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23/4/15 Bernard Martoïa
     
        Monopole de la sécurité sociale : la France
                                   hors-la-loi !

L’affaire Mantrant est édifiante. Rappel des décisions de la justice française dans cette affaire.

Le 14 mars 2012, M. Claude Mantrant a formé une opposition à contrainte délivrée par le régime social des indépendants (RSI) qui lui réclamait la somme de 16 800 € pour des reliquats de cotisation s’étalant sur trois années. Le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Vienne a rejeté l’opposition du plaignant le 14 février 2013.

M. Mantrant a fait appel de ce jugement auprès de la cour d’appel de Limoges. Dans un arrêt du 14 octobre 2014 réputé en dernier ressort, la cour a ordonné au RSI de justifier de son immatriculation au registre des mutuelles dans le délai de quinze jours suivant la notification de cet arrêt. Elle a renvoyé l’affaire à une audience de plaidoirie le 16 février 2015.

Or dans son arrêt du 23 mars 2015, la cour, avec le même président de chambre (Patrick Vernudachi) et la même composition, renverse son arrêt du 14 octobre 2014. Elle dit que le RSI n’est plus une mutuelle mais un "organisme de sécurité sociale", qualificatif dépourvu de sens au plan juridique. Et elle commet en outre l’imprudence de se référer à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en citant l’arrêt BKK Mobil Oil Körperschaft du 3 octobre 2013.

Elle reconnaît donc cette jurisprudence supranationale concernant la gestion d’un régime légal d’assurance maladie, mais elle l’interprète à sa façon. « La gestion d’un régime légal d’assurance maladie est circonscrite à la directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales stricto sensu et ne peut signifier l’application des règles de concurrence aux régimes de protection sociale. »

L’interprétation du droit communautaire par la Cour d’appel de Limoges est erronée

Dans cet arrêt BKK Mobil Oil Körperschaft, la CJUE se réfère à la directive sur les pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. En préliminaire, elle rappelle que cette directive a pour but de supprimer les obstacles à la libre-circulation transfrontalière des services et des marchandises et à la liberté d’établissement.

Pour cela, elle dit qu’il faut des règles uniformes à l’échelon communautaire pour assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. Un assuré est donc un « consommateur » de biens et de services ; un régime légal d’assurance maladie est dit « professionnel.», terme équivalant à "entreprise". De plus, la CJUE rappelle que la directive est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur. Un régime légal d’assurance maladie évolue donc dans un marché intérieur européen. La directive sur les pratiques commerciales déloyales est consubstantielle à la concurrence dans un marché intérieur.

Dans l’arrêt BKK Mobil Oil Körperschaft, la Wettbewerbszentrale (l’Office central allemand de la concurrence) tendait à ce que la BKK Mobil Oil Körperschaft (caisse d’assurance maladie du régime légal allemand) soit condamnée à cesser de diffuser une information trompeuse sur son site : «Si vous choisissez de quitter maintenant BKK [...], vous resterez affilié à la nouvelle [caisse d’assurance maladie obligatoire] pendant 18 mois à compter de ce changement. Alors, vous ne pourrez plus bénéficier des offres intéressantes que fera BKK [...] l’année prochaine et vous devrez peut-être finalement verser un supplément si la somme attribuée à votre nouvelle caisse ne lui suffit pas et qu’elle prélève en conséquence une cotisation supplémentaire. »

La CJUE définit la notion juridique d’un organisme légal d’assurance maladie en disant qu’il s’agit d’une « entreprise » au sens de la directive sur les pratiques commerciales déloyales. Pour enfoncer le clou sur la question préjudicielle, à l’alinéa 26 de l’arrêt C-59/12, la CJUE dit que la qualification, le statut juridique ainsi que les caractéristiques spécifiques de l’organisme en question au titre du droit national sont dépourvues de pertinence pour les besoins de l’interprétation de ladite directive par la Cour.

Ainsi la cour d’appel de Limoges ne respecte pas le droit communautaire en attribuant au RSI le qualificatif d' "organisme de sécurité sociale", ce qui l'exonérerait d'après elle de l'application des règles de concurrence.

La France hors-la loi

La simple lecture de l’arrêt 59/12 de la CJUE permet d’affirmer qu’un régime d’assurance maladie, qu’il soit légal ou non, est une « entreprise » évoluant dans un marché communautaire concurrentiel soumis à la directive sur les pratiques commerciales déloyales. Un assuré est un « consommateur » de biens et de services qui a le droit de s’assurer où bon lui semble dans ce marché communautaire. Le monopole de la sécurité sociale française est contraire au droit communautaire. En refusant d’en prendre acte, la justice française viole le principe essentiel de la construction européenne qu’est la primauté du droit communautaire. Nous invitons les magistrats de la cour d’appel de Limoges à consulter le portail internet du ministère de la justice :

« A l'origine le principe de primauté, ne figure pas dans le texte des traités, mais a été consacré par la CJCE dans l'arrêt Costa c/Enel du 15 juillet 1964.
Le juge national se voit soumis à l'obligation de faire prévaloir cette primauté, quels que soient les obstacles de son propre droit interne. Cette obligation, qui s'étend à la totalité des normes communautaires, primaires ou dérivées, à l'encontre de toutes les normes nationales, même constitutionnelles, a été clairement affirmée par l'arrêt Simmenthal du 9 mars 1978.
Par ses effets contraignants à l'égard des Etats membres et de leurs ressortissants, le droit communautaire apporte une protection juridique unifiée à tous les citoyens européens.
La primauté du droit communautaire s'impose à l'ensemble des autorités nationales, y compris les autorités décentralisées telles que les collectivités territoriales.
La Cour de justice des Communautés Européenne, gardienne de l'application du droit communautaire exerce ainsi un droit de regard sur les lois nationales, en vertu des engagements pris par la France.
»

On se demande ce qu’attend le président de la République pour affirmer solennellement l’obligation pour la France de respecter ses engagements européens.

Bernard Martoïa


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