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3/1/10 Bernard Martoïa

La spéculation financière a repris de plus belle
A quand la révolte du peuple ?

«C’est l’un des droits absolus de l’État de présider à la constitution de l’opinion publique.» Joseph Goebbels.

Alors que les médias font les louanges du travail accompli par nos indécrottables néo-keynésiens (Time Magazine a élu Ben Bernanke, le président de la Fed, l’homme de l’année 2009), il existe encore quelques gens lucides en Amérique malgré une propagande digne de celle du docteur Joseph Goebbels…

Le curriculum de l’intéressé (1897-1945) mérite que l’on s’y attarde avant d’entrer dans le vif du sujet. En 1921, Goebbels obtint son doctorat de l’université de Heidelberg en soutenant une thèse sur le romantisme du XVIIIe siècle. Il commença à travailler en tant que journaliste mais il changea de métier et devint, tour à tour, employé de banque et courtier à la bourse de Berlin. Après l’occupation française de la Ruhr en 1923, il entra en contact avec le naissant parti national-socialiste. L’année suivante, il laissa tomber la bourse et entama une brillante carrière dans ce parti en devenant gauleiter (chef de section) de Berlin. Toute comparaison entre le climat de son époque et celui de la nôtre est à proscrire pour les tenants de la politique de l’autruche.

Dans son édition du 23 décembre 2008, le Barron’s Magazine a publié un entretien mené par Robin Goldwyn Blumenthal avec Kevin Duffy et Bill Lagner, qui sont les gérants du hedge fund Bearing Asset Management, basé à Dallas dans le Texas. A l’aide d’un indice sur les bulles qu’ils ont développé en 2004, ils ont anticipé les excès du crédit immobilier et gagné beaucoup d’argent en vendant à découvert Fannie Mae et Freddie Mac, les sœurs jumelles fédérales du refinancement hypothécaire. A l’échelle des mastodontes de la profession, leurs actifs qui s’élèvent à soixante millions de dollars sont étriqués. Les ménages américains qui leur ont fait confiance ne s’en plaindront pas. Depuis le lancement de leur hedge fund en juin 2002, les deux compères ont engrangé un profit de 18 % en moyenne par an.

Il s’avère que ces deux managers sont des adeptes de l’école autrichienne. Pour eux, le pire de la crise financière n’est pas derrière nous comme ils l’ont expliqué au reporter du Barron’s Magazine.

« Barron's : Vous avez dit que le fait le plus rédempteur du capitalisme est la faillite. Expliquez-vous s’il vous plait.

Duffy : Tout système a besoin de corriger ses erreurs et de se débarrasser de ses pertes. La nature a l’extinction, l’économie la perte, la faillite, la liquidation. Interférer dans ce processus rallonge la reprise économique. Si vous permettez ces erreurs et ces gaspillages, vous avez, en fin de compte, une faillite massive.

Le capitalisme est attaqué par deux groupes : les utopistes qui souhaitent imposer un système plus compassionnel, et les politiques qui veulent avoir les fruits du succès sans supporter la peine des faillites. Ils ont recours à la coercition de l’État pour conserver leurs privilèges, et ce au détriment de tout le monde.

Dans notre pays, nous sommes devenus moins tolérants envers les faillites. Le résultat a été une série d’interventions, comme celles sur les marchés de crédit, en faisant la promotion du droit à la propriété des minorités ethniques et en créant une variété de filets de sécurité pour les investisseurs. Chaque crise conduit à une autre de plus grande ampleur. La solution est toujours d’administrer des doses plus fortes d’intervention. Ainsi le système devient plus instable. Les interventionnistes ne voient jamais venir l’éclatement de la bulle, et ils blâment alors le «capitalisme.»

Barron’s : Qu’auriez-vous fait à la place des autorités alors que la bulle immobilière éclatait et que la Fed et le Trésor déclaraient que ce serait la fin du monde si l’on n’injectait pas 800 milliards de dollars ?

Duffy : Autoriser ceux qui ont spéculé à faire faillite, au lieu d’aider les nantis qui ont des amis bien placés pour les renflouer.

Barron’s : Que pensez-vous de l’argument selon lequel une crise financière aurait laminé les petites gens ?

Duffy : Le petit gars a été nettoyé. Personne ne demande d’où vient l’argent. Cet argent a servi essentiellement à renflouer Wall Street au détriment de Main Street. Le petit gars sera toujours le dernier dans la file d’attente à la soupe. On lui donnera un croûton, comme dans la prime à la casse des voitures. Mais si vous êtes Goldman Sachs ou si vous avez une ligne rouge directe avec Washington, DC, vous serez le premier dans la file d’attente.

Laggner : A.I.G s’est assuré que ses créditeurs soient remboursés à 100 %. Essentiellement, vous avez la socialisation du risque, mais les survivants ont un effet de levier plus élevé qu’avant la crise. Il y a encore des trillions de dollars dans le hors-bilan des banques auquel le FASB (Financial Accounting Standards Board) veut s’adresser en 2010. Les grands planificateurs ont déjà dépensé 3,15 trillions de dollars dans des opérations de sauvetage, et ils ont accordé la garantie à environ 17,5 trillions de dollars, tout en laissant en place les mêmes gens.

Barrons’s : Quoi d’autre auriez-vous fait à leur place ?

Laggner : Nous aurions pu isoler les grandes banques et les placer temporairement sous administration judiciaire. Puis, nous les aurions démantelées (1) – avec simplement 100 milliards de dollars – en créant des milliers de petites banques régionales. Si vous croyez au système de fractionnement des fonds propres des banques (dans lequel les banques prêtent avec un effet de levier), une chose que nous réprouvons, ils auraient pu créer un trillion de dollars de crédits en faveur des petites et moyennes entreprises. C’est choquant qu’il n’en soit pas ainsi.

Parce qu’il n’y a pas eu de réforme, il semble que nous allons devoir encore dépenser plus d’argent. Nous sommes entraînés dans une spirale où la dette va exploser. Pendant ce temps, le coût des fonds en faveur des petites et moyennes entreprises ne cesse de croître, alors que le coût de l’argent prêté aux grandes banques est pratiquement nul, et qu’elles en profitent pour spéculer comme jamais, alors que leur rôle serait d’irriguer cet argent vers la vraie économie.

Barron’s : Quel genre de réforme financière aimeriez-vous voir ?

Laggner : Nous ne croyons pas au concept de banque centrale. L’idée que les banques peuvent spéculer avec l’argent gratuit imprimé par la Fed, qui ultimement est celui du contribuable, et que lorsqu’ils perdent cet argent, la Fed leur vienne en aide et refile l’ardoise au contribuable, ce modèle est foutu et doit être remplacé.

Barron’s : Comment refaçonneriez-vous le système ?

Duffy : Pour aller au fond des choses, nous devons revoir le fractionnement des fonds propres des banques, qui est la cause de l’instabilité. Nous avons essentiellement socialisé en garantissant les dépôts et prévenu la répétition des bank run (la course pour retirer ses fonds à la banque soupçonnée de faire faillite), qui imposait une discipline dans un système instable. Au moins, il y avait une forme de contrôle à l’égard de ceux qui prenaient des risques inconsidérés. Tant que nous ne réglerons pas ce problème de fond, nous aurons encore des crises, des interventions plus grandes et des bulles encore plus dévastatrices. C’est inhérent au système de banque centrale.

Barron’s : Où en sommes-nous dans le processus de deleveraging (diminution de l’effet de levier) ?

Laggner : Nous avions une bulle du crédit, grâce au hors-bilan des banques qui représentait quatre à cinq fois le PNB du pays. En raison de l’action du gouvernement, nous avons transféré cette bulle du crédit dans une bulle qui est celle de la dette souveraine.

La question est de savoir comment le gouvernement va financer toute cette dette. Comme l’économie réelle se contracte et que la sphère politico-financière gonfle, la stratégie d’une dévaluation coordonnée du dollar va échouer.

Duffy : Le risque immédiat est l’économie. Nous avons eu une fausse reprise. L’optimisme des marchés est revenu au niveau extrême enregistré en 2007. Nous avons établi une stratégie double : longue sur l’or physique et courte sur l’indice Standard & Poor’s 500. Au zénith de 1980, le ratio de l’once d’or par rapport au S&P était de six. Au nadir de 2000, il était tombé à 0.2. Aujourd’hui, il est égal à un. Nous pouvons aller vers un ratio de deux, trois ou quatre.

[Avis aux ménages français en mal de placement ! L’once d’or vaut 1097 $ et l’indice S& P a terminé l’année 2009 à 1115 points, ce qui donne un ratio de 0,98. Selon l’hypothèse de Duffy, l’once d’or pourrait donc doubler, tripler ou quadrupler.]

Barron’s : Voyez-vous le S&P 500 retester le nadir de l’année 2009 ?

Duffy : Il est difficile de le savoir. Cela dépend de combien de monnaie sera imprimée. En valeur réelle, pouvons-nous diviser par deux la valeur de l’indice ? Nous le pensons. L’indice est faussé à cause des bricolages des bilans des banques et des maisons de courtage. Si les banques étaient marked to market (valeur adossée au marché et non pas à l’expiration de l’instrument financier sous-jacent), le bénéfice de l’indice S&P pourrait tomber à 45$. Le sentiment bullish rivalise avec celui du pic du marché en 2007. Nous aimons le VXX, l’indice de volatilité. Il a baissé de 67 % en 2009. Il indique une grande complaisance à l’égard des perspectives de reprise économique.

Barron’s : Quels sont vos autres thèmes ?

Laggner : Nous vendons massivement à découvert les bons du Trésor américain et japonais. Le déficit budgétaire de la Grèce approche 15 % du PNB. Si vous prenez en considération que le sénat américain vient de voter une augmentation du plafond du déficit budgétaire de 12,1 trillions à 12,4 trillions de dollars, nous sommes pratiquement à un déficit de 13 % pour cette année fiscale. Fondamentalement, nous sommes tombés au niveau de la Grèce, où le yield sur les bons du trésor à dix ans a augmenté de 170 points (un point est égal à un centième de pourcentage). Les bons du trésor américains sont en baisse de 20 % cette année. Ainsi nous assistons à une défiance des créanciers, et les taux à long terme vont sensiblement augmenter.

La Fed a contrôlé le long terme en monétisant les treasuries and mortgage-backed securities (actions adossées aux emprunts hypothécaires et à ceux du Trésor). S’ils réalisent que la valeur de ces actifs s’effondre, ils vont en racheter massivement, ce qui provoquera, à son tour, une chute du dollar et une hausse de l’or. L’or ne reflète pas simplement la crainte inflationniste mais l’instabilité dans le monde liée aux politiques keynésiennes adoptées par les gouvernements.

Barron’s : L’Union Européenne a dit qu’elle ne renflouerait pas la Grèce.

Laggner : Peut-être sommes-nous à un tournant où les sauvetages ont été si extrêmes que les gens de la Fed et de la B.C.E se disent que l’on ne peut plus continuer ainsi sans voir le risque d’une évaporation des monnaies en l’espace d’une nuit. Mais nous n’avons pas encore vu les gouvernements tailler dans les dépenses publiques, que ce soit ici ou en Europe.

Barron’s : Concernant les grandes banques, quel dénouement envisagez-vous ?

Laggner : Il y a un désendettement des ménages, mais pratiquement pas des spéculateurs professionnels. Le Crédit Suisse autorise ses clients de hedge-fund à retourner à des leviers du pic de 2007. En supposant que les régulateurs obligent les banques à intégrer leur hors-bilan, les analystes de Barclays estiment que cela va ramener près de 500 milliards de dollars dans leurs bilans en 2010. Cela va forcer les banques à augmenter leur capital.

Le FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) a pris le contrôle de Corus Bank et Guarant Bank et liquidé leurs actifs douteux. Leur valeur représente entre 33 et 37 % du dollar. Tant que les régulateurs n’auront pas forcé les banques à réaliser ces pertes, c’est comme si la sphère financière restait en lévitation. Un grand nombre de CMBS (commercial mortgage backed securities) ne trouvent plus de preneur. La même chose vaut avec l’immobilier résidentiel, que l’on modifie ou non un prêt. Les banques sont capables de dire que ces prêts sont performants, même s’ils ne le sont pas. Le Japon avait essayé la même chose et cela ne fit que retarder l’assainissement. Nous empruntons la voie japonaise.

Barron’s : Cela ne peut être bon pour les banques.

Duffy : Nous avons une position à découvert sur la sphère politico-financière, et plus particulièrement sur la firme Goldman Sachs. Elle a deux faces : une très secrète et profitable activité de trading et un business plus terre à terre. Notre suspicion est que leur sauce secrète (2) est d’avoir accès à des amis haut placés, et que ce modèle va s’effondrer quand il volera trop près du soleil ou qu’une réaction violente du public aboutira à une enquête. Leur trading représente 67 % de leur bénéfice net pour cette année, un niveau jamais atteint. Goldman Sachs, par son agressivité dans la prise de risque, est vulnérable au prochain retournement du marché.

Barron’s : En parlant de réaction violente, nous avons maintenant des dirigeants de Goldman Sachs portant des armes à feu pour se protéger de la rage populaire. A quel niveau faut-il parvenir pour qu’une société demande un changement de gouvernement ?

Laggner : Un client m’a envoyé un e-mail, l’autre jour, dans lequel les manifestants du tea-party recueillent une approbation plus grande que les Démocrates et les Républicains. Alors que l’arrogance des banquiers et des gens de la Fed continue de croître, 2010 et les élections de mi-mandat s’annoncent très excitantes.

Duffy : 70% des gens sont opposés au sauvetage des grandes banques. Avec ces interventions massives, le gouvernement a été capable de stabiliser le système politico-financier. Les gens sont ulcérés. L’indice de confiance des consommateurs n’a pas rebondi comme celui des investisseurs. Si la sphère politico-financière demande un autre sauvetage, alors il faut s’attendre à une réaction violente du public.

Pour que la récession s’achève un jour, il faudrait que la leçon soit enfin retenue. Mais les élites qui n’ont pas vu arriver l’éclatement de la bulle (elles sont nombreuses) demeurent optimistes sur la reprise de la croissance en 2010. Nous n’avons pas changé de comportement ; la récession ne se terminera pas tant que nous ne l’aurons pas fait. »

Pour conclure dans le même registre, la citation de Talleyrand, s’exclamant, en septembre 1815, au retour des émigrés en France à la Restauration, « Ils n’ont rien appris, ni rien oublié », demeure d’une surprenante actualité à l’égard des élites européennes arrogantes qui se moquent éperdument de la volonté contraire de leurs peuples avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Puisque le peuple n’est ni consulté, ni suivi quand il s’exprime par la voix du référendum, il ne reste plus qu’à organiser un tea-party à travers l’Europe selon l’exemple donné par les colons américains, le 16 décembre 1773, quand ils se soulevèrent contre l’occupant anglais.

Bernard Martoïa

(1) Archives : samedi 14 novembre 2009, « Démanteler les méga banques : l’idée progresse ! »
(2) Archives : samedi 18 juillet 2009, « La théorie de la conspiration est revisitée. »

 

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