www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

19/2/10 Bernard Matoïa

Qui fournit son encre verte à la Réserve fédérale américaine ?

"Dois-je dire que les civilisations commencent avec la religion et le stoïcisme et qu'elle se terminent par l'athéisme, le scepticisme et la poursuite des plaisirs individuels ? Une civilisation naît stoïque et meurt épicurienne." Will Durant

Dans le flot ininterrompu des résultats truqués des banques, celui de la Fed, du 12 janvier 2010, a attiré plus particulièrement mon attention. Elle déclare avoir engrangé un profit record de 46,1 milliards de dollars pour l’année 2009. Elle indique que cela représente une augmentation de 14,4 milliards par rapport à celle de l’année 2008, qui était de 31,7 milliards. Elle attribue cette croissance exceptionnelle de 45 % à son portefeuille d’actifs acquis lors de ses diverses opérations de sauvetage du système financier. En raison de son règlement intérieur, le bénéfice sera transféré au Trésor américain, après défalcation d’un dividende de 1,4 milliards de dollars versé à ses membres. Il convient de préciser qu’il s’agit des douze banques fédérales régionales réparties sur le territoire américain.

Un bilan de circonstance

Il y a eu très peu de réactions à ce communiqué flatteur. Notons celui de l’agence BBC News qui mentionne que c’est le plus gros profit jamais réalisé par la Fed depuis sa création en 1913. Elle dévoile pudiquement qu’une part non négligeable de ce profit exceptionnel provient des opérations de refinancement hypothécaire de Fannie Mae et Freddie Mac (1).

Alors que l’économie s’écroule, la Fed s’enrichit. C’est à n’y plus rien comprendre.

Il convient de noter que ce communiqué a été publié alors que la réélection de son président était compromise. La confirmation de Ben Bernanke n’a été arrachée que le 28 janvier, alors que son mandat arrivait à expiration le 1er février. Je vous laisse imaginer l’affolement des moutons si son siège était devenu vacant. Mais le plus important n’est pas dans cette basse opération politicienne de séduction des sénateurs.

Bernard Madoff était un petit joueur par rapport à Ben Bernanke

En préambule, notons que le bilan de la Fed a triplé en un an (de 600 milliards à 1,8 trillions de dollars) alors que le bénéfice n’a augmenté que de 45 % pour la même période. Ce dernier ne représente donc qu’un rendement de 2,6 %.

Bernard Maddoff faisait nettement mieux avec un rendement annuel de 7 % à sa clientèle privée, qui était consentante, alors que celle de la Fed ne l’est pas. Demandez aux partisans du Tea Party ce qu’ils pensent de Ben Bernanke et de ses copains de Wall Street !

Venons-en à l’essentiel. Le profit exceptionnel de la Fed n’est qu’une nouvelle arnaque des néo-keynésiens. Voici comment ces mafieux opèrent. Le président Obama décide d’augmenter le déficit budgétaire. Le Trésor s’exécute en émettant des bons sur le marché financier. Au même moment, la Fed commence ses opérations d’open-market. Ce vocable pompeux masque une triviale réalité. La Fed rachète en douce ces bons et, en contrepartie, imprime de la monnaie. C’est le fameux multiplicateur de la pompe keynésienne. Quand les bons en question arrivent à maturité, le Trésor paie une commission à la Fed au lieu de la verser aux investisseurs particuliers.

Mais ce n’est pas tout. Malgré son statut de banque privée, la Fed ne peut pas garder pour elle les profits qu’elle engrange en détenant de la dette publique. Elle doit restituer cet argent au Trésor. Ainsi l’État fédéral reçoit un rendement de 2,6 % en échange d’une petite commission versée à la Fed qui est son bras financier.

Des esprits charitables me feront remarquer que la Fed ne fait pas perdre d’argent au contribuable américain. Je n’en doute pas. Il suffit que le gouvernement creuse davantage ses déficits pour doper ses profits en retour. Ainsi le gouvernement et la Fed pourront accroître indéfiniment leurs profits en versant de l’argent du Trésor à la Fed ou vice-versa.

Cette cavalerie budgétaire ne repose malheureusement que sur la confiance du marché, laquelle est primesautière comme la Grèce en fait l’amère expérience. L’éditorial du bon vieux Alan Abelson du Barron’s Magazine est révélateur du nouvel état d’esprit du marché. « Le plus excitant dans cette affaire, c’est que les Grecs déclarent allègrement que tout est OK, alors que l’Allemagne, le chef peu enthousiaste de l’équipe de secours (elle a gagné cette position en raison de son magot), évitant comme la peste d’utiliser le mot de « sauvetage », a accepté, à contrecœur, d’apporter une aide et un réconfort au pays impécunieux, mais elle n’est pas pressée de dire précisément comment elle compte y parvenir. » (2)

Ces profits exceptionnels de la Fed ne sont pas la preuve que l’économie américaine est en voie de guérison. Ils sont la preuve que les imprimantes de la Fed travaillent plus que jamais. Un petit porteur malin m’a demandé qui est le fournisseur d’encre verte de la Fed. Ce serait sans doute un bien meilleur investissement que d’acheter des Treasury Bills, mais personne ne connaît le nom de ladite société qui est un secret d’Etat.

La solvabilité de la Fed

Avec le rachat inconsidéré de produits toxiques, la solvabilité de la Fed est menacée. (3) Contrairement aux banques, la Fed n’est pas tenue de se conformer à la règle comptable mark to market. Selon ce principe, si un avoir perd de sa valeur, la banque doit enregistrer cette perte dans son bilan. Par exemple, la Fed a racheté massivement des mortgage backed securities (MBS) à Fannie Mae et Freddie Mac. Selon ce principe comptable et en prenant en considération les cours toujours déprimés de ces produits dérivés, les pertes enregistrées par la Fed seraient de l’ordre de 50 %.

Que se passerait-il si la Fed était contrainte de vendre ces actifs pourris pour augmenter ses taux d’intérêt et lutter contre l’inflation ? (Une vente de ses actifs équivaut à une destruction de monnaie) La Fed ne pourrait les refourguer sur le marché financier qu’avec une importante décote. Ainsi, elle enregistrerait non pas un gain mais une perte à la hauteur de son engagement passé. Dans cette hypothèse, la Fed ne serait pas le prêteur en dernier ressort mais le créateur en dernier ressort.

Si la Fed enregistre un bilan négatif, deux scénarii sont à envisager. On peut très bien imaginer que le Trésor américain recapitalise la Fed. Ce serait un scénario intéressant dans lequel le pouvoir de taxer supporterait le pouvoir d’imprimer de la monnaie et non pas l’inverse. Dans le second scénario, aucun texte juridique n’interdit à la Fed d’avoir un bilan négatif. Il n’y aurait pas de sanction directe puisque cette banque de statut privé n’est pas cotée en bourse. Cela confortera les cigales néo-keynésiennes dans l’idée qu’elles peuvent vivre éternellement à crédit.

Mais que vaudra le dollar ?

Un communiqué d’une agence chinoise vient d’en donner une indication. Elle a déclaré que le Trésor chinois s’est délesté de Treasury Bills pour un montant de 35 milliards de dollars. Somme dérisoire mais avertissement, sans frais, lancé par la Chine à la cigale américaine pour lui indiquer que sa monnaie ne l’intéresse plus vraiment. Le dollar pourrait subir le triste sort des Assignats des révolutionnaires français. (4) La Fed est sous la protection du Trésor américain et de ses lois de monnaie légale. Ce n’est pas une relation parasitique mais symbiotique de deux ivrognes qui promettent toujours au tavernier à qui ils doivent de l’argent que c’est leur dernier verre.

Combien de temps cela durera-t-il ? Nul ne savait à quelle date Rome ou Constantinople allaient succomber, mais des esprits éclairés de leur temps savaient que ces deux empires étaient condamnés, alors que la masse des gens, trompée par la propagande, croyait à leur immortalité.

Bernard Martoïa

(1) Archive du 11 août 2007 : "Une tempête peut en masquer une autre"

(2) "Jury's Still Out", d'Alan Abelson, dans l'édition du 18 février 2010 du Barron's.

(3) Archive du 6 février 2009 : "La Fed bientôt insolvable".

(4) Archive du 12 février 2010 : "Assignats des révolutionnaires et Mandats du Directoire".


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme