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14/12/08  

Quand un énarque avoue son impuissance

Bruno Le Maire, député de l’Eure (où il a « hérité » de la circonscription de Jean-Louis Debré) vient d’être nommé secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, succédant à Jean-Pierre Jouyet, qui prend la présidence de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ce petit jeu de chaises musicales entre énarques démontre à l’envi qui détient le pouvoir sous la Ve République.

La petite politique n’est pas étrangère non plus à cette nomination. Le Maire a en effet été directeur de cabinet de Dominique de Villepin au ministère de l’Intérieur et à Matignon. Les journaux n’ont pas manqué de qualifier de « prise de guerre », pour Nicolas Sarkozy, cette nomination qui isole encore un peu plus l’ancien premier ministre, dont les soutiens politiques se comptent désormais sur les doigts de la main.

Mais le plus symbolique n’est pas là. Qualifié d’ «homme talentueux, compétent, profondément européen » par le président de la République, Bruno Le Maire, qui est normalien, agrégé de lettres, diplômé de Sciences-po et, bien sûr, énarque, dispose de toutes les qualités … sauf une : l’aptitude à gouverner. Il suffit de lire l’extrait suivant de son livre « Des hommes d’Etat » (Grasset), publié à la fin de 2007, pour comprendre que, comme tous les énarques, Le Maire sait à merveille disserter sur les problèmes, mais ne voit pas comment les résoudre. Tout au plus note-t-il que « les très petites entreprises peuvent créer de l'emploi, pourvu qu'on allège les contraintes administratives et fiscales qui pèsent sur elles ». Mais ce constat d’évidence ne s’accompagne de l’expression d’aucune volonté politique de résoudre enfin ce problème vital pour l’économie française. Le Maire évacue négligemment la difficulté d’une phrase qui en dit long sur son impuissance et son indifférence : « Nous avancerons dans ce sens. »

Alors un Le Maire de plus ou de moins au gouvernement, vraiment, cela n’a aucune importance. Sauf pour confirmer l’idée qu’un pays assailli de graves difficultés de tous ordres comme la France, accumulant les déficits et les dettes, distribuant à pleines mains l’argent péniblement gagné par les contribuables, condamnant des couches de plus en plus nombreuses de la population à la pauvreté et à la misère, et aussi mal gouverné est mûr pour une révolution et un changement de régime. Il suffit désormais de s’asseoir sur le bord du fleuve : il ne tardera pas à charrier des énarques déchus.

Claude Reichman

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Dimanche 8 mai 2005, Paris Place Beauvau

Je continue à tourner la question du chômage dans tous les sens avec des économistes, des chefs d'entreprise, des spécialistes du droit du travail, des élus locaux. Quel prix sommes nous prêts à payer collectivement pour développer l'emploi en France? Comment répartir la charge des efforts entre les entreprises, les salariés, l'Etat? Un certain nombre de jeunes ou de moins jeunes ne trouveront pas de place immédiatement sur le marché de l'emploi : ils ont besoin de contrats aidés, il faudra trouver le financement nécessaire. Les très petites entreprises peuvent créer de l'emploi, pourvu qu'on allège les contraintes administratives et fiscales qui pèsent sur elles, nous avancerons dans ce sens. Le système d'assurance chômage mériterait aussi d'être revu, sur le modèle de l'Allemagne. Mais à deux ans des présidentielles, lancer une réforme de cette ampleur, qui a coûté les élections à Gerhard Schröder, est tout à fait impensable, il faudra avancer pas à pas. Reste la question épineuse du droit du travail. Simplifier l'embauche et le licenciement pour assouplir le marché du travail, depuis des années nous tournons autour de cette idée sans oser la mettre en oeuvre, il me semble indispensable d'essayer, ne serait ce que sur une partie des embauches. Notre équipe de réflexion travaille donc à une nouvelle forme de contrat de travail, qui autoriserait une rupture sans motivation.

Je demande à un expert économique si nous pouvons attendre de cette mesure, socialement très lourde, parce qu elle heurte le sens commun, des résultats rapides et significatifs. « Dans les très petites entreprises, surtout les entreprises individuelles, certainement, ne serait ce que pour des raisons psychologiques. Après, l'impact macroéconomique est difficile à évaluer. Il faudra voir dans un an. » Aux responsables politiques qui voudraient des assurances, les experts n'apportent que des conjectures.

On ne peut pas exiger autre chose, sauf à leur demander de tordre la vérité, et à priver les responsables politiques de la part d'incertitude qui fait leur liberté. Sur le sujet du chômage, nous disposons de faits suffisamment accablants pour oser tenter ce qui ne l'a encore jamais été : un taux d'emploi des jeunes et des plus de cinquante ans parmi les plus faibles de tous les pays de l'OCDE, un taux de chômage dans certains quartiers qui avoisine les 20 %, une inquiétude latente, qui ronge les familles. Les mots les plus durs sur le chômage, à la fois exagérés et justes, je les ai trouvés dans un texte de Thomas Bernhard, que je lisais pour d'autres raisons : « Nul ne peut remplacer chez un autre son emploi. Ce n'est pas quand il perd un être, fût il décisif pour lui, le plus important, le plus aimé, qu'il va vers le fond, c'est quand on lui prend son emploi qu'il s'étiole et, en peu de temps, il est mort. Les maladies se produisent là où les gens ne portent pas toute la charge qu'ils peuvent porter, sont trop peu occupés, ce n'est pas d'être trop occupés qu'ils devraient se plaindre mais de ne pas l'être assez, on restreint leur emploi et les maladies se répandent, tous sont la proie du malheur là où l'on restreint le travail et l'emploi. »

Bruno Le Maire
Extrait de « Des hommes d’Etat » (Grasset).


 

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