Le monopole de la sécurité sociale est illégal
depuis 1986 !Rappel
historique
La France a ratifié, le 28 février 1986, le traité de l’Acte Unique portant
sur la «finalisation d’un marché unique». Ce traité avait été préparé
par la Commission européenne présidée, à cette époque, par le Français
Jacques Delors. C’était le parachèvement d’un processus engagé en 1952 avec
la création d’un marché européen du charbon et de l’acier (CECA) entre les
six Etats fondateurs. Il était impensable dans l’esprit des dirigeants
européens que ce marché exclût un quelconque secteur de la concurrence.
C’est ce qu’a démontré, avec constance, la jurisprudence de la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE) à chaque fois qu’elle a été saisie
d’une question préjudicielle par un Etat membre. Deux arrêts sont
déterminants dans cette construction d’un marché unique.
L’arrêt rendu par la CJCE, ancêtre de la CJUE, le 5 février 1963, opposait
la société de transports néerlandaise NVAllgemene Transport en Expedie
Ondermining van Gend & Loos à l’administration fiscale néerlandaise. Ce
transporteur international contestait une taxe d’importation nouvelle de 8%.
La CJCE reconnaissait dans cet arrêt que par leur adhésion à la Communauté
économique européenne (CEE), les Etats membres acceptaient la limitation de
leur souveraineté, et que les citoyens avaient la possibilité de s’appuyer
sur les traités européens pour faire valoir leurs droits devant les
juridictions nationales. Sur la base de cette jurisprudence historique, le
MLPS (Mouvement pour la liberté de la protection sociale) demande aux
juridictions françaises de reconnaître officiellement que le monopole de la
sécurité sociale est aboli en raison de la ratification du traité de l’Acte
Unique en 1986.
L’autre arrêt important rendu par la CJCE est celui du 15 juillet 1964
opposant le sieur Costa à l’Ente Nazionale per l’Energia Elettrica (ENEL).
Avec la nationalisation de la production électrique par le gouvernement
italien, le sieur Costa, alors actionnaire de la société Edison Volta,
avait perdu ses droits à dividende et refusait de payer ses factures
électriques. La CJCE dit : «La force exécutive du droit communautaire ne
saurait varier d’un Etat à l’autre à la faveur des législations internes
ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité
instituant la communauté européenne. […] La prééminence du droit
communautaire est confirmée par l’article 189 aux termes duquel les
règlements ont valeur obligatoire et sont directement applicables dans tout
Etat membre.»
Portée de l’arrêt C-59/2012 de la CJUE
En 2008, BKK Mobil Oil Körperschat avait mis sur son site internet
une information visant à dissuader les assurés de la quitter. « Si vous
choisissez de quitter maintenant BKK, vous resterez affilié à la nouvelle
[caisse d’assurance-maladie obligatoire] pendant dix-huit mois à compter de
ce changement. Alors, vous ne pourrez plus bénéficier des offres
intéressantes que fera BKK l’année prochaine et vous devrez verser un
supplément si la somme attribuée à votre nouvelle caisse ne lui suffit pas
et qu’elle prélève en conséquence une cotisation supplémentaire. »
Sommée par l’Office central allemand de lutte contre la concurrence déloyale
(Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs) de retirer cette
annonce, BKK avait obtempéré. Toutefois, elle contestait la directive
européenne sur les pratiques commerciales déloyales (directive 2005/29/CE)
en prétendant que celle-ci ne s’appliquait pas à elle en raison de sa
qualité d’organisme de droit public ne poursuivant aucun but lucratif.
La cour d’appel de Limoges a violé le droit européen
C’est ce que fait toujours la Sécurité sociale française en prétendant que
la concurrence ne lui est pas applicable parce qu’elle n’exerce pas une
activité économique. Or dans cet arrêt C-59/2012, la CJUE conclut : «La
directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises
vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur doit être interprétée
en ce sens que relève de son champ d’application personnel un organisme de
droit public en charge d’une mission d’intérêt général, telle que la gestion
d’un régime légal d’assurance maladie.» La décision de la CJUE ne peut
être plus explicite.
Dans son arrêt du 25 mars 2015, la cour d’appel de Limoges prend le
contre-pied de cet arrêt de la CJUE en prétendant que l’application des
règles de la concurrence ne s’applique pas aux régimes de protection
sociale. Par cette interprétation manifestement erronée, la cour enfreint la
suprématie du droit européen sur le droit français, qui a été pourtant
reconnue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989.
Notons au passage que l’Etat français a mis vingt-cinq ans (1964-1989) pour
reconnaître l’arrêt Costa de la CJCE.
La Sécurité sociale française brandit des sanctions imaginaires
Si BKK se contentait d’envisager une période incompressible de dix-huit mois
pour se désaffilier, la Sécurité sociale, de son côté, allait initialement
beaucoup plus loin. L’article L 652-7 du code de la sécurité sociale était
ainsi rédigé : «Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite
les assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation
du présent livre, et notamment de s'affilier à un organisme de sécurité
sociale ou à ne pas payer les cotisations à un régime d'assurance
obligatoire institué par le présent livre, est punie d'un emprisonnement de
six mois et d'une amende de 7500 euros.»
En sus de son caractère d’intimidation caractérisée qui relève d’un régime
totalitaire, il s’agit bien d’une pratique commerciale déloyale reconnue par
la CJUE dans son arrêt C-59/2012 du 3 octobre 2013. Toutefois, cet
article a été remanié en catimini pour tenir compte de son incompatibilité
avec le droit européen, et notamment avec les directives 92/49/CEE et
92/96/CEE qui permettent aux sociétés d’assurance, aux institutions de
prévoyance et aux mutuelles, françaises ou européennes, de couvrir tous les
risques sociaux. Le nouvel article L 114-18 de la loi de 2006 est ainsi
rédigé : «Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite les
assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation de
sécurité sociale, et notamment de s'affilier à un organisme de sécurité
sociale ou de payer les cotisations et contributions dues, est punie d'un
emprisonnement de six mois et d'une amende de 15 000 euros ou de l'une de
ces deux peines seulement. » Le point essentiel de ce changement (qui
peut paraître abscons au lecteur non initié) est que la loi a abandonné
toute référence à la Sécurité sociale française pour ne plus se référer qu’à
UN organisme de sécurité sociale, français ou européen. Ce nouvel article se
conforme donc aux dispositions européennes, admet la fin du monopole de la
sécurité sociale et ne sanctionne que les personnes qui recommanderaient de
ne pas s’assurer à Un régime de sécurité sociale, quel qu’il soit. A notre
connaissance, il ne vise donc personne.
En conclusion, nous demandons aux plus hautes autorités juridiques
françaises (Cour de cassation et Conseil d’Etat) de dire que le monopole de
la sécurité sociale est contraire au droit communautaire. Nous sommons le
gouvernement français de faire enlever du portail de ladite «entreprise»
cette information erronée visant à dissuader les «consommateurs» de la
quitter. A l’instar de l’Allemagne, qui applique scrupuleusement le droit
européen, nous demandons la création d’un Office central français de lutte
contre la concurrence déloyale.
Bernard Martoïa
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