Le jour où Sarkozy a perdu le pouvoir
Il était élu depuis quatre jours et n’avait pas encore pris ses
fonctions. Mais ce qui s’est passé le 10 mai 2007 aura été déterminant pour
la présidence de Nicolas Sarkozy.
Ce jour-là, Jacques Chirac, président de la République pour quelques
jours encore, inaugurait au jardin du Luxembourg à Paris, à l’occasion de la
deuxième journée nationale du souvenir de l’esclavage, une sculpture
commémorant son abolition. Rien d’étonnant en ce qui concernait Chirac.
Revenu à ses idées de jeunesse, qui l’avaient conduit à vendre L’Humanité
à la criée, il s’était converti sur le tard à l’antiracisme militant et
était devenu l’un des plus pieux zélateur de la pensée unique. Quant à
Nicolas Sarkozy, il venait de faire campagne sur le thème de la rupture –
notamment avec la politique de Jacques Chirac – et avait stigmatisé « la
mode exécrable de la repentance ». Or voilà qu’à peine élu il apparaît
radieux aux côtés de son prédécesseur dans une solennelle cérémonie … de
repentance. Plus inconséquent, tu meurs !
Inconséquent vraiment ? En réalité, la politique n’est pour Sarkozy, au
sens strict de ces termes, qu’un jeu de mots. Il en a prononcé pour se faire
élire, mais aucun de ces mots ne l’engage car il a toujours manqué à sa
personnalité le lien charnel qui unit l’être et sa parole. C’est cet aspect
de son personnage qui lui a donné son incroyable culot et qui aussi va le
perdre. En moins de deux ans, Sarkozy va voir sa crédibilité chuter
vertigineusement auprès d’une majorité de Français. Aujourd’hui, c’est un
président plus qu’affaibli – on peut même dire en sursis – qui affronte avec
la révolte antillaise, une épreuve à laquelle il ne comprend rien, qui ne
l’intéresse pas, et qui pourtant représente pour son pouvoir un danger
mortel.
Car enfin ce à quoi l’on a assisté en Guadeloupe, c’est bien à la défaite
de l’Etat face à une émeute, autrement dit à une révolution. Derrière la
revendication économique et sociale, il y avait une très forte composante
identitaire, qu’ont très clairement illustrée les déclarations d’Elie Domota,
le leader du LKP, accusant par exemple l’Etat et ses gendarmes de vouloir «
casser du nègre ».
Or qui incarne l’Etat, sinon le président de la République, Nicolas
Sarkozy, qui s’est repenti avec son prédécesseur et toute la bienpensance
officielle du crime contre l’humanité – tel que le définit la loi Taubira –
qu’a constitué l’esclavage ? Domota a parfaitement compris que Sarkozy était
une cible vulnérable à partir du moment où il avait fait repentance,
s’interdisant de balayer l’accusation de racisme d’un revers de main et de
renvoyer à une plus saine appréciation de l’histoire passée et contemporaine
ceux qui hurlent au racisme dès qu’on s’oppose à leurs réclamations. Le
mouvement LKP avait les meilleures chances de vaincre l’Etat et son chef dès
lors qu’il mettait habilement l’accent sur l’arrière-plan colonial de la
situation antillaise.
Qui peut aujourd’hui sérieusement penser qu’en 2009 le président de la
République française a quoi que ce soit à voir avec l’esclavage ? Qui peut
en rendre responsables les Français du 21e siècle ? A ce compte-là,
remontons à Jeanne d’Arc et déclarons la guerre à l’Angleterre ! Mais en
politique les mots et les symboles sont l’essentiel. En s’affichant avec
Jacques Chirac à une cérémonie de repentance, Nicolas Sarkozy a ouvert les
vannes de toutes les revendications antiracistes, des plus légitimes aux
moins défendables. Il est impensable d’accepter la moindre manifestation de
racisme dans la vie et les lois d’un pays moderne et démocratique. Mais il
est inacceptable de laisser utiliser l’antiracisme comme une arme dans des
conflits où le racisme n’a que faire, sauf quand il se manifeste précisément
chez ceux qui se donnent les gants de le combattre, comme lorsque le LKP
réclame « une préférence guadeloupéenne » ou le départ des chefs
d’entreprises qui refusent de se plier à un accord qu’ils n’ont pas signé,
ajoutant pour que les choses soient claires : « Nous ne laisserons pas une
bande de békés rétablir l’esclavage. »
Nicolas Sarkozy ne peut plus s’échapper du piège antillais. La droite le
presse de faire régner la loi dans ces terres qui sont des départements
français. Les manifestants locaux n’entendent pas se laisser priver du
pouvoir qu’ils ont conquis et qui en fait les véritables maîtres de ces
îles. Si Sarkozy choisit l’épreuve de force, il verra se dresser massivement
la population contre les forces de l’ordre et sera obligé de reculer. S’il
renonce à faire appliquer la loi, il perdra tout crédit dans son propre
électorat. Autrement dit, Nicolas Sarkozy a perdu le pouvoir. Mais son
destin avait été scellé le 10 mai 2007, lors de cette cérémonie de
repentance. Les évènements liés à son attitude allaient inévitablement se
produire, tant il est vrai que si l’histoire bégaye parfois, elle n’en a pas
moins une terrible logique qui s’est toujours traduite par cette formule qui
a scellé tant de destins : « Malheur aux faibles ».
Claude Reichman
Porte-parole de la Révolution bleue.
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