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20/2/10 | Bernard Matoïa |
Le New York Times porte l’estocade à la
Grèce ! Faut-il sauver la Grèce par altruisme ou faut-il le faire pour sauver l’Euroland ? Les vingt-sept États n’ont pas donné de réponse précise à cette double question lancinante lors de leur réunion extraordinaire du 11 février 2010 à Bruxelles. Si l’Union Européenne était au grand complet en raison de la gravité de la situation, il faut bien dire, au risque de froisser beaucoup de susceptibilités, que pas moins de vingt-six d’entre eux faisaient de la figuration. Tous les regards étaient tournés vers la délégation allemande. Qu’allait-elle faire ? Traînée par ses partenaires à cette réunion, elle s’est gardée de prendre le moindre engagement. «Nous compatissons, nous sommes désolés de ce qui vous arrive, mais il vous appartient de remettre en ordre votre maison.» Réponse des Grecs drapés dans leur dignité : «Tout est OK, nous n’avons pas besoin d’aide ou de conseil.» Dans un article du 19 décembre 2009, «Le mythe du temps différent», j’avais mis en garde la fourmi allemande à propos d’un sauvetage de la Grèce. De l’étude menée par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, portant sur huit siècles de banqueroute à travers le monde, la Grèce emportait la palme en matière de longueur de défaut de paiement, avec une durée moyenne de 50.6 années. Depuis cet avertissement, sans frais, une bombe vient d’éclater. L’article du New York Times fait très mal à la Grèce et, par ricochet, à l’Euroland Dans son édition du 14 février 2010, l’influent journal de la côte Est des États-Unis a lancé un pavé dans la mare nostrum. Sous le titre Wall Street helped Greece to mask debt fueling Europe’s crisis (Wall Street a aidé la Grèce à masquer sa dette, alimentant ainsi la crise de l’Europe), trois journalistes ont porté le coup de grâce à la Grèce. S’il n’y en avait eu qu’un seul à le rédiger, cela aurait eu un moindre impact. Mais en mettant au charbon trois de ses collaborateurs, le New York Times s’est engagé à fond dans l’affaire grecque, au péril d’un éclatement de l’Euroland. Sans verser dans la paranoïa du complot, je suspecte la Maison Blanche de n’être pas étrangère à cette attaque frontale. Les Américains ne font que nous rendre la monnaie (excusez-moi pour cette métaphore hardie) de notre pingrerie quand ils réclamaient à cor et à cris que nous participions à l’effort commun de relance. Ils en ont marre de jouer la locomotive du monde. Entre temps, c’est la Chine qui s’est attribué ce rôle moteur. Dans ce papier, on apprend que la banque d’investissement Goldman Sachs (le diable de Wall Street) a aidé le gouvernement grec à truquer ses comptes pour entrer dans le sésame de l’Euroland. En 2001, la banque a offert un montage financier complexe pour masquer des emprunts par un swap de devises. Avec ce stratagème, la Grèce a pu se qualifier pour ce club huppé. Pourtant, la Grèce n’était pas le seul État européen à truquer ses comptes et Goldman Sachs n’était pas la seule banque à apporter son concours. L’Italie est citée ainsi que la banque JP Morgan Chase et, bien entendu, l’assureur A.I.G qui était le centre des transactions de produits dérivés. Le swap de devises ne suffit pas à satisfaire l'appétit des cigales grecques. Goldman Sachs lui proposa un autre stratagème. Elle s’engageait à lui verser un capital d’avance sur ses futurs gains de la loterie nationale et aussi sur ses taxes aéroportuaires. A ces opérations tordues, les politiques grecs attribuèrent des noms issus de la mythologie. Ainsi on apprend que la transaction sur les futures recettes du nouvel aéroport d’Athènes fut baptisée Eole, et que celle relative à la loterie nationale porta le nom d’Ariane. C’était un mariage réussi entre l’austère mathématique financière et la mythologie grecque. Chacun y trouvait son compte : les Grecs pour leur amour de l’histoire, les Américains pour leur amour de l’argent. Goldman Sachs s’était fait payer 300 millions de dollars pour ces deux opérations. La porte-parole du ministère grec des Finances a déclaré que tous les financements de la dette de son pays «sont conduits dans un effort de transparence.» Goldman Sachs et JP Morgan ont préféré se taire. Au moins, les Américains ne se sont pas ridiculisés. Le trucage des comptes publics est inhérent à l’existence de l’Euroland “Les politiciens veulent repousser la dette, et si un banquier peut leur montrer comment ils peuvent y parvenir, ils n’hésiteront pas à le faire», dit Gikas Hardouvelis, un économiste grec qui a participé à la rédaction d’un rapport sur les pratiques comptables de son pays. Les socialistes vont certainement clamer que c’est encore la faute du libéralisme. C’est une contre-vérité. Comme dans l’affaire des subprimes, il ne faut pas mélanger les responsabilités. Les banquiers américains ont simplement aidé la Grèce et d’autres cigales méditerranéennes à emprunter davantage qu’elles ne peuvent rembourser. La responsabilité est celle des politiques. «Si un gouvernement veut tricher, il le fera!», dit Gary Schinasi, un vétéran du Fonds Monétaire International. Les banquiers n’ont fait que développer une lucrative activité avec des politiciens sans scrupules envers les générations futures. Avec l’aide de JP Morgan, l’Italie fut en mesure de ramener son déficit budgétaire dans les clous de 3 % en 1996. La banque lui proposa un swap de devises à un taux intéressant et lui fournit aussi un cash d’avance. En retour, l’Italie s’engageait à rembourser, plus tard, ces emprunts qui n’apparaîtraient pas dans la comptabilité publique. «Les produits dérivés sont des instruments utiles», dit Gustavo Piga, un professeur d’économie. «Ils sont mauvais s’ils servent à masquer la vérité.» Jusqu’en 2000, les ministres européens des finances débattaient âprement sur le fait de savoir s’il fallait rendre publics les produits dérivés utilisés pour masquer les dettes. La réponse était non. La transparence ne fut abordée qu’en 2002. Jusqu’en 2008, Eurostat, l’agence européenne de statistiques, déclarait, dans son jargon technocratique : «Dans un nombre d’instances, les opérations de produits dérivés semblent avoir été conçues pour atteindre un résultat comptable, sans tenir compte de leur mérite économique.» En français, cela donne : «Dans le court terme, cela procure un peu d’oxygène, mais à long terme cela asphyxie une nation.» George Alogoskoufis, qui devint le ministre grec des Finances après le marché conclu avec Goldman Sachs, critiqua la transaction devant le Parlement grec en 2005. Le marché, déclara-t-il, allait charger le gouvernement avec de gros paiements à Goldman Sachs jusqu’en 2019. Angela Merkel a eu raison d’être très prudente à la réunion de Bruxelles. En raison de la polémique, Goldman Sachs vendit, la même année, ces swaps à la Banque Nationale de Grèce. En 2008, Goldman aida la banque à transférer ces swaps dans une entité appelée Titlos. C’est un titre dans l’église slavonne. Mais la banque hellénique garda les bons que Titlos émettait. Elle s’en servit à titre de collatéral pour emprunter davantage auprès de la Banque Centrale Européenne ! Edward Manchester, un vice-président de l’agence de notation Moody’s, a dit que la Grèce va perdre beaucoup d’argent dans ce marché de dupes. Dans des camps … Cette affaire démontre, une fois de plus, que l’on ne peut pas accorder sa confiance aux cigales méditerranéennes. Elles ont vécu pendant dix ans aux crochets des fourmis. Elles ont sacrifié l’avenir de leur progéniture. En cela, elles n’ont fait que suivre la litote de leur maître à penser, Lord Keynes, qui déclarait, à ses détracteurs : «Dans cent ans nous serons tous morts». Contrairement à ce dont nous bassine la propagande gouvernementale, il n’y a pas de bons (dépenses d’avenir) ou de mauvais déficits budgétaires, tous les déficits budgétaires sont mauvais et doivent être exclus, dès 2010, par une loi fondamentale. Plus nous tarderons à revenir à l’équilibre budgétaire, plus nos enfants souffriront. «Un jour viendra où les jeunes enfermeront les vieux dans des camps», clama le prophétique Friedrich August von Hayek. Ce jour approche... Bernard Martoïa
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