L’Allemagne agace presque tout le monde  
	                                  
	en Europe ! 
	Après sept ans sans croissance, personne ne croit plus à la recette de 
	l'épargne clamée par Merkel & Co. La gauche comme la droite populiste 
	raillent la manie de l’Allemagne de tout savoir mieux que les autres. 
	 
	L'attaque a été portée de façon peu élégante. « Maul zu, Frau Merkel ! 
	Frankreich ist frei », a écrit en allemand Jean-Luc Mélenchon sur le 
	réseau social Twitter. L'ancien président du parti de gauche a essayé de 
	donner en allemand le ton grossier qu’il emploie en français. A «ta gueule 
	!» qui se dit«Schnauze !» en allemand, Mélenchon a préféré utiliser «Maul zu» 
	(ferme-la) qui sonne mieux à son oreille. 
	 
	La raison de cette attaque insultante est un entretien donné par Angela 
	Merkel à Die Welt am Sonntag. Elle a rappelé que la Commission 
	européenne a jugé que les efforts de réforme entrepris par la France et 
	l'Italie «ne sont pas suffisants». Elle a ajouté cette phrase lapidaire : «Là-dessus, 
	je suis d'accord.» 
	 
	Apparemment, cela a été suffisant pour déclencher une tempête d'indignation 
	aux quatre coins de l'Europe qui souffrent de privations. Cette 
	susceptibilité est à rapprocher de l’accroissement du pouvoir politique et 
	économique concentré à Berlin et qui définit le cours de l’Europe. Que la 
	chancelière se soit contentée d’appuyer la position de la Commission 
	européenne n’est visiblement pas acceptable pour ceux qui se sentent visés. 
	A leurs yeux, la Commission n’est que l'outil de la nouvelle hégémonie 
	européenne - et son président, Jean-Claude Juncker, est au mieux un 
	présentateur d’émission de variétés dans le style de «Wetten, dass? » - pour 
	faire passer le message indigeste de l’austérité allemande. Quand il est 
	bien luné, Juncker donne ici ou là un délai supplémentaire. 
	 
	La réaction emballée à la phrase lapidaire de Merkel trahit une chose : 
	l’Allemagne gêne énormément ses voisins. C’est à rapprocher aussi de la 
	louange adressée récemment à la chancelière par le fétichiste de l’équilibre 
	budgétaire, Wolfgang Schäuble. Il l’a comparée à Napoléon en disant que si 
	elle ne suscite pas autant de hourras sur son passage que l’illustre 
	Français, elle est plus couronnée de succès que lui. Cette comparaison passe 
	très mal auprès de ceux qui se sentent asservis. De ce point de vue, Mme 
	Merkel a depuis longtemps assujetti le continent. En dehors de Schäuble, 
	personne ne trouve cela franchement marrant. 
	 
	Même l’affable ministre français des Finances, Michel Sapin, a répondu sur 
	un ton irrité à ce qu'il perçoit comme une remontrance allemande. «
	On se doit de réformer», s’est-t-il justifié devant une 
	télévision française, «non pas pour faire plaisir à tel ou tel dirigeant 
	européen, mais parce que c’est nécessaire pour la France».  
	En outre, Sapin a ajouté «qu’il serait bon pour l'Allemagne d’investir 
	dans ses autoroutes. Celles-ci seraient «en très mauvais état.» 
	En outre, selon le ministre, «il n'y a pas de jardins d'enfants en 
	Allemagne parce que les femmes travaillent très peu et que le pays se vide 
	de sa population». Une statistique récente montre que l'Allemagne est le 
	deuxième pays d’accueil d’immigrés dans le monde, mais celle-ci n’était peut 
	être pas disponible quand le ministre a réagi vivement. 
	 
	Ce n’est plus seulement la gauche qui est hyper chatouilleuse… 
	 
	Le secrétaire d’Etat italien aux affaires européennes, Sandro Gozi, est plus 
	vexé que Sapin. «On exige le même niveau de respect que celui que l’on 
	est en droit d’attendre de la part de ses voisins », a déclaré Gozi, 
	originaire de Sogliana al Rubicon, et qui s’imagine que Merkel l’a franchi 
	allégrement. La chancelière devrait se concentrer sur la demande intérieure 
	allemande, le manque d'investissement dans son pays et le déséquilibre de sa 
	balance commerciale. «Ce serait une contribution importante que l’on 
	attend depuis de nombreuses années mais que Berlin n'a toujours pas réalisée
	», s’est plaint Gozi. (1) 
	 
	C’est exactement de la même manière qu’a réagi le clownesque Mélenchon dans 
	son tweet. «Merkel doit s’occuper de ses pauvres et de ses 
	infrastructures en ruine », a-t-il tonné. Apparemment, Mélenchon a une 
	conception vieillotte des ruines en question. Les infrastructures allemandes 
	sont en meilleur état qu’en 1946. Sa vision de l’Allemagne est celle du pont 
	de Leverkusen qui est fermé à la circulation des poids-lourds. 
	 
	Mais ce n’est pas seulement l’hypersensible gauche européenne qui se sent 
	défiée par les airs de patron de l’Allemagne. Même l'ancien président 
	français, Nicolas Sarkozy, a réagi à la phrase de la femme avec qui il 
	voudrait reformer un tandem franco-allemand en 2017. Sans nommer la 
	chancelière, il a déclaré : «Dieu sait combien je combats la politique 
	désastreuse de M. Hollande, mais jusqu'à mon dernier souffle je resterai un 
	patriote. Si vous offensez la France, je ne peux pas accepter cela », a 
	déclaré M. Sarkozy. Néanmoins, tout le monde savait à qui il pensait. (2) 
	 
	L'austérité allemande n’exaspère pas que ses voisins. Depuis longtemps, le 
	prix Nobel d'économie, Paul Krugman, la tient responsable de la décadence de 
	l'Europe. Sur d’autres sujets, l’Allemagne irrite ses voisins, notamment sa 
	politique énergétique, qui reste expérimentale, sa pusillanimité en matière 
	de défense, et son indéchiffrable attitude à l’égard de la Russie. (3) 
	 
	Le haut fonctionnaire allemand est l’ennemi à Bruxelles 
	 
	Plus grave que la propension à l’exclusivité de leurs opinions est la 
	manière qu’ont les Allemands de façonner l’Europe selon leurs propres 
	convictions. En particulier, le haut fonctionnaire allemand qui décolle de 
	Berlin par le premier avion du matin et arrive à Bruxelles où il passe sa 
	journée à négocier en se montrant très sûr de lui avec ses collègues 
	européens, et qui s’empresse de retourner dîner à la maison avec la 
	conscience tranquille du devoir bien fait. Il est considéré comme un ennemi 
	par ses collègues. «Pédant», «infatué», et «ergoteur» sont quelques-uns des 
	adjectifs les plus respectueux qui peuvent être entendus à Bruxelles sur les 
	Allemands. Ils auraient aussi une «attitude provinciale». On entend 
	constamment dans les couloirs qu’« ils ne peuvent pas imposer aux autres le 
	modèle allemand», se plaint un diplomate de l’UE. 
	 
	C’est surtout le penchant allemand à s’en tenir à des positions 
	fondamentales et son incapacité d’argumenter en dehors d’un cadre juridique 
	qui désespère le plus les autres Européens. «Ce ne peut être que comme ça 
	et pas autrement. Ils ne veulent pas et ne peuvent pas penser différemment», 
	se lamente un directeur général de la Commission européenne. (4) Si vous 
	demandez à des diplomates en poste à Bruxelles qui est pour eux 
	l'incarnation de l’Allemand qui débarque par le premier avion du matin, on 
	entend souvent revenir un nom : Nicholas Meyer-Landrut. C’est lui qui est à 
	la tête de la politique européenne à la Chancellerie et qui, dans ce 
	domaine, est le conseiller le plus important auprès de Merkel. 
	 
	En France, l'aversion à l'obstination des Allemands et à leur aplomb assuré 
	fait à présent l’objet d’un opprobre généralisé dans la classe politique. La 
	présidente du Front national, Marine Le Pen, qui peste depuis des années 
	contre «le diktat allemand» et qui milite pour la libération de la 
	domination allemande avec la sortie de l'euro, se délecte de sa popularité 
	croissante. Tout comme l’ancien président du parti de gauche, Jean-Luc 
	Mélenchon, qui a mis en ligne sur son blog un article paru dans Le Figaro où 
	l’auteur (Coralie Delaume) déclare : «Comment l'Europe est en train de 
	devenir un nouvel empire allemand.» 
	 
	La version soft de l’empire allemand 
	 
	Delaume cite l'ancien diplomate américain Tony Corn, lequel avait averti en 
	2011 de la naissance d’un Reich gentil et prévenant, une version soft de ce 
	que le monde a connu auparavant. L’auteur a peur que l’Allemagne tire tout 
	le continent vers l’abîme avec son délire d'épargne comptable. La recette 
	est peut-être juste pour un peuple de «vieux épargnants », mais elle est 
	hélas fatale pour les autres. 
	 
	Malheureusement, les Allemands ont réussi à placer des informateurs auprès 
	des postes clés de l'UE. De la Banque européenne d'investissement (BEI) en 
	passant par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), jusqu’au 
	Conseil européen et à la Commission Juncker, les postes clés sont occupés 
	soit par des Allemands soit par des personnes qui dansent sur la musique 
	allemande. «Les politiciens français doivent justifier leurs décisions 
	économiques non plus à Bruxelles mais à Berlin », se plaint Delaume à 
	propos de cette perte de souveraineté. 
	 
	Ce sentiment s’est répandu dans toutes les capitales d'Europe du Sud. Au 
	cours d’un forum italo-allemand houleux, le président allemand ,Joachim 
	Gauck, s’est efforcé d’arrondir les angles. La presse italienne a salué le 
	passage à Turin de Gauck avec des titres guerriers comme «Le front 
	antiallemand se met en place en Europe» ou «L’invasion de Merkel 
	». Depuis des mois, un livre intitulé "Quatro Reich" est dans les meilleures 
	ventes en Italie, dans lequel le polémiste Vittorio Feltri, appartenant à la 
	nébuleuse de Berlusconi, entretient cette comparaison peu flatteuse avec le 
	Reich national-socialiste. Alors que le Premier ministre Matteo Renzi a 
	vaillamment annoncé que «les Italiens ne se laisseront pas intimider 
	», son ministre des Finances, Pier Carlo Padoan, a déclaré : «L'Allemagne 
	et l'Italie ont perdu leur confiance mutuelle.» 
	 
	Bientôt sans amis en Europe ? 
	 
	Madrid et Lisbonne partagent l’analyse qu’Athènes est sur le point de faire 
	faillite. Il y aura bientôt des élections, et le Parti de gauche Syriza du 
	populiste Alexis Tsipras a une bonne chance de les emporter. Tsipras aime 
	parler de la «maladie d’épargner» qui détruit la Grèce, et accuse 
	Merkel de «jouer avec la vie des gens». 
	 
	On peut aussi penser qu’il n’y a pas d’autre alternative pour les Européens 
	que la politique de rigueur préconisée par l’Allemagne. Et avoir la 
	conviction qu’un assouplissement des règles budgétaires sera utilisé par les 
	Européens du Sud non pas pour réformer leur marché du travail ou privatiser 
	leurs services publics, mais pour faire encore plus de dettes. Même si, à 
	propos des années de croissance zéro sur le continent européen, de nombreux 
	économistes (5) attisent la suspicion que la recette allemande ne pourrait 
	pas guérir tous les patients.  
	 
	Mais il faut aussi avoir le courage de se regarder dans le miroir et 
	d’admettre que toute une génération d'Européens sans perspectives rend 
	l’Allemagne responsable de leur sort. Quiconque se repose sur une certaine 
	idée de l’Europe sans gagner l’adhésion des Européens peut se retrouver du 
	jour au lendemain sans amis. (6)  
	Sascha Lehnartz  
	 
	Notes du traducteur 
	 
	(1) C’est tout le malheur des Européens du sud de croire encore que la 
	théorie de Keynes les sortira de la récession économique dans laquelle ils 
	sont englués depuis six ans.  
	(2) Quand il était président, Sarkozy avait tenu absolument à faire une 
	relance keynésienne au lieu de réduire la taille gargantuesque de notre Etat 
	providence. Celle-ci a creusé notre dette et a placé notre pays sous la 
	tutelle de la Commission européenne. Bravo l’artiste !  
	(3) La politique énergétique de l’Allemagne est asservie par la secte 
	écologiste qui lui a fait renoncer au nucléaire. C’est en matière de défense 
	et non pas d’infrastructure que l’Allemagne doit faire de gros efforts 
	budgétaires pour assurer la défense du continent européen contre les visées 
	impérialistes de la Russie.  
	(4) Traduction : les cigales veulent plus de flexibilité budgétaire, les 
	fourmis plus de flexibilité du marché du travail.  
	(5) Les économistes en question sont soit marxistes, soit keynésiens, 
	mais certainement pas libéraux.  
	(6) C’est le cœur du problème. A défaut d’avoir convaincu les cigales, 
	les fourmis doivent en tirer la conclusion qui s’impose : quitter le 
	gouvernail du radeau de la méduse (zone euro) qui ne leur vaut que quolibets 
	et rancunes de la part des cigales, et vite retourner au deutschemark. Tant 
	pis pour les cigales sourdes à la raison et qui périront quand les requins 
	de la finance attaqueront leur radeau de la méduse surendetté. Amen, amen je 
	vous le dis ! Chacun pour soi et Dieu pour tous. 
	  
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