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10/6/23 | Claude Reichman |
Le peuple est prêt à reprendre le pouvoir Le président de la République et son épouse ont reçu, à la préfecture d’Annecy, les acteurs du drame qui a vu un migrant poignarder de jeunes enfants, suscitant l’horreur des Français. Etrange cérémonie, empreinte de recueillement et d’amitié, étrange discours du président félicitant tout le monde d’avoir fait son devoir avec professionnalisme, étrange moment où la France semble unie dans l’épreuve et prête à affronter les difficultés et les malheurs du temps présent. Comme on aimerait que cela soit vrai. Certes notre pays est parfois bien équipé en services de secours, et parfois aussi dispose-t-il dans ses profondeurs d’âmes bien nées, aptes à affronter l’adversité avec courage et détermination. Mais ce tableau d’une nation debout, sereine dans ses devoirs, et où règne une bienveillance réciproque qui assure la paix civile, n’est qu’un rêve éveillé. Et comme tout rêve, il se dissipe et ne laisse au réveil qu’un souvenir émerveillé et nostalgique. Qui se transforme bientôt en tristesse. Oui, on aimerait que cela soit la France. Si l’on connaît l’histoire, on sait que nous avons fait mourir près d’un million et demi de jeunes hommes pendant la première guerre mondiale, et que cette saignée a compromis notre avenir pour toujours, que nous avons été vaincus dès l’entame de la deuxième guerre mondiale parce que nous nous étions consacrés aux joies bien méritées des congés payés tandis que l’adversaire construisait une armada de blindés et d’avions, que nous étions si fiers de nos colonies qu’il ne nous était pas venu à l’esprit qu’elles pussent vouloir se séparer de nous, que nous nous sommes redressés à force de courage et d’efforts au lendemain de la Libération mais que quelques mauvais présidents ont suffi pour nous faire à nouveau plonger dans la mal-gouvernance et les conflits internes. Que d’erreurs, que de drames, que de morts inutiles ! C’est donc cela la civilisation ? A dérouler tant d’évènements malheureux, on est pris de vertige. Comme si nous n’étions que des fétus de pailles emportés par la tempête et voués à une destruction certaine. Envolées nos traditions, envolés nos us et coutumes, envolé l’esprit français, envolée la galanterie qui faisait de nos femmes des reines, envolé le panache, qui n’est plus qu’un bouquet de plumes flétries. Mort Cyrano, mort le Cid, mort Hugo qu’un cortège de millions de Français accompagna au tombeau. Mort, mort, il n’y a plus que des morts dans notre vie. Et ressusciter nous paraît un songe creux. De temps à autre dans notre histoire, surgit un grand roi ou un homme exceptionnel. Tel fut De Gaulle. Il fut critiqué plus que tout autre, et la providence le protégea d’être assassiné. L’histoire jugera son œuvre constitutionnelle. La Ve république tient depuis soixante-cinq ans. Et rien dans sa structure ne l’oblige à disparaître. Sauf ce qui n’avait pas été prévu par ses rédacteurs : la médiocrité du président. Doté d’un pouvoir plus large qu’aucun de ses pairs dans le monde, il parvient à se maintenir contre vents et marées. La crise en résulte forcément. Et l’échange d’arguments sur la légitimité du souverain ne cesse d’affaiblir le pouvoir. Aujourd’hui, le président n’a plus de majorité, et cela ne l’empêche pas de parader dans des avenues désertes. Le pouvoir n’est plus qu’une illusion, sauf pour ceux qu’il parvient à frapper par vengeance. Mœurs de bas-empire ! C’était une jeune femme du peuple. Elle tenait un petit restaurant. Une idée bizarre poussa un journaliste de télévision à l’interviewer. « On est sortis pour le foot, déclara-t-elle, on est sortis pour Johny, maintenant il faut qu’on sorte pour nous. » Comme elle avait raison. Quand l’histoire le réclame, le peuple doit sortir de ses foyers et se montrer au grand jour. Faire sentir sa force, briller de tout son bon droit. Pour remettre l’histoire d’aplomb, pour que tout recommence. Cela ne se fait pas sur ordre, ni sur convocation. Cela se fait par alchimie. Par mystère compris de tous. Un élément, au cœur de la machinerie du pouvoir, va lâcher. Tout ce système s’enrayera. Ce n’est pas une intuition, c’est une certitude, née de l’intime connaissance de cette étrange mécanique constituée au fil des décennies et qui a oublié jusqu’au sens de sa construction. Six à sept décennies suffisent à la durée de vie de ce type d’édifice. Ils meurent alors d’usure, et d’une petite blessure envenimée. Après tout, c’est la durée d’une vie d’homme. Ce qui rassure, c’est que le peuple est prêt. Il s’est préparé en silence et sa tranquillité dit bien sa force. L’autre jour, un accident s’est produit devant chez moi. Un motard gisait au sol. En quelques secondes des passants réglèrent la circulation, dispersèrent l’attroupement qui empêchait les secours et firent place aussitôt que les pompiers furent sur place. C’est ce qu’on appelle la démocratie ! Claude Reichman |