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Main basse sur le marché de l'assurance maladie

7/12/05 Claude Reichman
C'est un des plus grands scandales de la République. Assureurs et mutuelles français se sont entendus pour conserver à leur profit la totalité du marché de l'assurance maladie, avec la complicité des pouvoirs publics et sous le regard indifférent de la Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance, du Conseil de la concurrence et de la Commission européenne.

Le 19 avril 2001, le rideau était tombé sur neuf années de combat du Mouvement pour la liberté de la protection sociale (MLPS) afin de faire transposer dans le droit national français les deux directives européennes (92/49/CEE et 92/96/CEE), applicables depuis le 1er juillet 1994 et qui abrogent le monopole de la sécurité sociale. Condamné par la Cour de justice européenne, le gouvernement Jospin avait fini par édicter par ordonnance un nouveau code de la mutualité comprenant les dispositions des directives qui, de ce fait, devenaient des lois françaises. On pouvait penser qu'il n'y avait dès lors plus d'obstacle à la liberté de la protection sociale dans notre pays. C'était sans compter avec les puissants intérêts financiers des sociétés d'assurance françaises et des mutuelles. Après un moment de panique face à la nouvelle donne législative, elles ont décidé de tout faire pour cacher aux Français leurs nouveaux droits et pour empêcher l'arrivée de concurrents européens sur le marché. Et elles ont trouvé le concours empressé du gouvernement de M. Jospin, puis de ceux de M. Raffarin et de M. de Villepin, désireux de maintenir à tout prix le  "modèle social français " dont ils tirent l'essentiel de leur pouvoir, même s'il est aujourd'hui avéré qu'il est la cause essentielle du désastre économique, social et humain que connaît la France.

Les sociétés d'assurance sont essentiellement présentes sur le marché de l'assurance maladie des professions indépendantes et des exploitants agricoles. Les mutuelles sont également présentes sur ce marché, et elles détiennent la totalité du marché de l'assurance maladie des fonctionnaires. Rappelons par ailleurs que les caisses primaires d'assurance maladie, qui sont la chasse gardée des syndicats de salariés et d'employeurs, qui en retirent beaucoup d'avantages matériels, sont également des mutuelles, comme l'indique l'article L. 111-1 du code de la mutualité.

Opération de camouflage

Bien entendu, dans un pays démocratique, les médias auraient donné la plus large publicité à cette réforme capitale. Mais en France, ils sont tous entre les mains de l'Etat ou de grands groupes industriels et financiers qui ont l'Etat ou les organismes publics pour clients et qui pour rien au monde ne voudraient risquer de leur déplaire et de risquer ainsi de tarir la source de leur richesse. C'est la raison pour laquelle, les assureurs, les mutuelles et les pouvoirs publics se sont livrés en toute tranquillité à une opération de camouflage qui a réussi pendant un temps et qui aurait pu continuer si nous n'avions fini par en percer les secrets et à les révéler aux Français.

N'ayons garde d'oublier la justice. Elle a, elle aussi, joué un rôle très néfaste en obéissant aux injonctions gouvernementales qui pressaient les magistrats de ne pas " déclencher un séisme ", comme l'a dit et écrit le procureur de la République d'un des principaux parquets de France. Hormis deux ou trois juges qui ont sauvé l'honneur de la magistrature en appliquant la loi, l'ensemble du corps judiciaire a joué le jeu du pouvoir et refusé imperturbablement de dire le droit, en dépit des lois brandies sous son nez par les requérants.

Du coup, les sociétés d'assurance et les mutuelles n'avaient plus beaucoup de soucis à se faire, d'autant qu'à Bruxelles une escouade de hauts fonctionnaires français, placés aux endroits stratégiques de la Commission européenne, mentaient effrontément à tous ceux qui les interrogeaient sur la fin du monopole de la sécurité sociale et se gardaient bien de faire intervenir les services de la Commission pour faire cesser le scandale de la non application des dispositions communautaires.

L'opération de camouflage reposait sur deux piliers essentiels. Le premier consistait, pour les caisses sociales, les sociétés d'assurance et les mutuelles, confortées par l'administration et les ministres, à affirmer que les directives européennes et les lois de transposition ne concernaient pas la sécurité sociale. Mensonge énorme et grossier, puisque précisément la France avait ajouté un livre entier au code de la sécurité sociale pour transposer les directives ! Mais comment détruire un mensonge quand tous les corps constitués et les médias le valident ? Le second pilier, destiné à se plier officiellement aux nouvelle règles imposées par les directives afin de ne pas se mettre en faute ouverte tout en ne les appliquant pas, a consisté à ne pas faire apparaître les indices qui auraient incontestablement prouvé que les dispositions matérialisant l'abrogation du monopole étaient bel et bien respectées. Or il en existe une qui est capitale et déterminante : l'agrément décerné par les autorités selon les critères fixés par les directives et qui donne le droit d'assurer. Les mutuelles l'ont demandé, obtenu et caché. Les sociétés d'assurance ont décidé d'opérer par l'intermédiaire d'associations de la loi de 1901 et donc d'assurer sans respecter le code des assurances.

Le MLPS, après de difficiles recherches, est parvenu à faire la lumière sur ces pratiques scandaleuses et les révèle aujourd'hui à tous les Français. Il s'agit - excusez du peu - d'ententes entre entreprises, d'entraves à la libre concurrence et d'abus de position dominante. On ne comprendrait pas que les sanctions les plus rigoureuses ne soient pas prises pour punir ces pratiques, ceux qui les ont organisées et ceux qui les ont couvertes. Il est des moments, dans la vie d'une république, où tout son avenir se joue sur la sévérité dont elle est capable de faire preuve à l'encontre de ceux qui en violent les règles.

Claude Reichman

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