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4/1/09 Ph. Even,
B. Debré
 Les 35 heures à l’hôpital. L’explosion

L'application des 35 heures à l'hôpital décidée en janvier 2001 explose aujourd'hui un système à bout de souffle. Alors qu'il n'existait aucune possibilité de recruter des personnels susceptibles de les compenser, elles ont été appliquées soudainement dans les CHG et les hôpitaux privés, et dans les CHU en janvier 2002, négociées directement par les directions et les syndicats, sans prendre l'avis, ni même informer les médecins qui, partout exclus du débat, n'ont que le droit de constater et de se taire. Dans un contexte de pénurie d'infirmières, dans des services qui travaillaient en flux tendu, en sous effectif permanent, ça a été une déflagration : allongement des délais de consultations et d'examens, en particulier scanners et ERM, réduction des programmes de blocs opératoires, dégradation de la prise en charge des patients nécessitant le plus d'assistance ou de présence humaine, fermeture des secrétariats dès 15 ou 16 heures, retard dans les courriers aux médecins traitants, fermeture de lits par dizaines dans chaque établissement, sur décision unilatérale des directeurs, non en fonction d'excès de lits éventuels dans certaines disciplines, mais en fonction des manques de personnel, qui se produisent de façon aléatoire, au gré des démissions ou des maladies, etc., ou de façon plus sournoise, fermeture des lits d'accueil des malades les plus coûteux. Tant pis pour eux. Qu'ils attendent des jours meilleurs. À Pâques ou à la Trinité.

L'application des 35 heures conduit à des mesures inacceptables, qui font courir de réels dangers aux malades. Ainsi, jusqu'à maintenant, les équipes d'infirmières « descendantes et montantes » qui « font les trois 8 » (la journée est divisée en 3 périodes de 8 heures) disposaient d'un temps de chevauchement de 15 à 30 minutes pour assurer une transmission orale au lit même des malades, rassurés par ce passage de témoin direct. Désormais, pour gagner 30 à 75 minutes sur les grilles horaires, le temps de chevauchement est réduit à 5 minutes et la transmission se fait dans le poste de soins central, devant l'ordinateur, sans voir les patients.

La création de 45 000 emplois a été annoncée sur 3 ans, soit une augmentation de 19 %. Ils ne corrigeront rien avant des années et ne suffiront pas, car il manque dès aujourd'hui 10 000 infirmières hospitalières, car il faudra 3 ans pour que les promotions sortent des écoles, car les démissions augmentent presque aussi vite que les recrutements et se font même en cours d'études ou dès la sortie de l'école (17 % pour une des récentes promotions). Or, passer de 39 à 35 heures, et même 32 h 30, avec les pauses repas incluses dans le temps de travail, c'est l'équivalent d'une réduction de 17 % des emplois, soit 40 000 dans les hôpitaux, alors que le statut ne sera peut être pas suffisamment attractif pour remplir les écoles, etc.

Tous ceux qui vivent à l'hôpital savent aussi que réduire de 10 % le nombre des infirmières conduit à fermer 20 % des lits, car les infirmières travaillent en équipe et que c'est toute une équipe où chacun se potentialise, qui est déséquilibrée par l'absence d'une seule. Les syndicats qui connaissent le terrain, indiquent d'ailleurs que ce sont 60 000 à 80 000 emplois qu'il aurait fallu créer pour compenser les 35 heures, quand Bercy parlait de 10 000 seulement! Au moment même où le Ministère créait 45 000 postes pour compenser les 35 heures, Tony Blair en créait 35 000 tout en restant à 40 heures... mais avec un salaire des nurses 50 % plus élevé que le nôtre (25 000 à 30 000 livres par an, brut).

Et voici l'été 2002 et c'est la catastrophe annoncée. Plus d'infirmières dans les services les plus lourds qu'elles fuient pour les secteurs les plus calmes, et quand on leur refuse ces mutations, elles démissionnent ou se mettent en congé de maladie (20 jours d'absentéisme par an), en congé parental, en année sabbatique, ou filent vers leur pays d'origine. Tous les quinze jours, une demande de départ pour la province, dit un directeur d'hôpital, ou vers la Suisse.

Les directions sont alors contraintes à des fermetures sauvages, de 50 % supérieures aux fermetures habituelles, à Argenteuil, Gonesse, Beaujon, La Pitié, Béclère, Necker, partout, dans les services les plus nécessaires, réanimation, réanimation pédiatrique, néonatologie, chirurgie, pneumologie, cardiologie. Les urgences sont plus difficiles encore à hospitaliser qu'auparavant. Les nouveau nés tournent en ambulance du SAMU, séparés de leur mère, pour trouver un lit dans un autre hôpital. En août, les fermetures concernent non plus 20 % des lits, comme les années précédentes, mais 32 %. Pour la seule Ile-de France, il manque 2 700 postes et, en 2005, ce seront 10 000 infirmières y qui viendront à manquer.

Le système hospitalier tout entier ne remplit plus ses missions. Pas toujours en termes numériques, mais, et ceci est plus grave encore, en termes qualitatifs. Accueil, qualité et sécurité des soins sont menacés. Tous les médecins le disent, mettent en garde les directions, les politiques et maintenant les citoyens. N'attendons pas la multiplication des accidents pour réagir, en restructurant les hôpitaux et en revalorisant le statut des infirmières et leurs conditions de travail.

Pr Philippe Even, Pr Bernard Debré


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