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15/9/09 | Bernard Martoïa |
Bernanke et les
banquiers centraux se prennent pour Dieu ! Le renouvelement du mandat de Ben Bernanke à la tête de la toute puissante Federal Reserve Bank a été annoncé le 25 août dernier. Son mandat n’expire que le 31 janvier 2010 mais le président Obama a préféré prendre les devants, sans doute pour rassurer le marché. Mais à quel marché fait référence cette nomination ? La plus belle justification du marché émane de l’église. Le cardinal espagnol Juan de Lugo (1583-1660) écrivit : « Le juste prix dépend de tant de facteurs qu’il ne peut être connu que de Dieu ! » Quelques années auparavant, Juan de Salas, un jésuite espagnol de l’école de Salamanque, avait conclu que les facteurs contribuant à élaborer un prix du marché sont si complexes que « seul Dieu, mais pas un homme, peut les comprendre ! » Dans la théologie des scolastiques de Salamanque, le « juste prix » résulte de l’interaction des acheteurs et des vendeurs. Les tentatives pour établir un prix étaient considérées avec beaucoup de scepticisme par les jésuites. Ces tentatives n’étaient-elle pas une usurpation du pouvoir de Dieu ? En quoi le débat d’un petit groupe de jésuites de l’école de Salamanque, qui a duré deux siècles, peut-il nous intéresser de nos jours ? Il y aura bientôt vingt ans, le 9 novembre 1989, s’écroulait un ordre économique fondé sur la planification. Ce modèle avait la prétention de remplacer le « chaos » du marché pour améliorer le sort des ménages. Bien que cet ordre totalitaire ait disparu pour le plus grand bien des Russes, il s’est acclimaté en France. Avec une rare conviction, le président de la République a déclaré que les bonus des traders vont faire l’objet d’une réglementation. Si l’on cherche les causes de la chute du communisme, on s’aperçoit que c’est une usurpation totale du rôle de l'Eternel. Le débat casuistique des jésuites a été repris au XXe siècle par des économistes et des sociologues tels que Ludwig von Mises, Max Weber, Vilfredo Pareto ou Friedrich von Hayek pour ne citer que les plus connus. Ces gens qui ont passé leur vie à réfléchir (et non pas à communiquer) ont clairement averti les technocrates en charge de la planification, qu’en abolissant la propriété privée et les libertés individuelles, ils abolissaient aussi les prix. Ainsi un litre de lait (matière première) valait plus cher qu’un litre de yaourt (produit dérivé). On constate de semblables aberrations avec le monopole de la sécurité sociale en France. Ainsi un docteur généraliste gagne moins qu'un plombier. Le docteur, qui est hautement qualifié, ne peut pas établir le prix d'une consultation alors que le plombier, beaucoup moins qualifié que lui, le peut pour son intervention à domicile. Quelle est la signification du débat casuistique des jésuites dans le contexte de la crise de 2008 ? Depuis bientôt un siècle (1913) existe au centre de l’économie mondiale une institution prétendant être capable de résoudre le même problème épistémologique que les théologiens de l’école de Salamanque jugeaient insoluble. Cette institution est la Federal Reserve Bank des Etats-Unis. A l’issue d’un débat feutré qui se tient toutes les six semaines, le cénacle des douze gouverneurs annonce au reste de la planète que le taux d’intérêt qui ne représente que le prix d’un produit (la monnaie) sera de tant pour la période donnée. En suivant la logique des jésuites, réguler le prix à travers une autorité centrale, investie de tous les pouvoirs, s'apparente à un blasphème. Certains ricaneront de cette comparaison hardie, mais en se plaçant stricto sensu dans la sphère économique, elle ne l'est point. Que représente le taux d’intérêt sinon le prix spécifique d’une marchandise ? Si la monnaie est une marchandise (un moyen d'échapper au troc), pourquoi n'obéirait-elle pas à la loi d’airain du marché ? Les autres marchandises, que ce soit du blé ou du sucre, sont bien échangées sur un marché qui établit un prix. Pourquoi la production de monnaie devrait-elle être un monopole de la banque centrale ? Cela nous ramène à la cause profonde de la crise de 2008. Contrairement aux affirmations des keynésiens et des marxistes, elle n’est pas la faillite d’un ordre néo-libéral. Elle est le fruit inévitable d’une planification centralisée. Si les gouverneurs des banques centrales étaient des dieux, ils auraient ajusté les taux d’intérêt pour éviter la formation des bulles spéculatives ou pour empêcher une récession. Mais comme ils n’y parviennent jamais, c’est bien la preuve qu’ils n’en savent pas plus que les jésuites qui, eux, étaient assez humbles pour reconnaître que le prix du marché est une question insoluble à l'échelle humaine. Ce n’est pas étonnant quand on sait qu’il s’agit de l’interaction de millions de paramètres. Quelle est la différence entre les Etats-Unis et l’ex Union soviétique ? Elle n'est pas de nature mais de degré. Dans l’ex Union Soviétique, les planificateurs s’intéressaient à toutes les marchandises et à tous les services. Aux Etats-Unis, les planificateurs ne s’intéressent qu’à la production de monnaie... L’emprise de la technostructure s’est aggravée avec le décret du président Franklin Delano Roosevelt, le 5 avril 1933, d'interdire la détention d’or par les citoyens américains, puis avec la décision du président Richard Nixon, le 15 août 1971, de mettre fin au Gold Standard. Privée de ce point de repère essentiel que constitue l’or, la Fed navigue depuis entre Charybde (inflation) et Scylla (récession) Depuis la création de la Fed en 1913, le dollar a perdu 97 % de son pouvoir d’achat. Voilà la beauté d’une monnaie manipulée par la technostructure. On ne dira jamais que la destruction de 97 % du billet vert est l’œuvre de Satan. Ce serait injuste. Tout le monde (croyants, infidèles, agnostiques et athées) s’accordera au moins sur ce point. Bernard Martoïa
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