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27/11/11 Bernard Martoïa
 
  Le point de non retour a été franchi cette semaine
                             pour la zone euro !

La crise de la zone euro a été prise à la légère par les dirigeants européens dans sa première phase avec l’insolvabilité non déclarée de la Grèce. Pendant plus d’un an, ils ont dénié ce grave problème en prétendant qu’il ne s’agissait que d’une crise de liquidité passagère pour Athènes. Une saignée fut préconisée par les docteurs Knoch venus à son chevet avec une hausse des impôts qui frappa avant tout un secteur privé déjà écrasé par la charge d’un secteur public pléthorique. Arriva ce qui devait se produire. Le plan dit de « redressement » s’est soldé par une forte contraction de l’activité économique, sans que la Grèce puisse rembourser une partie de sa dette publique qui s’envole. Celle-ci devait dépasser 185% de son P.I.B. avant qu’un énième plan de sauvetage en annule la moitié.

Puis la crise de l’euro a atteint le cœur de l’Europe. Contrairement à l’opinion dominante, il ne s’agit pas d’une contagion ou d’un effet domino, mais d’un effet « pop corn », tel que décrit par le professeur Edward Lazear. Quand la température est trop chaude, les pop corn sautent de la casserole. Dans le cas particulier qui nous intéresse, les États qui sont soit dégradés par les agences de notation (Belgique, Hongrie, Espagne, etc.), soit attaqués parce qu’ils ne peuvent plus refinancer leurs dettes sur le marché obligataire (Italie), ou les deux à la fois, ne sont pas victimes d’un effet domino. Ils ne sont pas non plus victimes d’une quelconque contagion provoquée par la Grèce, mais ils sont tout simplement victimes de leur propre dette jugée insoutenable par les marchés obligataires.

Les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, qui ont mené une enquête sérieuse sur huit siècles de folie financière à travers le monde, ont déduit qu’au-delà d’un seuil de 90% du P.I.B., la dette d’un État devient incontrôlable. Aussi n’est-il pas étonnant que l’Italie avec un ratio dette/P.I.B. de 120% n’attire plus les investisseurs étrangers. Ces ratios atteignent 85% pour la France et l’Allemagne. La prudence voudrait que les deux poids lourds de l’Europe freinent leurs dépenses publiques pour ne pas dépasser ce seuil fatidique, mais Paris n’a pas craint de charger davantage la barque en garantissant la dette des cigales à travers le mécanisme compliqué du Fonds européen de stabilité financière. C’est une grave erreur de sa part car les marchés et les agences de notation commencent à se rendre compte que son triple AAA ne se justifie plus. Voilà pour les causes.

Si un diagnostic est mal établi, on ne peut pas trouver de solution à la crise. Les États-providence d’un grand nombre de pays européens doivent être réduits drastiquement pour pouvoir honorer leurs dettes. Mais les dirigeants européens ne veulent pas l’admettre et font croire à l’opinion publique que c’est la faute des marchés obligataires, des agences de notation, de Wall Street, de la Chine avec son dumping social, etc. Prendre des bouc-émissaires ne change rien à la donne, sauf à gagner du temps pour se faire réélire. Mais le calendrier électoral ne s’accorde pas avec celui des marchés. C’est ce que n’ont pas compris certains dirigeants européens qui ont multiplié les sommets pour se rassurer eux-mêmes alors que leur pouvoir vacille. Des gouvernements de technocrates remplacent ceux incapables d’enrayer la spirale de l’endettement. Telle est la sanction de nos jours à Athènes et à Rome.

Venons-en aux conséquences de ce déni des réalités. Le marché n’est pas une entité qui répondrait d’une seule voix aux ordres dictés par Bruxelles. C’est une communauté de millions d’investisseurs qui ont chacun un horizon et un objectif différents les uns des autres. A ne pas vouloir apporter une réponse à la crise de la dette par une annonce d’un plan crédible de réduction des dépenses publiques, les dirigeants européens ont fini par inquiéter le marché. Tout le monde sait que la peur est plus contagieuse que la cupidité. C’est ce qui s’est produit cette semaine quand les investisseurs n’ont plus voulu racheter la dette de pays trop endettés. Comme dans tout marché, quand l’offre de bons du trésor est largement supérieure à la demande, les taux d’intérêt grimpent. Mais à cette loi bien connue des marchés s’est ajoutée, au cours de cette semaine, la prévision que la zone euro allait éclater en raison du profond désaccord subsistant entre Paris et Berlin au sujet du rôle de la B.C.E.

Au départ de la construction de l’euro, il y avait un profond désaccord entre les deux capitales. Paris voulait arrimer l’ex-Bonn à l’Europe car elle craignait la renaissance d’une Mitteleuropa forte dont elle serait écartée à la suite de l’annexion de la R.D.A par la R.F.A. consécutive à l’effondrement du mur de Berlin. De son côté, Bonn accepta l’union monétaire désirée par Paris à la condition impérative que la B.C.E. demeurât indépendante. Les Allemands n’ont pas oublié l’hyperinflation des années vingt provoquée par l’intransigeance de Clémenceau au traité de Versailles de 1919, avec sa phrase célèbre : « L’Allemagne paiera ! ».

Pendant une décennie, les cigales méditerranéennes ont eu le beurre (une monnaie forte avec l’euro) et l’argent du beurre (un déficit budgétaire pour financer un Etat-providence trop généreux). Puis est arrivée d’Amérique la crise des subprimes, en septembre 2008, qui s’est répandue sur le vieux continent comme une traînée de poudre. Les indécrottables keynésiens ont alors prôné une relance par un accroissement du déficit budgétaire en vertu de la boîte noire du multiplicateur. Pour chaque euro dépensé, il y aurait 1,5 euro de croissance supplémentaire. De son côté, Berlin refusa, malgré les pressions de Washington et de Paris, à la sirène de la boîte noire.

L’histoire a prouvé qu’en dehors de Jésus de Nazareth, il n’y avait personne qui fût capable de multiplier les pains et les poissons. S’il en fallait encore la preuve, le plan « vert » d’Obama en faveur du secteur de l’énergie renouvelable s’est soldé par un retentissant échec (voir l’éditorial du Wall Street Journal que j’ai traduit hier). Mais allez faire comprendre cela à la secte verte ou aux indécrottables keynésiens comme le prix Nobel d’économie Paul Krugman. Ils vous répondront invariablement que le plan n’était pas assez ambitieux pour produire l’effet multiplicateur. Il faudrait dépenser non pas des milliards mais des trillions de dollars pour atteindre la masse critique d’entraînement.

Puisqu’il est question de « masse critique », cela servira de transition pour arriver au point essentiel de cet article. En effet, une « masse critique » vient d’être atteinte en Europe avec la fuite hors de la zone euro des investisseurs qui se délestent de leurs obligations européennes et qui n’est plus compensée par la zone euro elle-même. Les banques étrangères envisagent sérieusement à présent l’éclatement de la zone euro. Ce n’est pas le méchant républicain Wall Street Journal qui l’écrit mais le gentil démocrate New York Times si proche du cœur des Européens, et qui vient de l’annoncer à ses lecteurs en ce dimanche qui suit « l’overdose » des consommateurs qui se sont rué vendredi à minuit aux portes du grand magasin Macy’s qui ouvre la saison des fêtes de Noël en Amérique. (1)

Comme l’a reconnu l’eurocrate Mario Monti, si l’Italie plonge, l’euro aussi. C’est ce qui va se produire bientôt quand son pays, qui est le troisième emprunteur de la planète après les États-Unis et le Japon, ne pourra plus se refinancer sur le marché obligataire. Sa dette de 1900 milliards d’euros est très supérieure au F.D.S.E, dont là encore nos indécrottables keynésiens nous ont raconté qu’avec 1000 milliards d’euros, il aurait un effet multiplicateur non pas de 1,5 mais de 2. Pourquoi n’ont-ils pas annoncé un multiplicateur de 5 pour rassurer les marchés crédules ? Je ne comprends pas leur timidité. La fameuse boîte noire sera-t-elle suffisante pour calmer les requins qui flairent un grand carnage, non plus en mer Égée qui n’était que du menu fretin, mais en mer du Nord où sont concentrés les bancs de harengs ? Un adage de Wall Street dit que les bons comme les mauvais soldats sont emportés dans la tempête. La preuve nous a été apportée cette semaine avec l’envolée des taux d’intérêt des bons du trésor de la Finlande ou les Pays-Bas qui sont des pays vraiment sérieux en matière budgétaire.

Paris, qui a longtemps misé sur la capitulation de Berlin en ce qui concerne le statut de la B.C.E., vient de réaliser qu’elle ne cédera jamais. Pris de panique, les énarques concoctent un plan B avec l’élaboration d’un nouveau traité prévoyant une Europe fédérale budgétaire. Comme disait Dominique Strauss-Kahn à son retour en France, « Le problème des Européens, c'est qu'ils font souvent soit trop peu, soit trop tard, soit souvent trop peu et trop tard. » Pour ma part, je considère que le point de non retour de la zone euro a été atteint cette semaine avec l’envolée des taux sur la dette italienne. En sus du plan B, qui ne calmera pas les marchés, les énarques devraient songer au plan C en dépoussiérant et en testant notre vieille planche à billet qui devra bientôt resservir.

« L’histoire n’est qu’un éternel recommencement », disait Johann Wolfang von Goethe qui était né le 28 août 1749 à Frankfurt am Main. Par une cruelle ironie de l’histoire, la ville, qui est appelée Francfort-sur-le-Main en français, est le siège de la B.C.E. Il ne pouvait en aller autrement dès lors qu’on répétait la même erreur du passé en disant que l’Allemagne devrait toujours payer pour nous, avec cette fois le sauvetage des grenouilles banquières qui voulaient se faire bœufs.

Reconnaissons que nos énarques ont de grandes idées mais qu’elles ne sont pas toujours applicables et comprises par nos partenaires. C’est la leçon d’humilité que nous devons tirer alors que des générations de Français vont devoir payer l’addition de leur folie des grandeurs.

Bernard Martoïa

(1) “Banks build contingency for breakup of the Euro”.


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