Monnaies : l’Europe est le dindon de la
farce !
Voilà longtemps que l'Europe se cherche un totem animal qui incarnerait
ses vertus et ses ambitions, aux côtés de l'aigle américain et du panda
chinois. A la lumière de l'année de crise mondiale qui s'achève, un volatile
s'impose : le dindon. Cet oiseau a en effet trois caractéristiques qui le
rapprochent de l'Europe. D'abord, lorsque le dindon s'exprime, il
glougloute. Ensuite, il descend d'une sorte de dinosaure, le caudipteryx,
comme en témoigne son allure curieuse et préhistorique.
Enfin, il est indissolublement lié à la farce : être le dindon de la farce,
c'est bien le rôle dans lequel nous excellons. Particulièrement en matière
monétaire. Voici notre devise, l'euro, presque au plus haut face au dollar
et à la livre sterling, altérant la compétitivité de nos exportations alors
que les ressorts internes de la croissance européenne sont déjà affaiblis.
Traditionnellement, le jeu de bascule des changes mondiaux est un
stabilisateur essentiel à la bonne marche de l'économie. Lorsqu'une zone
faiblit, elle abaisse ses taux d'intérêt, sa monnaie dévalue et elle importe
ainsi de l'activité en provenance des autres régions du monde. Avec la
crise, la synchronie de la dépression aurait demandé une dévaluation...
mondiale, ce qui n'a guère de sens, puisque nous ne commerçons pas avec les
autres planètes. Tous les taux d'intérêt sont proches de zéro mais, parmi
les grandes devises, seuls le dollar et la livre sterling chutent, en
particulier au détriment de la devise européenne.
Etrange fatalité monétaire, qui nous punit pendant la crise alors que nous
n'avons guère profité de la croissance exceptionnelle qui a tiré le monde
anglo-saxon depuis quinze ans : l'euro est la monnaie de la double peine. A
y regarder de près, le châtiment a même été triple, à cause de la politique
monétaire unique, qui a aggravé les difficultés en Europe en incitant au
surendettement les pays de l'arc atlantique - l'Espagne, l'Irlande - et en
provoquant une surchauffe immobilière délirante.
A l'inverse, le dollar est la devise de l'impunité. Impunité que confère le
statut unique des Etats-Unis, mariant la VIIème flotte - puissance politique
et militaire - et la Silicon Valley - dynamisme de l'économie. Quant au
sterling, il parvient toujours à échapper à la patrouille, offrant au
Royaume-Uni exactement le cours qui convient à sa conjoncture, avec de
profondes et providentielles dévaluations qui l'aident à se rétablir dans
les crises.
Dans une farce, il y a le dindon, et les autres.
François Lenglet
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