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31/10/09 Bernard Martoïa

Il faut dépecer les grandes banques … sinon la catastrophe financière va se reproduire avant longtemps !

Woodrow Wilson se plaisait à dire que l’homme qui nage à contre-courant connaît la force de celui-ci. Mais le vingt-huitième président des Etats-Unis se garda bien de l'expérimenter. Il préféra se ranger derrière la majorité pacifiste plutôt que de préparer son pays à la guerre... Aussi vais-je reprendre sa litote à mon compte en déclarant que «seul celui qui nage à contre-courant connaît la force de celui-ci.» J’en sais quelque chose !

Le lundi 15 septembre 2008, quand la banque d’investissement Lehman Brothers dut déclarer sa faillite, sous la contrainte de Henry Paulson, juste avant l’ouverture du marché à Wall Street, j’étais en train de marcher sur le chemin des Appalaches. Je n’appris la nouvelle que cinq jours plus tard lors d’un ravitaillement dans une bourgade de Pennsylvanie. Puis, au hasard de mes haltes, je découvris sommairement l’ampleur des dégâts collatéraux.

Dès mon retour en France, je n’eus de cesse, dans le maelström de la toile, d’essayer de comprendre pourquoi cette catastrophe s’était produite. Après trois semaines à séparer le bon grain de l’ivraie, je fus en mesure de me forger une opinion qui était diamétralement opposée de celle des perroquets de la pensée unique. Ce n’était pas le marché qui était responsable de la catastrophe, mais les autorités de tutelle qui avaient failli à leur mission. Pour paraphraser Carl Menger, il ne faut pas confondre les causes et les conséquences. De son côté, le locataire de l’Elysée retourna sa veste lors de son discours du 25 septembre 2008 à Toulon. « A gauche toute ! » déclara l’amiral qui était davantage préoccupé par sa réélection, à l'horizon 2012, que par l’avenir de la flotte...

Dès le 15 novembre 2008, le jour de la première rencontre du G20 à Washington, je me mis à nager à contre-courant de la pensée unique en écrivant (vous pouvez le vérifier sur le site de Claude Reichman) qu’il fallait restaurer le Glass Steagall Act. Ayant à l’esprit le naufrage du Titanic, la priorité était pour moi, dans un premier temps, de restaurer une cloison étanche entre les banques de dépôt et les banques d’investissement, laquelle avait été enlevée, dans l’euphorie de la bulle Internet, par le président Bill Clinton. Les perroquets rouges, roses ou verts avaient, quant à eux, d’autres priorités : la lutte contre les paradis fiscaux, une taxe Tobin prélevée sur toutes les transactions financières à l’échelle mondiale, une taxe carbone pour lutter contre la surchauffe de leurs neurones ou une énième règlementation bancaire comme si ce secteur n’en avait pas assez !

Cette première réunion du G20 à Washington accoucha d’une souris car les participants durent se rendre à l’évidence qu’il fallait attendre l’arrivée du nouveau locataire de la Maison Blanche avant de décider quoi que ce soit. Ils auraient pu épargner aux contribuables américains les dépenses inutiles de ce sommet s'ils connaissaient la coutume américaine. En raison d’un archaïsme de celle-ci, la transition est longue entre l’élection présidentielle du premier mardi de novembre et la prise de fonction du 20 janvier. Le « messie noir » se faisait attendre… Mais ses fidèles, qui étaient légion en Europe lors de son élection, déchantèrent lors du second G20 réuni à Londres le 2 avril 2009. Barack Obama devait son élection aux grands banquiers de Wall Street. Prisonnier de ses engagements de campagne, il ne pouvait aussitôt les décevoir. Aussi toute réforme sérieuse du système financier fut-elle soigneusement écartée. Les technocrates des banques centrales s’entendirent pour rafistoler la tuyauterie, mais en deçà de ce qui était nécessaire. Flairant qu’il n’y aurait pas d’accord favorable aux thèses marxistes soutenues par les médias français, le locataire de l’Elysée emprunta les bottes trop grandes pour lui du général de Gaulle en voulant pratiquer la politique de la chaise vide.

Dès que les banquiers reprirent leurs mauvaises habitudes, les perroquets poussèrent des cris d'orfraie. Dans le capharnaüm qu'est devenue cette pauvre France, j'écrivis qu’il ne servait à rien de les morigéner. C’était une conséquence logique de l’interventionnisme étatique pratiqué, hélas, par la quasi-totalité des gouvernements occidentaux. Quand le tsunami balaya leurs rivages le lendemain de la chute de Lehman Brothers, tous les Etats européens se portèrent au secours de leurs banques. Critique à l’égard de cette aide unilatérale qui allait à l’encontre de sa philosophie du laissez-faire, la chancelière Angela Merkel dut en rabattre lorsque ses conseilleurs lui apprirent que Hypobank, la seconde banque de son pays, était aussi plombée que Lehman Brothers.

Henry Paulson, l’ancien secrétaire du Trésor américain, avait déclenché ce tsunami en laissant choir Lehman Brothers. Aurait-il agi différemment s’il n’avait été aussi l’ancien président de la banque d’investissement Goldman Sachs qui était la grande rivale de Lehman Brothers ? Malgré ses dénégations quand on le somma de s’expliquer, je compris qu’il n’était pas animé des meilleures intentions et qu’il avait préféré régler ses comptes avec Richard Fuld, le président de Lehman Brothers, que de prendre en considération l’intérêt général qui dictait un sauvetage de son rival.

Quand Richard Fuld fut convoqué devant la commission des finances de la Chambre des Représentants, présidée par le démocrate californien Harry Waxman, il ne comprenait toujours pas pourquoi on l’avait laissé tomber alors que le gouvernement s’était porté au secours de Bears Stearn, de Merrill Lynch et de l’assureur A.I.G. A défaut de compassion pour celui qui avait parié sur une titrisation des toxiques subprimes, je partageais sa perplexité et son désarroi et ne pouvais souffrir la curée dont il était alors victime. Lorsqu'un grand malheur s'abat, un peuple s'empresse de sacrifier un individu pour conjurer le mauvais sort. Deux millénaires de vernis de civilisation n'ont rien changé à nos instincts de primates.

Restaurer l’aléa moral est la seule solution pour responsabiliser les banquiers. Pour ceux qui ne connaitraient pas ce concept abscons, il s'agit tout simplement de rétablir le bon sens dans la sphère économique. Si vous êtes toujours prêt à protéger les banquiers des conséquences de leurs propres erreurs, votre bienveillance sera prise en compte et ils sauront qu'ils pourront prendre encore plus de risques que la fois précédente. L'histoire ne tardera pas à le prouver.

Mais il y a un préalable à la restauration de l'aléa moral que la chute de Lehman Brothers nous a appris à nos dépens. Il faut qu’aucune banque n’atteigne une taille critique supérieure à 10 % du PNB d’un pays. Tant que ces mastodontes n’auront pas été démantelés, ils feront toujours courir un risque systémique à l'ensemble du système financier. Il appartient donc à tout gouvernement de mener cette opération de salubrité publique. Commençons en France par dépecer en dix entités distinctes la Société Générale et BNP Paribas avant d'envisager un retour de l'aléa moral. Il faut comprendre que cette opération revient à demander aux inspecteurs des finances de se faire hara kiri. Leur intérêt catégoriel doit s'effacer devant l'intérêt général de la nation. Mais quel homme d'Etat aura le courage de leur demander ce sacrifice ?

Le statu quo des grands argentiers est en train de s’effriter. Shela Blair est la présidente du F.D.I.C (Federal Deposit Insurance Corporation). Cette républicaine du Midwest a beaucoup de pain sur la planche. Avec des fonds très limités, elle doit endiguer l’inexorable marée des petites banques américaines qui font faillite au rythme maintenant de deux par semaine. C’est le revers du paradigme en vogue à Wall Street (too big to fail) et qui pourrait se décliner ainsi : «too small to be rescued». (Vous êtes malheureusement trop petite pour être sauvée)

Shela Blair veut rompre avec ce cynisme qui est insupportable aux yeux de beaucoup de ses concitoyens qui paient chèrement aujourd’hui les frasques des grands banquiers qui ont le culot de s’arroger, à nouveau, des bonus indécents. Le 12 octobre à Istanbul, lors d’une réunion du F.M.I, elle a déclaré qu’il fallait restaurer l’aléa moral pour tout le monde ! Les perroquets en France se sont gardés de reprendre sa courageuse annonce, mais Alistair Darling, le gouverneur de la banque centrale du Royaume Uni, et ensuite Timothy Geithner, le secrétaire du Trésor américain, viennent de lui emboîter le pas.

Saluons le regain de lucidité des citoyens américains. De plus en plus d'entre eux se rallient à la position de l’école autrichienne et réclament que l’aléa moral soit appliqué à tout le monde. Il aura donc fallu un peu plus d'un an pour que quelques grands décideurs d’Outre-Atlantique ou d’Outre-Manche réalisent, sous la pression d’une opinion publique exaspérée, ce qu’il convient de faire pour prévenir un nouveau tsunami financier.

En revanche, n’attendez pas de Paris ou de Berlin un tel message d’espoir. L’heure est toujours à morigéner les banquiers en leur intimant de se comporter avec un minimum de décence vis-à-vis d’une opinion publique infantilisée. Il est en effet plus facile de faire semblant de taper sur les doigts des banquiers que de remettre en question un modèle étatiste, certes périmé, mais toujours payant sur un plan électoral. Dans le système actuel, les profits sont pour les banquiers et les pertes pour les contribuables. Quand les contribuables européens comprendront-ils que cet arbitrage s’exercera toujours à leur détriment ? C'est tout le problème des peuples qui ont trop longtemps vécu dans un Etat providence et qui ne savent plus où se situent leurs propres intérêts qui sont marginaux par rapport à ceux de la nomenklatura en place.

Bernard Martoïa

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