Comment son modèle social a tué l’industrie
automobile américaine
"Tous les gens ruinés le sont à cause de leur propension naturelle",
Edmond Burke (1729-1797)
Le marché est hermétique aux mauvaises nouvelles…
L’indice Dow Jones a clôturé vendredi 29 mai à 8500 points. Il a gagné
223 points, soit 2,7 % dans la semaine écoulée. Contrairement à ma
prédiction de la semaine dernière, la pandémie d’exubérance irrationnelle
E2I2 n’est pas encore conjurée.
Faute de crédit, des criminels seront bientôt remis en liberté en
Californie.
Les électeurs californiens ont rejeté cinq propositions sur six dans le
référendum organisé le 20 mai 2009. La proposition 1A relative aux finances
publiques est celle qui intéresse le plus les conservateurs. Concernant la
proposition de mariage de gens du même sexe, reportez-vous à la presse
française qui en fait ses choux gras.
Présentée par le député républicain Roger Niello à la Chambre basse de
Sacramento, la proposition 1A visait à limiter les déficits et les dépenses
futures de l’Etat qui, avec ses trente-six millions d’habitants, est le plus
peuplé de l’Union. Concrètement, il s’agissait d’augmenter la taille d’un
fonds de réserve baptisé «rainy day» (jour pluvieux). Tout surplus éventuel
de recettes devait être reversé obligatoirement à ce fonds qui devait servir
d’amortisseur en période de récession. Par une majorité de 66 %, les
électeurs californiens ont rejeté cette proposition de bon sens.
Le gouverneur Arnold Schwarzenegger va devoir tailler à la hache dans les
dépenses. Faute de crédit pour le système pénitentiaire qui est le premier
budget de l’Etat, des milliers de prisonniers seront relâchés dans la
nature. Fera-t-on un tri entre les criminels et les autres ? J’en doute en
raison de la pagaille qui règne à Sacramento.
Le problème de la Californie ne date pas d’hier. Il remonte très
précisément au 6 juin 1978 lorsqu’un autre référendum (proposition 13) fut
adopté sous l’égide du gouverneur Ronald Reagan. La section 1 de cette
proposition était la suivante : « Le montant maximal
de toute taxe foncière ad valorem ne saurait excéder 1 % de la valeur de
ladite propriété.» Si ce principe était bon (fiscalité minimale), il fallait
en tirer la conséquence, à savoir une limitation correspondante des dépenses
publiques. Mais députés et sénateurs démocrates, qui règnent sans partage au
parlement de Sacramento depuis le rattachement de cet Etat à l'Union en
1850, ont toujours refusé d’équilibrer les dépenses et les recettes.
Il existe plus de cinq cents agences, départements, commissions et
administrations dans ce bastion démocrate. Pour consulter la liste complète,
reportez-vous au lien (1) Vous lirez qu’en matière de bureaucratie, la
Californie n’a rien à envier à la France.
Pour faire plaisir au syndicat U.A.W et au président Obama, le
Michigan sera très bientôt l’Etat le plus subventionné de l’Union
Un autre Etat de l’Union est également au bord de la faillite. Il s’agit
du Michigan. Un million de foyers seront touchés directement par la
liquidation des constructeurs automobiles Chrysler et General Motors,
laquelle sera vraisemblablement annoncée en début de semaine prochaine.
Le management de ces deux entreprises ressemble étrangement à celui de la
Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF) en France. Dans une enquête
menée par Peter Boyer « The Road Ahead » et publiée, le 27 avril, par le
magazine The New Yorker, on apprend que le nombre d’actifs est quatre
fois moindre que celui des retraités ! C’est exactement le même ratio
actif/inactif dans l’entreprise phare française. Avec le système imposé par
le tout puissant syndicat United Auto Workers (UAW) qui a
l’exclusivité de la représentation syndicale des salariés de l’entreprise,
trente annuités sont suffisantes pour collecter une généreuse pension.
Ainsi, l’âge de la retraite sonne à quarante-huit ans pour l’ouvrier qui est
entré à dix-huit ans dans l’entreprise. C’est mieux qu’à la S.N.C.F où l’âge
légal de la retraite est à cinquante ans.
Quand les patrons de l’industrie automobile vinrent plaider, séparément
et en avion privé, leur cause auprès du Congrès (2), ils furent surpris de
l’accueil sarcastique qui leur fut réservé. Ils s’attendaient sans doute à
ce que les cordons de la bourse fussent déliés sans leur poser trop de
questions. Mais le sénateur républicain Bob Corker du Tennessee voulait leur
poser des questions pertinentes.
Lors d’un interrogatoire serré au sein de la commission des finances, il
fut révélé que les dinosaures n’avaient aucune chance de survivre à la
crise. Ce n’était pas par manque d’imagination de la part de la direction,
comme le martèle la presse gauchiste française, mais à cause des clauses
léonines qui furent imposées par le syndicat dans un contrat baptisé « Jobs
Bank ». Ce contrat fut signé en 1984 sous la présidence de Ronald Reagan qui
n’était nullement concerné par cette affaire de droit privé. Il est dommage
qu’il n’eût pas été consulté car ces entreprises auraient pu s’adapter à la
concurrence internationale si elles avaient eu les coudées franches…
A un moment de l’enquête, marquant un ton d’incrédulité, Corker dit qu’il
avait entendu dire que les sociétés gardaient leurs usines en production
même s’il n’y avait pas de demande pour ces voitures, parce que le contrat
avec le syndicat rendait trop cher d’arrêter les chaînes de montage. Corker
demanda à Robert Nardelli, le président directeur général de Chrysler, si
c’était vrai. Nardelli, la tête entre les mains, répondit :
-C’était une obligation contractuelle. Si nous arrêtions une chaîne, nous
devions continuer à payer les salaires à hauteur de 95 %.
- Cela me paraît problématique, je veux dire, en surface, répondit Corker.
Et il me semble que vous demandez vingt-cinq milliards de dollars pour
supporter une clause qui ne serait tolérée dans aucune autre entreprise de
ce pays.
C’est pourtant ce qui se passe chaque année en France lorsque le
directeur de la SNCF demander une dotation de dix milliards d’euros au
gouvernement.
En 1984, l’usine Nissan à Smyrna dans le Tennessee (Corker est le
sénateur de cet Etat) commençait à tourner à plein régime et Honda
construisait une usine à Marysville dans l’Ohio. Flairant le danger, les
dirigeants de General Motors, voulurent robotiser leurs usines pour
augmenter la productivité. Le syndicat U.A.W imposa la clause suivante pour
dissuader la direction : tous les ouvriers licenciés devront être versés
automatiquement dans le programme «jobs bank» et recevront un salaire à
hauteur de 95 %. Ils ne seront pas obligés de rechercher un autre emploi.
Ainsi, comme l’a rapporté le journal Detroit News, beaucoup de ces licenciés
ont passé leur temps à jouer aux mots croisés à leur syndicat. Pour chaque
voiture sortant des chaînes de montage de Chrysler et General Motors, il est
estimé un surcoût de 1500 $ pour payer ces extravagances. Mais la hausse
faramineuse du pétrole, l’an dernier, a mis fin au « modèle social » du
Michigan.
Quand Corker demanda aux trois présidents leur plan pour les vingt-cinq
milliards de dollars, ils avouèrent qu’ils n’avaient pas de plan spécifique
et qu’ils se partageraient le montant en fonction de la part de marché de
chacun. « J’étais embarrassé pour eux », dira plus
tard Corker en séance plénière du Sénat.
L’hostilité à l’égard du modèle social du Michigan reflète la fracture
qui est en train de s’opérer au sein du parti démocrate. Le centre de
gravité n’est plus Détroit mais Denver dans le Colorado, un autre Etat de
l’Ouest qui a basculé dans le camp démocrate lors de la dernière élection
présidentielle.
L’idéologie dominante du parti de l’Ane n’est plus celle des syndicats,
des cols bleus et de leurs usines qui disparaissent rapidement au profit
exclusif de la Chine, mais celle de l’environnement et des sociétés de haute
technologie.
Obama a surfé sur la vague verte pour l’emporter. Il a raflé la mise
auprès des jeunes cadres qui rêvent d’air pur, d’eau fraîche et de ballades
à vélo tout terrain dans les Rocky Mountains.
Cette évolution pèse sur les constructeurs automobiles. Ainsi le Sierra
Club de San Francisco, le club à l’avant-garde de l’écologie, a mené une
ardente campagne contre l’usage des S.U.V (sport utility vehicles),
les véhicules à quatre roues motrices qui défoncent la nature.
Si nous ne connaissons pas encore les détails de la liquidation, les
grandes lignes ont été jetées par le président Obama. Les dinosaures seront
démantelés et fourgués à des investisseurs étrangers. Grâce au pouvoir de
nuisance du syndicat U.A.W, le généreux système de protection sociale
devrait être préservé pour les anciens. En revanche, les nouveaux employés
auront un statut aligné sur celui des usines japonaises opérant sur le sol
américain.
Déjà une polémique a surgi concernant le traitement privilégié des futurs
licenciés du Michigan alors que ceux qui souffrent du chômage en Californie,
en Floride et ailleurs n’ont fait l’objet d’aucune considération. Cela nous
ramène à l’adage en vogue à la Maison Blanche et à la Fed : « Too big to
fail !» On ne peut pas laisser tomber le Michigan mais on peut laisser
crever les autres qui sont plus petits.
Que les admirateurs d’Obama en Europe veuillent l’admettre ou non, leur
idole applique la real politic (le cynisme à l’égard des forces en
présence) dans ce plan de sauvetage tant attendu, car il concerne le futur
de l’ex-première entreprise du monde.
Bernard Martoïa
(1) Source :
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_California_state_agencies
(2) Dans mes archives, article du 24 novembre 2008 intitulé : « Deux
poids, deux mesures. » |