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29/11/09 Bernard Martoïa

Quand les tours s’élèvent, c’est que l’économie s’effondre !

"Les hommes ne trébuchent pas sur des montagnes, ils tombent sur des cailloux." Vieux proverbe chinois.

Alors que Wall Street était fermé en raison de la journée des actions de grâce, un tremblement de terre d’une forte magnitude a ébranlé, jeudi, toutes les autres places financières de la planète. L’épicentre du tremblement de terre a été localisé à Dubaï. La structure financière Dubaï World Trade Center a demandé, ce jour là, un moratoire de six mois pour éponger sa dette faramineuse, à l’échelle du pays, de 59 milliards de dollars. Comme d’habitude, les agences de notation ne nous ont pas avertis de cet imminent désastre. Il n’en fallait pas davantage pour provoquer une panique générale.

Cet émirat du Golfe Persique est dépourvu de pétrole. Mais sous la houlette de son suzerain mégalomane, il a tout misé sur l’immobilier de grand standing. Après l’ouverture en grande pompe du plus luxueux hôtel de la planète, laquelle a malheureusement coïncidé avec la faillite de Lehman Brothers, l’émirat voulait se rattraper, très prochainement, avec la livraison de la plus grande tour du monde. Le Burj Dubaï, d’une hauteur prévue de 818 m, dont la construction a commencé le 21 septembre 2004, devait être livré le 4 janvier 2010. Mais six semaines avant sa livraison, un grain de sable du désert vient subitement de paralyser ce projet pharaonique.

Pour les profanes, Dubaï Word Trade Center serait victime d’une malédiction, comme celle qui frappa, en son temps, la compagnie maritime White Star Line qui était propriétaire de l’Olympic, du Titanic et du Britannic. Beaucoup moins connu que celui du Titanic est le drame du Britannic, transformé en hôpital durant la Première Guerre Mondiale, et qui coula, victime d’une mine allemande, au large de l’île de Kea en Grèce, le 21 novembre 1916, alors que ce bâtiment allait rapatrier des blessés sur le front des Dardanelles.

Dubaï est l’exemple type d’un mauvais investissement

Pour les tenants de l’école autrichienne, la faillite de Dubaï ne relève en rien de la malédiction de la momie de Toutankhamon qui frappa tous ceux qui avaient osé troubler son sommeil éternel. Non, les choses sont plus prosaïques que cela.

Cette faillite est un bon exemple de la théorie des mauvais investissements. En période d’euphorie, les projets les plus déraisonnables voient le jour. Le projet d’un gratte-ciel est annoncé et la construction démarre en fin de hausse du cycle économique lorsque l’économie tourne à plein rendement et que la main d’œuvre est rare. Ce qui induit une hausse substantielle des coûts de la construction. Mais comme la spéculation immobilière bat son plein, une forte incitation s’exerce à construire en hauteur pour pallier le coût du foncier. C’est le cas de tous les centres-villes du monde.

Un facteur aggravant est la baisse anormale des taux d’intérêt qui sont manipulés par les banques centrales. Le taux d’intérêt est le prix du renoncement au présent. Il devrait fluctuer au gré de l’offre et de la demande de crédit. Mais depuis 1913, ce marché est contrôlé par une technocratie omnipotente dont il faudra bien, un jour, se débarrasser.

La construction de gratte-ciel est inversement proportionnelle au coût du crédit.

Le projet de construction de la tour Burj Dubaï a été arrêté, en 2003, lorsque les taux d’intérêt, en Amérique ou au Japon, étaient à 1%. C’est un consortium de banques étrangères qui l’a financé. Il comprend HSBC et Standard Chartered du côté anglais, Sumitomo Mitsui Financial du côté japonais, et une ribambelle de banques sud-coréennes. La Corée du Sud est la plus exposée parmi les nations engagées à Dubaï ; ce qui explique pourquoi la bourse de Seoul a chuté de 6 % !

Les promoteurs ont non seulement mal estimé les coûts mais aussi la rentabilité. En temps normal, lorsque les coûts du foncier, des matériaux et de la main d’œuvre sont prévisibles, les développeurs utilisent des formules éprouvées pour estimer l’économie d’un tel projet. Ces calculs sont basés sur le concept de profit net du capital. La valeur prend en considération le profit net sur une période longue de trente ou quarante ans. Mais en période de bulle immobilière, ces repères disparaissent. Il en résulte une distorsion des prix qui empêche toute probabilité sérieuse. En cas de retournement du marché (baisse des prix) il n’est pas rare que les promoteurs fassent faillite. C’est ce qui vient d’arriver à Dubaï World.

L’indice des gratte-ciel est le meilleur indicateur de fin de cycle

Aussi étrange que la malédiction de la momie de Toutankhamon, on s’est aperçu que la construction du plus grand gratte-ciel d’une époque donnée coïncide avec la fin d’un cycle économique. Le gratte-ciel serait donc le meilleur indicateur d’un retournement de tendance du marché. C’est ce qu’a démontré l’économiste Andrew Lawrence en s’appuyant sur les « effets de Cantillon ». Richard Cantillon fut le premier à mettre en évidence que les changements d’offre de monnaie et de crédit avaient un impact sur la structure relative des prix. D’où l’impossibilité d’établir le coût d’un grand projet s’étalant sur plusieurs années.

Cette étude trouve, évidemment, ses sources en Amérique. L’achèvement en 1892 du temple maçonnique à Chicago (le premier immeuble à dépasser une centaine de mètres) coïncida avec la plus grande contraction, sur un trimestre, du PNB américain et avec la panique subséquente de 1893. En 1898, la finition de Park Row Building à New York, d’une hauteur de 119 mètres, fut précédée par la panique financière de 1897. En 1908 fut achevé le Singer Building d’une hauteur de 187 m, un an après la grave crise financière de 1907 qui allait donner naissance à la Fed. En 1930, New York trouvait, à travers l’achèvement du magnifique Chrysler Building de style art décoratif, d’une hauteur de 319 m, un court moment de répit dans la Grande Dépression qui s’était abattue en 1929. En 1972, l’achèvement du One Word Center, 417 m, suivi, un an plus tard, par celui du Two World Center, 415 m, coïncida avec une décennie de stagflation.

Mondialisation oblige, la mode des gratte-ciel s’est exportée. En 1998, la Malaisie réceptionnait les Petronas Twin Towers, 452 m, un an après la sévère récession qui frappa l’Asie du Sud-Est. Le 26 novembre 2008, le Burj Dubaï, 818 m, marque un formidable accélérateur dans la course à la hauteur mais aussi dans les dégâts collatéraux.

A qui le tour peut-on se demander ? Une sévère récession en Chine, en 2012, avec la réception de sa tour à Shanghai ? Ou bien la banqueroute de la France quand elle se sera dotée d’une tour de 400 m au quartier de la Défense ? Avec le fils du président de la République, parachuté au conseil d’administration de l’établissement public pour l’aménagement de la Défense, les paris sont lancés.

Bernard Martoïa

 

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