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7/5/15 Bernard Martoïa
     
       Le monopole de la sécurité sociale est illégal
                                 depuis 1986 !

Rappel historique

La France a ratifié, le 28 février 1986, le traité de l’Acte Unique portant sur la «finalisation d’un marché unique». Ce traité avait été préparé par la Commission européenne présidée, à cette époque, par le Français Jacques Delors. C’était le parachèvement d’un processus engagé en 1952 avec la création d’un marché européen du charbon et de l’acier (CECA) entre les six Etats fondateurs. Il était impensable dans l’esprit des dirigeants européens que ce marché exclût un quelconque secteur de la concurrence. C’est ce qu’a démontré, avec constance, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à chaque fois qu’elle a été saisie d’une question préjudicielle par un Etat membre. Deux arrêts sont déterminants dans cette construction d’un marché unique.

L’arrêt rendu par la CJCE, ancêtre de la CJUE, le 5 février 1963, opposait la société de transports néerlandaise NVAllgemene Transport en Expedie Ondermining van Gend & Loos à l’administration fiscale néerlandaise. Ce transporteur international contestait une taxe d’importation nouvelle de 8%. La CJCE reconnaissait dans cet arrêt que par leur adhésion à la Communauté économique européenne (CEE), les Etats membres acceptaient la limitation de leur souveraineté, et que les citoyens avaient la possibilité de s’appuyer sur les traités européens pour faire valoir leurs droits devant les juridictions nationales. Sur la base de cette jurisprudence historique, le MLPS (Mouvement pour la liberté de la protection sociale) demande aux juridictions françaises de reconnaître officiellement que le monopole de la sécurité sociale est aboli en raison de la ratification du traité de l’Acte Unique en 1986.

L’autre arrêt important rendu par la CJCE est celui du 15 juillet 1964 opposant le sieur Costa à l’Ente Nazionale per l’Energia Elettrica (ENEL). Avec la nationalisation de la production électrique par le gouvernement italien, le sieur Costa, alors actionnaire de la société Edison Volta, avait perdu ses droits à dividende et refusait de payer ses factures électriques. La CJCE dit : «La force exécutive du droit communautaire ne saurait varier d’un Etat à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité instituant la communauté européenne. […] La prééminence du droit communautaire est confirmée par l’article 189 aux termes duquel les règlements ont valeur obligatoire et sont directement applicables dans tout Etat membre.»

Portée de l’arrêt C-59/2012 de la CJUE

En 2008, BKK Mobil Oil Körperschat avait mis sur son site internet une information visant à dissuader les assurés de la quitter. « Si vous choisissez de quitter maintenant BKK, vous resterez affilié à la nouvelle [caisse d’assurance-maladie obligatoire] pendant dix-huit mois à compter de ce changement. Alors, vous ne pourrez plus bénéficier des offres intéressantes que fera BKK l’année prochaine et vous devrez verser un supplément si la somme attribuée à votre nouvelle caisse ne lui suffit pas et qu’elle prélève en conséquence une cotisation supplémentaire. »

Sommée par l’Office central allemand de lutte contre la concurrence déloyale (Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs) de retirer cette annonce, BKK avait obtempéré. Toutefois, elle contestait la directive européenne sur les pratiques commerciales déloyales (directive 2005/29/CE) en prétendant que celle-ci ne s’appliquait pas à elle en raison de sa qualité d’organisme de droit public ne poursuivant aucun but lucratif.

La cour d’appel de Limoges a violé le droit européen

C’est ce que fait toujours la Sécurité sociale française en prétendant que la concurrence ne lui est pas applicable parce qu’elle n’exerce pas une activité économique. Or dans cet arrêt C-59/2012, la CJUE conclut : «La directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur doit être interprétée en ce sens que relève de son champ d’application personnel un organisme de droit public en charge d’une mission d’intérêt général, telle que la gestion d’un régime légal d’assurance maladie.» La décision de la CJUE ne peut être plus explicite.

Dans son arrêt du 25 mars 2015, la cour d’appel de Limoges prend le contre-pied de cet arrêt de la CJUE en prétendant que l’application des règles de la concurrence ne s’applique pas aux régimes de protection sociale. Par cette interprétation manifestement erronée, la cour enfreint la suprématie du droit européen sur le droit français, qui a été pourtant reconnue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989. Notons au passage que l’Etat français a mis vingt-cinq ans (1964-1989) pour reconnaître l’arrêt Costa de la CJCE.

La Sécurité sociale française brandit des sanctions imaginaires

Si BKK se contentait d’envisager une période incompressible de dix-huit mois pour se désaffilier, la Sécurité sociale, de son côté, allait initialement beaucoup plus loin. L’article L 652-7 du code de la sécurité sociale était ainsi rédigé : «Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite les assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation du présent livre, et notamment de s'affilier à un organisme de sécurité sociale ou à ne pas payer les cotisations à un régime d'assurance obligatoire institué par le présent livre, est punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 7500 euros.»

En sus de son caractère d’intimidation caractérisée qui relève d’un régime totalitaire, il s’agit bien d’une pratique commerciale déloyale reconnue par la CJUE dans son arrêt C-59/2012 du 3 octobre 2013. Toutefois, cet article a été remanié en catimini pour tenir compte de son incompatibilité avec le droit européen, et notamment avec les directives 92/49/CEE et 92/96/CEE qui permettent aux sociétés d’assurance, aux institutions de prévoyance et aux mutuelles, françaises ou européennes, de couvrir tous les risques sociaux. Le nouvel article L 114-18 de la loi de 2006 est ainsi rédigé : «Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite les assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation de sécurité sociale, et notamment de s'affilier à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations et contributions dues, est punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 15 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement. » Le point essentiel de ce changement (qui peut paraître abscons au lecteur non initié) est que la loi a abandonné toute référence à la Sécurité sociale française pour ne plus se référer qu’à UN organisme de sécurité sociale, français ou européen. Ce nouvel article se conforme donc aux dispositions européennes, admet la fin du monopole de la sécurité sociale et ne sanctionne que les personnes qui recommanderaient de ne pas s’assurer à Un régime de sécurité sociale, quel qu’il soit. A notre connaissance, il ne vise donc personne.

En conclusion, nous demandons aux plus hautes autorités juridiques françaises (Cour de cassation et Conseil d’Etat) de dire que le monopole de la sécurité sociale est contraire au droit communautaire. Nous sommons le gouvernement français de faire enlever du portail de ladite «entreprise» cette information erronée visant à dissuader les «consommateurs» de la quitter. A l’instar de l’Allemagne, qui applique scrupuleusement le droit européen, nous demandons la création d’un Office central français de lutte contre la concurrence déloyale.

Bernard Martoïa


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