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9/5/10 | Bernard Martoïa |
Torpilles sous l’Atlantique ! « Dès que les hommes sont emportés par un événement, ils cessent d’avoir peur. Seul l’inconnu effraie les hommes. » Antoine de Saint Exupéry La tempête en Mer Égée n’a pas changé d’un iota la position de certains chefs de gouvernement ou d’État européens qui sont en faveur d’un sauvetage désespéré de la belle Hélène. Elle a simplement accéléré leur rencontre et leur parlotte à Bruxelles. Le plan de sauvetage de 110 milliards d’euros, entériné après des mois de finasserie de la fourmi allemande, n’a pas ramené le calme sur les marchés. Dans la semaine écoulée, l’indice Euro Stock 50 des principales valeurs européennes a dévissé de 8,75 %. La bourse de Paris est plus durement touchée que les autres en raison de la surexposition des banques françaises en Grèce. Le CAC 40 a plongé de 11%. L’action du Crédit Agricole s’effondre de 32% et celle de la Société Générale de 30% ! Il ne fallait pas être un grand devin (1) pour prédire cette issue alors que les engagements imprudents en Grèce de la seule banque mutualiste française s’élèvent à plus de trente milliards d’euros. Attaquée de toutes parts, la banque agricole a dû concéder une déclaration à la presse où elle admet une exposition à l’État grec de 3.8 milliards d’euros. Elle passe sous silence son exposition au secteur privé grec qui est dix fois plus élevé. Elle a acheté la banque grecque Emporiki qui est un aussi bon investissement qu’un crédit américain subprime… L’allergie des collectivistes à l’aléa moral va tous nous ruiner Il a été souvent reproché par les citoyens américains au gouvernement fédéral d’avoir sauvé les grandes banques (Wall Street) et laissé choir le reste du pays (Main Street) selon l’adage cynique « too big to fail ». Plus une banque est grosse, plus elle peut se permettre de prendre des risques inconsidérés. Le gouvernement n’aurait pas d’autre option que de lui venir en aide pour prévenir un risque systémique. Quand tout va bien pour elle, elle empoche des bénéfices qui sont indécents. Quand elle se plante, les pertes sont épongées par le contribuable. Surfant sur la vague de ressentiment provoquée par le tsunami lié à la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers, l’opportuniste chef de l’État français a retourné sa veste (pseudo libérale) lors de son discours à Toulon le 25 septembre 2008. Il a stigmatisé et morigéné les banquiers en les convoquant à son palais de l’Elysée. Sous la pression des socialistes, au premier rang duquel on retrouve le journal Le Monde, il s’est engagé à faire promulguer rapidement une loi de circonstance pour faire rendre gorge aux banquiers. Notre point de vue, totalement ignoré des médias français, est le reflet de l’école autrichienne de Ludwig von Mises qui est en pleine expansion aux Etats-Unis. (2) Pour les non-initiés, il ne faut pas la confondre avec celle des monétaristes (Chicago boys) qui sont béats d’admiration devant le travail accompli par Ben Bernanke et son prédécesseur Alan Greenspan à la tête de la Fed. Nous avons répété qu’il est inutile de s’en prendre aux conséquences visibles (bonus indécents des banquiers) et qu’il est nettement préférable de s’attaquer aux causes invisibles (le rôle néfaste des banques centrales dans la formation et la propagation des bulles). C’est pourquoi de nombreux lecteurs sont désarçonnés par les analyses qui sont parfois diamétralement opposées de ces deux écoles de la pensée libérale et que nos adversaires collectivistes, qui sont incultes en matière économique, englobent sous un même vocable. Nous avons martelé qu’un plan keynésien de relance par la demande ne pouvait qu’aboutir à une bulle obligataire avec le risque systémique d’un État faisant défaut sur sa dette. Nous n’avons malheureusement jamais pu nous faire entendre des pouvoirs publics et des élus de la majorité. Leur arrogance certitude de détenir la vérité, à travers une condamnation hâtive et sans appel du marché, les a non seulement aveuglés mais leur a fait prendre une décision encore plus grave de conséquence que la précédente. A un endettement excessif des ménages américains, provoqué par une politique de non-discrimination à l’égard des minorités ethniques pour un accès égal au crédit immobilier (Community Reinvestment Act de 1977), laquelle est contraire au métier de base d’un banquier qui consiste justement à discriminer les candidats à la propriété en fonction de leurs revenus, s’est ajoutée, à l’automne 2008, une folle politique de dépenses publiques pour sauver à la fois les ménages surendettés et les banques fautives. Les Keynésiens nous ont raconté qu’il n’y avait pas d’autre solution qu’un surcroît d’endettement pour résorber une crise d’endettement, mais que lorsque la croissance serait revenue, ils s’attaqueraient à la montagne de dette qu’ils ont créée. Comprenne qui pourra… Nous avons dénoncé à maintes reprises cette incohérence de la part de ceux qui sont censés détenir la vérité. En vain ! Comme nous l’avions prédit, la croissance n’est pas repartie en Europe mais les dettes s’accumulent. Un cercle vicieux est enclenché. En renonçant à laisser la purge s’accomplir (laquelle est incontournable pour renouer avec une croissance saine), les dirigeants américains et européens ont choisi l’impasse japonaise. Depuis vingt ans, ce pays est englué dans une croissance atone (1% par an en moyenne) et il a accumulé une dette colossale représentant deux fois son PNB. Tous les plans de relance des gouvernements japonais se sont soldés par un échec ! Le plan adopté par les Européens est du même acabit. Donner un peu d’oxygène à la cigale grecque ne fera qu’aggraver son problème à long terme (l’accroissement de la charge de la dette) mais ne rétablira nullement sa compétitivité. Cette dernière peut être rétablie de deux façons : l’une, théorique, à travers une déflation (baisse de 50% des salaires) qui est impossible à conduire par les gouvernements de gauche ou de droite qui ont trafiqué les comptes publics pour acheter les voix des électeurs, l’ autre, réaliste, par une dévaluation en sortant de la zone euro. La restauration de la compétitivité de l’économie grecque est indispensable pour faire repartir son économie. Les eurocrates qui sont à son chevet veulent lui pratiquer une saignée à travers une hausse des taxes, alors qu’il faudrait au contraire les baisser. On peut prédire une croissance négative l’année prochaine en Grèce. Cela asphyxiera davantage le patient qui doit honorer une facture alourdie de 110 milliards. L’entêtement des partenaires d’Athènes, et surtout de Paris, nous conduit tout droit à la catastrophe. La Grèce fera défaut l’an prochain et l’euro implosera. Des économistes américains nobélisés et peu suspects d’europhobie envisagent de plus en plus ce scénario. Dans cette affaire, Paris reste arc-bouté sur une ligne Maginot imaginaire. Paul Krugman vient d’en remettre une deuxième louche dans les colonnes du New York Times (3) : “Je me rappelle avoir plaisanté, quand le traité sur l’Euro fut signé à Maastricht, en disant qu’ils avaient choisi la mauvaise ville pour cette cérémonie. Elle aurait dû avoir lieu à Arnhem, un site de la Seconde Guerre mondiale qui est entré dans l’histoire pour son infâme “pont trop loin”. Le projet trop ambitieux des Alliés se solda par un désastre. » Selon une étude menée par les deux universitaires américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, la longueur moyenne des défauts de paiement de la Grèce est de 50,6 années. (4) Le Crédit Agricole et la Société Générale ne sont donc pas près de récupérer leur argent. Il se pourrait même que ces deux banques fassent faillite avant que la Grèce ne rembourse son premier euro. Comprendre l’aléa moral à travers un exemple concret La tragédie qui se noue sans le consentement des peuples européens concernés ressemble étrangement à une autre, jouée pendant la Seconde Guerre mondiale. Imaginez un sous-marin allemand, de la classe XXI, un bâtiment de 2100 tonnes, patrouillant en Mer Égée en 1943. Il est repéré par un convoi britannique. Plusieurs mines lui sont lancées. Toutes le ratent mais l’une explose si près de la coque que la déflagration provoque une voie d’eau dans la salle de repos des sous-officiers. Que fait le commandant allemand ? Il a une terrible responsabilité à assumer en quelques secondes. Soit il vient en aide aux victimes, soit il ordonne de condamner le compartiment en question pour sauver son bâtiment. A travers les hauts parleurs, il entend les hurlements des marins piégés. S’il se laisse apitoyer, il n’est pas sûr de pouvoir contenir la voie d’eau car elle risque de se propager à d’autres compartiments voisins. S’il demeure inflexible, il a une chance certaine que son bâtiment soit sauvé. Le second officier lui apprend que l’on peut tenter, in extremis, de sauver les marins mais que la salle des moteurs risque d’être atteinte par la voie d’eau. L’équation du commandant se complique. Il a encore la possibilité de sauver ses hommes mais avec le risque de perdre le contrôle de son bâtiment si les moteurs tombent en panne. Toute proportion gardée, c’est la tragédie des Européens, sauf qu’il n’y a pas un commandant à bord du sous-marin mais deux ! Berlin voudrait condamner immédiatement la voie d’eau mais Paris préfère sauver la cigale grecque au risque de perdre définitivement le contrôle du bâtiment. Un commandant avisé n’en prendrait certainement pas le risque. Voilà où l’on en est à aujourd’hui… Pour les tenants de l’école autrichienne, ce dilemme serait vite résolu. Chaque méga-banque (Crédit Agricole ou autre) devrait être démantelée en dix entités afin qu’elle ne fasse plus courir un risque systémique à l’ensemble de la communauté. (5) Comme tout individu, un État responsable assume son devoir à l’égard de ses serviteurs avec le provisionnement des retraites de ses fonctionnaires, et à l’égard de la communauté internationale par le remboursement de ses emprunts. Au lieu de critiquer, sans cesse, l’égoïsme de la fourmi allemande, la cigale française ferait mieux de s’occuper de ses affaires ! Elle n’a même pas abondé un fonds pour la retraite de ses fonctionnaires. Elle signe allègrement des chèques en blanc en empruntant la retraite de ses fonctionnaires sur les marchés financiers. Gare à la dure sanction qui va tomber, un jour, avec la dégradation du triple A par une agence de notation ! Bernard Martoïa (1) Archive du 1er mai 2010 : « La farce athénienne ». (2) https://mises.org/ (3) Édition du New York Times du 6 mai 2010 : Op-Ed « A money too far », par Paul Krugman. (4) Archive du 19 décembre 2009 : « Le mythe du temps différent ». (5) Archive du 14 novembre 2009 : « Démanteler les méga-banques : l’idée progresse !»
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