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13/2/09 Vaclav Klaus
La lutte pour la liberté de vivre et d’échanger est                   plus que jamais d’actualité

Je critique l'idéologie qui domine aujourd’hui l’Europe et que j'appelle l’ « européisme ».
Je crains bien que ce « conglomérat d'idées » hétérogène et bricolé, jamais présenté, élaboré, analysé ni défendu avec cohérence, n’ait pris, au cours des dernières années, une puissance énorme et qu'il n’influence notre pensée, nos politiques et notre mode de vie plus encore que nous n’en avons conscience.

Tels que je les envisage, les aspects principaux de l’européisme peuvent se résumer de la manière suivante:

- La croyance en l’ économie sociale de marché, et la diabolisation du libéralisme ;
- La confiance affichée envers la société civile, les ONG, le dialogue social, le corporatisme, aux dépens de la démocratie parlementaire classique ;
- Les entreprises de constructivisme social inspirés par la méfiance envers l'évolution spontanée de la société humaine ;
- L’indifférence envers les État-nations et une croyance aveugle en l'internationalisme;
- La promotion du modèle supra-nationaliste d’intégration européenne, au détriment de son modèle intergouvernemental.

Non au politiquement correct

Quiconque a suivi le discours français en politique, philosophie, économie ou sociologie sait que ma position (c’est-à-dire mon désaccord profond avec la doctrine susdite) va directement à l’encontre des opinions politiquement correctes en France et, ce qui est probablement plus grave encore, des conceptions de l’intelligentsia française enracinées depuis des siècles.

Quelle que soit mon affection pour la France, pour moi ce pays est davantage celui de Colbert que celui de Bastiat, de Fourier et Saint-Simon plutôt que de Jean-Baptiste Say et de Turgot, et de Sartre plutôt que de Raymond Aron.

Ce n’est donc pas une surprise si on ne m’invite pas régulièrement à venir prendre la parole ici. Malgré toutes les autres questions d'actualité, la question de l'Europe et de son avenir me hante depuis la chute du communisme.

Cela ne devrait pas surprendre : l’affaiblissement constant de la démocratie et de la liberté d’échanger sur le continent européen, lié au processus d'unification européenne, est un phénomène inquiétant, surtout pour qui a passé la plus grande partie de sa vie sous l’autoritarisme et l’oppression extrêmes d’un régime communiste. Je considère, par conséquent, la marche vers une union toujours plus étroite (qui est l'un des principes essentiels de l’européisme) comme un projet mal inspiré.

Cette ambition était la pierre angulaire de la Constitution européenne et demeure sans changement de fond dans sa nouvelle version, le traité de Lisbonne.
Le passage progressif de la libéralisation et de la suppression de toutes sortes d'entraves à l’imposition massive par en haut de la réglementation et de l’uniformisation, un système redistributif toujours plus étendu et dépensier, les formes imaginatives, toujours plus compliquées, du protectionnisme, l’augmentation continue des fardeaux législatifs et réglementaires qui pèsent sur les entreprises, les pseudo-politiques de concurrence qui sabotent les marchés, les institutions de la monnaie unique, tout cela n’est que trop réel.
Cela affaiblit et entrave la liberté, la démocratie et la responsabilité politique, pour ne pas parler de l’efficacité économique, de l'esprit d'entreprise et de la compétitivité.

Le droit de dire non

Le slogan de la présidence tchèque de l'UE, « L'Europe sans barrières », tente de remettre à l'ordre du jour les ambitions initiales de l'intégration européenne : la libéralisation, l'ouverture, la suppression des entraves et du protectionnisme.

Et à juste titre, parce que c’est plus que nécessaire. Si je ne cesse d’en parler c’est parce que je me soucie vraiment de l'Europe. Pour moi et pour mon pays, il n’y a jamais eu d’autre solution que l'adhésion à l'UE, mais dire cela n'implique pas que nous soyons disposés à avaler le dogme selon lequel la forme et les méthodes des institutions de l'UE seraient les seules possibles. N’en tenir qu’une seule pour sacro-sainte, comme la seule autorisée et politiquement correcte, est inacceptable.

Le droit du peuple de choisir entre dire "oui" ou "non" à la Constitution européenne et autres traité de Lisbonne, ou à tout autre document, devrait être tenu pour sacré.
C’est ce droit-là qui constitue la véritable substance (et le sens) de l'Europe.
Les attaques contre ceux qui osent dire « non » aux tentatives faites pour accélérer l'approfondissement de l'Union européenne, lesquelles constituent l'essence et le but du traité de Lisbonne, sont autant d’attaques contre la nature véritable de l'Europe.

L’hystérie écologique

Cela étant dit, permettez-moi d'aborder deux autres questions je considère importantes.
Je vois un autre problème énorme dans l’écologisme et dans sa forme actuelle la plus agressive – l’hystérie autour du réchauffement de la planète. Cette idéologie est progressivement devenue l’un des chevaux de Troie les plus efficaces pour pousser à une intervention de l’Etat toujours accrue dans tous les domaines de la vie, de même que pour étouffer la liberté humaine et la prospérité économique.

Je suis frustré de voir que cette idéologie-là n'ait pas assez été mise en cause tant par les climatologues que par d’autres. On entend tout le temps une propagande unilatérale, et pas les arguments sérieux qui s’y opposent.

Il est tout aussi évident que ce débat-là doit aller au-delà de la seule climatologie.
Nous ne devons pas accepter la division des êtres humains entre les climatologues et nous autres, ignorants et plutôt naïfs. Le débat sur le réchauffement de la planète est une question complexe et la climatologie n’en représente seulement qu’une partie.
Et dans ce débat, il y a un rôle particulier pour la profession des économistes, parce que nous, nous avons mis sur pied une branche de notre science qu’on appelle la « théorie économique du réchauffement ».

Les économistes doivent se faire entendre, prouver que les ressources ne sont pas épuisables, y compris l’énergie, à condition qu'on les utilise rationnellement, ce qui veut dire avec des prix non faussés et des droits de propriété correctement définis.
Ils doivent publier des études complètes sur les coûts et les avantages des mesures et politiques "vertes" qu’on veut nous imposer aujourd’hui.

Ils doivent rendre accessibles, même aux non spécialistes, nos arguments sur la relation complexe entre les divers horizons de prévision (que la théorie économique traite sous le nom d'actualisation).

Ils doivent ramener au raisonnement économique élémentaire sur l’évitement rationnel du risque (ce qui contribuerait à discréditer le principe de précaution, principe indéfini d’aveuglement volontaire, dont se servent les écologistes), et remettre en avant le rôle positif des marchés, des prix et des droits de propriété et sur les conséquences tragiques de la nuisance étatique qui naîtra inévitablement de prétentions telles que contrôler le climat de la planète.

Le marché n’a pas à porter le chapeau des erreurs politiques

La troisième question que je souhaiterais mentionner ici aujourd'hui, est l'actuelle crise financière et économique.

Je viens à peine de passer trois jours entiers sur ce sujet lors du Forum économique mondial à Davos, et mon impression est qu’on empêche de s’exprimer la rationalité et la science économique, ou qu’on les a perdues de vue.

Cette crise économique très déplaisante, qui s’approfondit de jour en jour, il faudrait reconnaître qu’elle est un phénomène économique banal, en tant que conséquence inévitable d’une longue manipulation du marché par les hommes politiques et donc comme un "juste" prix à payer. Les tentatives de ceux-ci pour faire porter le chapeau au marché, au lieu de le porter eux-mêmes, sont inacceptables et on doit les rejeter résolument.

Leurs activités visant à "réformer" le système économique, sont toutes extrêmement contestables et, comme je l’ai dit à Davos, ces réformes commencent à me faire plus peur que la crise elle-même.

Pour trouver les moyens d’en sortir, il faut - pour utiliser une analogie - distinguer strictement la lutte contre l'incendie de la mise au point d’une législation préventive contre l'incendie. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est se concentrer sur la première tâche, la seconde peut s’exécuter progressivement, sans précipitation ni panique. Accroître massivement le champ de la réglementation financière, comme on se propose de le faire aujourd’hui, ne fera que prolonger la récession.

La demande globale a besoin d’être soutenue. Une manière traditionnelle de le faire est d’accroître les dépenses publiques, principalement sur des projets d'infrastructure, à la condition qu’il y en ait de disponibles. Il serait pourtant beaucoup plus efficace d’entreprendre une réduction radicale de toutes sortes d’entraves aux initiatives privées imposées depuis un demi-siècle, pendant l’ère du « Meilleur des mondes », de l’« économie sociale et écologique de marché ».

La meilleure chose à faire tout de suite serait d’atténuer temporairement, voire définitivement, différentes "normes" sociales, de travail, d’environnement, de santé et autres, car c’est elles, plus que toute autre chose, qui bloquent l'activité des hommes. Lorsqu’il y a 20 ans le communisme tombait, je n’aurais jamais pensé subir un degré d'ingérence dans ma propre existence tel que je le subis aujourd’hui.

C’est pourquoi je suis persuadé que la lutte pour la liberté de vivre et d’échanger demeure totalement d’actualité.

Certains d'entre nous peuvent être trop sensibles à cet égard, mais je suis sûr qu'il ne s’agit pas - en principe - d’un excès de sensibilité de notre part. Ce dont il s’agit, ce sont les dangers réels que nous voyons autour de nous. C’est de certains d’entre eux que j'ai tenté de parler.

Vaclav Klaus


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