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11/10/09 Bernard Martoïa
       L’Amérique est au pain sec et à l’eau, je le sais, j’en arrive !

Chaque visite annuelle aux États-Unis me donne l’occasion de renouer avec la liberté. Pour les Européens et pour les Français en particulier, la liberté est très secondaire par rapport à l’égalité. A chacun son échelle de valeurs…

Crise oblige, les Américains se sont mis au pain sec et à l’eau. Contrairement aux Français, ils ne passent pas leur temps à gémir et à rejeter la faute sur les autres. Le sentiment dominant est celui-ci : « Nous avons vécu pendant trop longtemps au-dessus de nos moyens. Nous avons spéculé immodérément. La sanction tombe aujourd’hui. Il faut l’assumer et en tirer les leçons pour l’avenir. C’est tout ! » Ils raisonnent et se comportent en adultes et non pas en enfants gâtés et irresponsables comme c’est trop souvent le cas en France.

Il existe deux Amériques qu’il ne faut pas confondre : celle progressiste et athée des côtes et des grandes villes, à laquelle les touristes européens s’identifient, et l’autre, celle des comtés ruraux, conservatrice et religieuse. C’est cette dernière authentique à laquelle je suis profondément attaché. La première n’est qu’une Babylone consumériste qui ne présente pas un grand intérêt, si ce n’est la richesse des collections de ses musées. Hormis le passage obligé par l’aéroport de service, celui de Logan à Boston lors de mon dernier voyage, je m’empresse de fuir dans l’arrière pays républicain.

Au programme de cette année, j’avais seulement envisagé deux États : le New Hampshire et le Maine. A la différence des autres touristes, je ne me déplace qu’à pied. Cela me donne le temps de découvrir un pays et aussi de rencontrer des gens au gré de mes haltes dans un bourg pour me ravitailler.

Le circuit type d’un vacancier français est d’avaler 4000 kilomètres de macadam en quinze jours. Il veut tout voir : le Grand Canyon du Colorado, les parcs nationaux du Yosemite ou de la Vallée de la Mort en Californie, et bien entendu Las Vegas et San Francisco. Ce genre de tourisme convient bien à l’air du temps placé sous le signe de l’éphémère. Une impression chasse vite la précédente. Que peut-il rester d’ancré dans leur mémoire après un tel kaléidoscope ?

A chaque fois qu’un Français me demande mon opinion sur tel ou tel circuit américain, je le mets en garde sur son trop grand appétit de découverte. Les distances ne sont pas les mêmes qu’en Europe. Sans succès d’ailleurs. Je n’ai jamais réussi à convaincre un touriste de réduire son projet. Ma philosophie du voyage ne s’accorde pas avec la modernité. Snobisme oblige, les touristes français se sentent obligés de visiter sites naturels et villes renommées, qu’ils s’empresseront de décliner à leur retour. Je ne connais pas Boston mais je connais bien le Massachusetts que j’ai parcouru à pied à deux reprises, du Nord au Sud en 2001, et du Sud au Nord en 2007.

Pendant un mois, j’ai eu la chance de ne pas entendre prononcer un mot de français. Quel plaisir d’échapper aux sempiternels jugements sommaires exprimés par mes compatriotes à l’égard des Américains qu’ils ne connaissent pas !

Comme je me déplace lentement, et plus encore cette année en raison du profil extrêmement difficile du New Hampshire qui ressemble à un escalier géant (ma moyenne horaire est tombée parfois à un mile) j’ai tout le loisir d’observer en journée et de noter, en soirée, mes impressions sur mon carnet à la lumière de la lampe frontale sous la tente. Je tiens ce carnet en anglais pour mieux restituer les témoignages que je recueille.

La crise économique en Amérique est plus profonde que ne le laisse entendre Ben Bernanke, qui a déclaré que son pays a renoué avec la croissance en septembre. Je n’ai pas vu une seule grue ! Le secteur du bâtiment est sinistré. Le seul chantier est la rénovation d’un petit tronçon de la route 27 dans le Maine, qui relie Auburn à la frontière canadienne. En revanche, j’ai compté vingt-quatre grues qui participent à la construction du nouveau terminal de Francfort, en Allemagne, et qui va accueillir, en 2011, l’avion géant A-380 du consortium européen E.A.D.S.

La relance keynésienne de l’administration Obama n’a profité qu’à Wall Street et aux dix-neuf grandes banques américaines, jugées « too big to fail » selon l’adage des interventionnistes. J’ai senti, dans la population rurale, une haine implacable à l’égard du sauvetage injustifié des nantis de Wall Street. Les Français sont des veaux à qui les politiciens peuvent raconter n’importe quoi, mais pas les Américains. Arthur Schopenhauer disait : « La haine vient du cœur, le mépris du cerveau, et ces deux sentiments échappent à notre contrôle. » Les élections de 2010 au Congrès s’annoncent passionnantes.

Bernard Martoïa

 

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