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25/10/09 Bernard Martoïa

Lèche-bottes blues

« On ne découvre pas de nouvelles terres sans consentir à perdre de vue le rivage pour une très longue période. » André Gide

Une majorité de Français est consciente que le modèle de l’Etat-providence est à bout de souffle, que les taxes innombrables ne cessent de rogner leur pouvoir d’achat, de freiner la croissance et d’accroître le chômage, que leur retraite (par répartition) sera très médiocre ou inexistante et que l’immigration de peuplement ne saurait être un palliatif à l’effondrement de la pyramide des âges.

Ce constat fait, ils préfèrent le statu quo au saut dans l’inconnu. La classe politique (qui se repaît sur la bête et a donc tout intérêt à pérenniser le statu quo) entretient l’illusion que c’est au reste du monde de s’adapter à notre modèle social.

Cette récession mondiale est une occasion ratée de faire un constat honnête des causes l’ayant provoquée et des solutions pour y remédier. L’antienne du président socialiste Barack Obama, entonnée par les moutons de Panurge, est la suivante : «C’est la dérégulation du secteur financier qui est à l’origine de la crise. Pour faire repartir la croissance, il faut accepter des déficits budgétaires conséquents. Après on verra !»

Que verra-t-on ensuite ? Paul Krugman, le gourou des néo-keynésiens, n’en dit mot. John Maynard Keynes clouait le bec de ses détracteurs en leur lançant «Dans cent ans nous serons tous morts ! » Ce message, irresponsable et immoral, est porteur d’une nouvelle bulle obligataire dont les effets seront autrement dévastateurs pour les générations qui nous succèderont.

Quand des millions d’Américains ont leur propriété saisie ou dévaluée de moitié, qu’ils perdent leur emploi et que les dix-neuf grandes banques de Wall Street, sauvées par l'argent du contribuable, s’apprêtent à verser des milliards de dollars de bonus à leurs salariés, ils s’indignent à juste raison. Dans leur désir de coller à l'humeur de l'opinion, les parlementaires français viennent de promulguer une taxe sur les bénéfices des banques. Au risque de me répéter, la solution n'est pas de morigéner les banquiers irresponsables (à cause justement de l'aide étatique) mais de rétablir l'aléa moral en laissant choir les banques défaillantes.

Quels politiciens nous ont prévenus du désastre que nous encourions ?

Il y en a eu très peu à nager à contre-courant de la pensée unique. Comme le disait le président Woodrow Wilson, l’homme qui nage à contre-courant connaît la force de celui-ci. Mais Woodrow, l’ancien professeur de relations internationales de l’université de Princeton, se garda bien de l’expérimenter. Le donneur de leçons préféra sagement se ranger derrière le pacifisme de la majorité alors qu’il aurait dû, en tant que chef des armées, préparer l’opinion publique à la guerre. Il était tout le contraire d’un Teddy Roosevelt qui mena une inlassable campagne pour tirer son pays de la torpeur dans laquelle l'avait plongé Woodrow. (1)

Pourtant le jury d’Oslo les place sur le même piédestal. Il leur a accordé le prestigieux prix Nobel de la paix : à Théodore, en 1906, pour sa médiation dans la guerre russo-japonaise et à Woodrow, en 1919, pour son rôle à la conférence de la paix de Versailles.

Mais que dire du prix 2009 décerné à l’impétrant Barack Obama qui, lui-même, a reconnu qu’il ne le mérite pas ? La crédibilité du jury d’Oslo est fortement ébranlée par cette attribution. Ce jury se serait-il trompé ? Non. Il reflète parfaitement l’air du temps qui est le règne de l’hypocrisie. Ce temps porte un nom : «le politiquement correct !» C’est une idéologie aussi pernicieuse que le fut, en son temps, le socialisme.

L’histoire sait toujours mieux juger que les jurys

Alors que la lassitude me gagne de reprendre un combat qui peut parfois paraître vain, j’ai lu cette semaine un article de Llewellyn H. Rockwell fils, le président de l’institut Ludgwig von Mises à Auburn en Alabama, qui m’a remonté le moral. Il évoque la carrière de deux économistes autrichiens de l’entre-deux guerres : Hans Mayer (1879-1955) et Ludwig von Mises (1881-1973).

Avec le socialiste Othmar Spann et le comte Degenfeld-Schonburg, Mayer occupait la chaire d’économie à l’université de Vienne. Mises devait travailler à la chambre de commerce. On lui avait non seulement dénié le droit d’enseigner à l’université mais aussi de le faire en dehors des murs de celle-ci. Mayer persécutait les étudiants qui participaient aux séminaires organisés par son ennemi juré. Il ne leur accordait tout simplement pas de diplôme.

Les gens extérieurs à l’université s’imaginent que celle-ci est le cadre de riches débats d’idées. Il n’en est rien. Comme Mayer, de trop nombreux universitaires français passent leur temps à régler des comptes. Regardez la polémique suscitée par l’ouvrage de Sylvain Gugenheim, «Aristote au Mont Saint Michel», qui a l’outrecuidance d’énoncer une évidence mais qui se heurte au politiquement correct. Celui-ci voudrait imposer l’idée fausse que nous devrions la transmission de l’héritage grec aux Maures, dans le but évident de faire le lit de l’islam dans notre vieille nation chrétienne.

De même que ces ayatollahs du « politiquement correct », Hans Mayer était plus attaché aux récompenses terrestres, comme la reconnaissance de ses pairs, la jouissance du pouvoir, la réduction de ses heures de cours (à zéro de préférence) que par la poursuite d’un travail solitaire de recherche.

Le trait le plus saillant d’un bon économiste ou d’un bon politicien est d’avoir le courage de dire des choses impopulaires.

Mises consacra sa vie au développement d’une pensée économique originale sans se soucier de l’opinion de ses pairs. Il préféra sacrifier une carrière d’universitaire pour laquelle il était tout désigné plutôt que de renoncer à sa liberté de parole. Le prix à payer est toujours élevé pour un esprit indépendant. Alexandre Soljenitsyne en est le meilleur exemple.

Réfugié en Suisse en 1934, Mises avertit sa fiancée qui se voulait se marier avec lui : « Je vais parler beaucoup d’argent mais ne pas en gagner autant. » En 1940, alors qu’il venait de publier l'ouvrage Nationalökonomie, ses hôtes le prièrent de faire ses valises. Il y avait un peu trop de juifs turbulents dans la paisible Confédération helvétique.

Même lorsqu’il émigra en Amérique, Mises demeura un paria dans ce pays jusqu’à la fin de ses jours. La pensée keynésienne était à son apogée. On le considérait comme le « dernier chevalier » du libéralisme (2) ou, avec plus de dérision, le Don Quichotte de la pensée économique… Avec l’aide de Henry Hazlitt, un journaliste du New York Times, il trouva un éditeur courageux. Peu de monde se serait bousculé pour avoir l’exclusivité des droits de tirage d’un petit économiste viennois qui écrivait, de surcroît, en allemand. Mises put enseigner à l’université de New York qui ne le payait pas. Ses cours furent pris en charge par une donation privée. Il s’attira évidemment les foudres de ses pairs keynésiens. Il n’en avait cure car il ne risquait plus sa vie comme en Autriche.

Mises ne fut jamais récompensé de son vivant. Il mourut, en 1973, un an avant l’attribution du prix Nobel d’économie à Friedrich von Hayek, un autre éminent représentant de l’école autrichienne, mais qui dut le partager avec le socialiste Gunnar Myrdal. Les membres du jury d’Oslo ne s'embarrassent pas de contradictions majeures.

A l'opposé de Mises, Mayer avait une qualité irremplaçable dans le système de sélection qui s'est fort bien acclimaté sous toutes les latitudes. Il était l'étudiant le plus lèche-bottes de Friedrich von Wieser. Quand Wieser prit sa retraite, il le fit nommer à sa place. Il évinça ainsi Mises, mais aussi un autre étudiant qui portait le nom de Joseph Schumpeter (1883-1950)

Aujourd’hui, les travaux de Mises et de Schumpeter sont universellement reconnus, mais qui se souvient encore de ceux de Mayer ? Il en ira de même, un jour, des sbires du «politiquement correct» qui monopolisent les médias.

Bernard Martoïa

(1) La présidence impériale, de Bernard Martoïa.

(2) Mises : the last knight of liberalism, de Guido Hülsmann.


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