www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

24/1/10 Bernard Martoïa 
          L’apprenti sorcier de la Maison Blanche

Ce nom composé, que beaucoup de personnes utilisent sans connaître son origine, est tiré de l’œuvre Der Zauberlehrling de Johann Wolfgang von Goethe (1739-1842). Un magicien confie à son élève l’entretien de son atelier pendant son absence. L’apprenti, un tantinet arrogant et cossard, rechigne à la besogne. Il utilise une formule magique de son maître pour métamorphoser un balai en un être vivant, qu’il charge d’aller, à sa place, puiser de l’eau à la fontaine. Le balai s’acquitte bien au-delà de la tache qui lui a été confiée ; il inonde le parquet qu’il est censé entretenir. L’apprenti sorcier, qui ne sait comment l’arrêter, le brise en deux. A sa stupeur, les deux morceaux de balai reprennent avec frénésie la tache. L’eau apportée par les deux diablotins commence à inonder la maison mais le retour providentiel du magicien fait tout rentrer dans l’ordre.

N’en déplaise aux Français, l’œuvre de celui qui est considéré le plus grand génie de l’Europe par tous les autres Européens vient de nous être rejouée, pas plus tard que le 21 janvier 2010, mais cette fois sur le Nouveau continent. La pièce s’est déroulée à la Maison Blanche avec Barack Hussein Obama dans le rôle principal de l’apprenti sorcier et avec Paul Volcker, l’ancien président de la Fed de 1979 à 1987, dans celui du vieux magicien.

Un an jour pour jour après son arrivée à la Maison Blanche, l’apprenti sorcier nous a annoncé qu’il vient de découvrir la solution à la crise bancaire qui agite le monde, faut-il le préciser, depuis le 15 septembre 2008... Pour cette surprenante révélation devant les caméras du monde entier, il a pris soin de s’entourer du vieux magicien, qui ne boudait pas son plaisir de renouer avec les feux de la rampe après une si longue hibernation, et du jeune lion à la crinière frisée qui piaffait et lui lançait des regards assassins, tant il était confondu par le cynisme de celui qui a été élu président avec l’argent de ses potes de Wall Street.

La reconnaissance des vieux amis, certes encombrants de nos jours en raison de l’opprobre quasi-unanime des électeurs américains mais qui ont été indispensables à son élection (l’argent est le nerf de la guerre), et surtout la droiture intellectuelle ne sont pas les atouts de l’apprenti sorcier de la Maison Blanche. Comme son homologue français, il brille davantage par sa superbe à enfoncer des portes ouvertes qu’à régler les problèmes pour lesquels il a été élu président.

L’apprenti sorcier a aggravé son cas dans sa prestation télévisée. On savait que c’était un personnage vaniteux, mais on a découvert qu’il est aussi vindicatif. L’humilité à reconnaître qu’il s’est fourvoyé depuis son accession au pouvoir n’a jamais transpiré lors de sa prestation qui n’a duré que huit minutes et quinze secondes pour nous expliquer les causes et les solutions à la crise financière, devenue, entre temps, mondiale et économique… C’était bref, vous en conviendrez, pour traiter un sujet aussi vaste et complexe que celui-ci. Pour se dédouaner de toute responsabilité dans la prolongation inutile des souffrances de son peuple, l’apprenti sorcier a dressé un réquisitoire sans appel contre ses vieux amis, qui seraient coupables de tous les maux qui affligent ses concitoyens. (1)

Le Barron’s Magazine a interrogé David Goldman, un grand penseur des marchés financiers, mais qui n’a rien à voir avec le diable Goldman Sachs. Pour Goldman, la règle préconisée par Volcker (la réduction des activités à haut risque des banques) n’est pas un retour au Glass Steagall Act de 1933 et serait une idée qui arrive trop tard. « C’est comme si vous condamnez la porte de l’écurie après que les chevaux se sont enfuis, et que vous êtes seul à rester enfermé. »

Le résultat sera un système bancaire zombie, comme au Japon dans la décennie quatre-vingt dix. On gonflera artificiellement la croissance pour éviter un trop grand nombre de faillites dans l’industrie automobile et dans d’autres secteurs jugés stratégiques comme la banque ; le chômage de masse s’installera pour longtemps dans nos pays et la dette publique s’envolera. C’est le cercle vicieux choisi par les apprentis sorciers keynésiens.

Il n’échappera à personne que cette vindicte publique lancée contre les banquiers de Wall Street intervient après la déroute de la candidate du parti démocrate à l’élection partielle sénatoriale du Massachussetts pour le poste vacant d’Edward Moore Kennedy (1932-2009). L’opportunisme du discours est la seule chose que l’on retiendra de cette médiocre répétition de la pièce inventée par le génie de l’Europe.

L’apprenti sorcier a lancé une réforme bâtarde. Comme il ne maîtrise pas l’économie, qu’il veut se raccrocher, un temps, au magicien mais sans renoncer pour autant à ses chères usines à gaz, il espère s’en sortir par une pirouette. Comme son homologue français, il se contente de faire les choses à moitié.

Les apôtres de l’Obamania évoqueront le «génie», la «science politique» du tacticien (notez que le charisme de l’intéressé a disparu de leur propagande), mais des voix lucides diront que ce garçon manque singulièrement de courage et de conviction, ce qui n’est, après tout, que la manifestation extérieure d’un problème beaucoup plus grave venant de l’intérieur : l’incompétence du personnage. Tant qu’il était dans son rôle de community organizer (militant des minorités), il excellait dans cette sphère particulière. Il avait déjà atteint son seuil d’incompétence en devenant sénateur des États-Unis en 2004. Pourtant, il a été choisi en septembre 2008 par Wall Street au détriment de son adversaire républicain pour une raison simple : les barons voleurs (2) pensaient qu’il était plus «prévisible» que John McCain (sous entendu : il ne trahirait jamais ses généreux donateurs de campagne électorale) (3)

L’apprenti sorcier reste convaincu qu’il a été élu pour ses propres qualités, alors qu’il s’agit d’un rejet de son prédécesseur par le corps électoral. Cette explication, que je suis un des rares à soutenir, y compris dans mon camp conservateur qui refuse de voir le désastre provoqué par George Walker Bush, est maintenant reprise par Francis Fukuyama. (4). George Walker Bush arrive seulement en vingt-huitième position dans le classement des quarante-deux présidents des Etats-Unis. Son père, qui n'a accompli qu'un mandat, est en seizième position.

« Vous êtes trop implacable dans votre réquisitoire pour être crédible», rétorqueront les apôtres de l’Obamania. Obama est encore jeune (il n’a pas cinquante ans) et cela ne fait qu’un an qu’il est à la Maison Blanche. Laissez-lui le temps ! »

C’est l’histoire qui fait les grands hommes et non l’inverse

Harry Truman (1884-1972) connaissait à peine Franklin Delano Roosevelt qui l’avait choisi comme colistier pour son quatrième mandat. Le maître était trop occupé à régler avec son cher « Oncle Joe » les derniers détails de l’après-guerre et à se battre aussi contre sa maladie pour briefer son colistier. « J’ai le sentiment que la lune, les étoiles et toutes les planètes me tombent dessus », confia Harry, le 12 avril 1945, aux reporters recueillant ses premières réactions après le décès de Franklin. A raison. Il ne connaissait même pas l’existence du plan Manhattan (la construction de la première bombe nucléaire menée par l’équipe de Robert Oppenheimer à Los Alamos au Nouveau-Mexique).

Lors de son premier discours devant le Congrès, Truman s’exprima avec son accent terrien du Missouri qui fit pouffer beaucoup d’élus de la nation. Il défendit ses racines modestes. Il avait exercé le métier de paysan pendant douze ans, servi pendant six ans dans la garde nationale du Missouri (1905-1911), avant de s’engager sur le front en France en 1917. Il y termina sa carrière militaire avec le grade de capitaine d’artillerie. C’est le seul président des États-Unis qui ait connu l’horreur des tranchées. Dwight Eisenhower, son successeur, passa la guerre à entraîner des équipages de tank en Pennsylvanie…

Bombardé à la présidence des États-Unis (il n’y a pas d’autre mot pour qualifier cet ancien artilleur), Truman n’invoqua pas le fait qu’il lui fallait une période de rodage. La course imposée par le cynique Oncle Joe pour arriver le premier à Berlin, ou même à Tokyo, ne lui en aurait certainement pas laissé le temps. Il n’avait pas fait Harvard. Il n’avait pas eu l’indécence d’écrire un livre pour raconter sa vie alors que la sienne était plus intéressante que celle d’un militant infatué. Truman était un petit bonhomme à besicles qui n’en imposait à personne, mais il était armé d’un courage, d’une foi, d’une conviction et d’une détermination à toute épreuve.

Il ne faut pas confondre un apprenti sorcier avec un homme d’État. C’est l’erreur commise par le peuple américain en 2008. Pouvait-elle être évitée quand l’hypocrisie est reine avec l’idéologie de political correctness inventée par la gauche dogmatique sur les campus universitaires au début des années soixante ?

Bernard Martoïa

(1) Archives du 16 octobre 2009, « L’Amérique au pain sec et à l’eau », et du 31 octobre 2009, Main Street versus Wall Street.

(2) « Theodore Roosevelt, Tome 1 : l’ascension d’un homme courageux », de Bernard Martoïa, aux éditions Le Manuscrit.

(3) « La face cachée des banques », d’Eric Laurent, aux éditions Plon.

(4) « Obama s’est trompé sur la signification de son élection », par Francis Fukuyama, Le Figaro du 20 janvier 2010.


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme