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1/6/09 | Claude Reichman |
Le livre qui annonce la révolution On connaît Maurice Lévy. Le président de Publicis, quatrième groupe mondial de communication, est un homme d’influence. Comment se fait-il qu’il n’en use pas pour faire connaître un ouvrage écrit par deux de ses collaborateurs et qu’il a préfacé ? Intitulé « Les nerfs solides », et sous-titré « Paroles à vif de la classe moyenne », ce livre est présenté avec un bandeau portant une phrase qui le résume fort bien : « Crise : le témoignage-choc des classes moyennes ». La classe parlante française est unanime pour considérer d’une part que tous les facteurs d’une explosion sociale sont réunis dans notre pays et d’autre part pour affirmer qu’elle n’aura pas lieu ! Etonnante assertion : elle revient à prétendre que les causes n’ont pas d’effets, ce qui contredit tous les acquis scientifiques et culturels de la pensée. Pourquoi un tel aveuglement ? D’abord parce que comme tous les gens établis, ceux qui s’expriment dans les médias n’ont aucune envie que les choses changent. Ils n’ont à en attendre que des désagréments, voire de sévères remises en cause. Et puis parce que leur univers, c’est celui que constituent les quelques dizaines de politiciens et de journalistes qu’ils côtoient tous les jours et qu’ils ne se voient pas faire l’effort de se constituer un nouveau portefeuille de relations. Autant leur demander de reconstruire le monde ! Publié en janvier 2009, « Les nerfs solides » n’a fait l’objet que de très rares recensions dans la presse, et leurs auteurs ne font rien pour faire parler d’eux et de leur ouvrage. Ils sont dans la situation de paisibles cueilleurs de champignons qui ont déterré une bombe encore amorcée et prête à exploser. Ils croyaient avoir mis au point une méthode originale pour « ausculter le consommateur d’une manière inédite grâce au web 2.0 » et « apporter aux organisations, aux entreprises comme celles de l’agroalimentaire, de l’automobile ou des services le moyen de s’adapter au nouveau monde qui naît ». Mais ce qu’il est ressorti de la dizaine d’études qu’ils ont réalisées, « rassemblant à chaque fois sur notre blog fermé et sécurisé des communautés de 50 personnes, des hommes et des femmes invités à échanger, à se confier, à se parler durant une semaine à quinze jours », c’est bien autre chose qu’une nouvelle bible du publicitaire : un brûlot révolutionnaire ! Pourquoi ? Parce que « la durée des conversations et leur tenue sous pseudo [ont eu ] une conséquence simple : pour ces citoyens, consommateurs, salariés qui n’ont pas leur langue dans leur poche et maîtrisent souvent bien les règles de l’écrit, la langue de bois et le politically correct n’existent pas ». Autant dire qu’on n’est pas déçu du voyage. Quelques citations, parmi des dizaines d’autres : « Ce que je crains aujourd’hui, c’est la révolution, un jour le peuple descendra dans les rues mais il sera trop tard. Il est temps de changer les choses …avant le point de non retour ! » « Monsieur Sarkozy, la classe moyenne, elle en a marre de toujours payer plus, notre pouvoir d’achat est en berne, il faut réagir avant qu’il soit trop tard ! Les Français en ont marre, marre d’être pris pour des imbéciles, marre de toujours payer plus pour rien en retour. » « Arrêtons de toujours prendre à la classe moyenne par différentes taxes. Si le gouvernement continue à se moquer ouvertement de ces gens qui font vivre les multiparasites, une révolution risque de s’enclencher. » « La solution : plus verser un centime à cette armée de fainéants qui profite du système en vivant des allocations financées par ceux qui travaillent, dégraisser le mammouth comme dit l’autre, il y a beaucoup trop de fonctionnaires grassement payés et qui ne font rien de leurs journées, supprimer des postes d’élus, il y en a beaucoup trop. » Mais qui sont donc ces hommes et ces femmes qui tiennent des propos aussi explosifs ? Selon les auteurs, ils sont les représentants des « vingt millions de personnes qui constituent le cœur du réacteur de notre société ? Ils travaillent, ils construisent, ils paient des impôts. Ils ont étudié, souvent. Ils ne reçoivent pas d’aide de la collectivité et, d’ailleurs, n’en demandent pas. Ils se sentent utiles. Mais floués aussi ». « Ne sont-ils donc que “nés pour la peine”, comme les paysans de l’Ancien Régime ? », s’interrogent les auteurs. Avant d’ajouter : « Non, ils sont nés pour la parole aussi. » Et de conclure : « Oui, ce sont des Français en colère que nous avons écoutés ; en colère parce qu’ils estiment qu’on leur a menti depuis trop longtemps. Ils ont été entraînés à faire de mauvais choix, ils se sont mentis à eux-mêmes aussi, collectivement. Tout le monde a laissé le système dériver et se dégrader jusqu’à ne plus être tenable. » On comprend donc pourquoi, dans sa préface, Maurice Lévy écrit que lire « Les nerfs solides », « c’est s’immerger dans les conversations en réseau de ces Français “moyens” et se donner une chance de mieux comprendre quels sont leurs désirs mais aussi leurs angoisses, leurs expédients pour s’en sortir et leur philosophie de vie, leurs craintes mais aussi leur détermination devant l’avenir. » Et le président de Publicis d’en appeler aux « politiques, ceux qui savent qu’ils sont élus pour se mettre au service de tous, de la Nation et pour construire un grand avenir, même si cela appelle des sacrifices aujourd’hui, même s’ils ne seront pas réélus demain tout simplement parce qu’ils auront fait ce qui est juste et nécessaire pour la France et les Français. » Maurice Lévy a-t-il offert ce livre au président de la République ? En dépit des propos qui précèdent, on peut en douter, puisqu’au moment même où l’ouvrage sortait des presses, son préfacier n’hésitait pas à s’écrier : « Nicolas Sarkozy a été éblouissant » ! Ce qui éblouit peut aveugler. Il semble bien, s’agissant du président de Publicis, que nous soyons en présence d’un tel phénomène. Ou, qui sait, d’un cas de schizophrénie, très fréquent dans la classe dirigeante française. Quoi qu’il en soit, il faut lire « Les nerfs solides » si l’on veut savoir ce que pensent vraiment les Français et ce qui attend notre pays. On peut même aller jusqu’à offrir le livre à quelques ténors des médias qui ne peuvent plus se le payer eux-mêmes tant la crise de la presse les a rendus impécunieux. Claude Reichman * Véronique Langlois et Xavier Charpentier, « Les nerfs solides », préface de Maurice Lévy, Editions « Nouveaux Débats Publics », 175 pages, 18 euros.
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