultanément les dépenses publiques, les impôts et les taxes de 20%, et le déficit budgétaire disparaîtra spontanément en 2015. (5) Les opinions tranchées du ministre du redressement industriel évoquent un débat houleux qui a eu lieu, en 1920, autour de la NEP. Pour la troïka composée de Boukharine, Tomski et Rykov, la NEP devait permettre un contrôle suffisant sur l’économie sans l’étouffer. Pour celle de Trotski, Zinoviev et Kamenev, la NEP n’en faisait pas assez. Il ne fallait pas attendre que la croissance portât ses fruits, mais distribuer immédiatement les profits à tout le monde. Alors que la thèse de Boukharine, Tomski et Rykov l’a emporté dans l’ex-Union soviétique, c’est celle de Trotski, Zinoviev et Kamenev qui a triomphé en France, avec l’inexorable progressivité des impôts et des taxes en tous genres. (6) Les cadres de l’UMP sont dépassés par les événements. Ils n’ont rien à offrir aux Français car leur logiciel reste toujours l’Etat-providence. |