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17/11/11 | Walter Russel Mead |
L’inévitable divorce entre la
France et l’Allemagne
La crise européenne répète inlassablement le même schéma. Les mauvaises nouvelles font plonger les marchés. Les dirigeants européens se concertent, délibèrent et arrivent à ce qu'ils considèrent comme une «solution». Les marchés sautent de joie jusqu'à ce que les investisseurs lisent les petits caractères du communiqué et découvrent que « la solution » est une farce et que les problèmes fondamentaux demeurent. Puis les mauvaises nouvelles redémarrent et les marchés plongent. Cela se répète indéfiniment. Telle semble être la stratégie de l'Europe pour faire face au plus grand défi qu’elle a à relever depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette semaine, nous voyons le cycle à nouveau en action. Le dernier miracle - mettre en selle des gouvernements technocratiques en Italie et en Grèce - est d’ores et déjà éculé. En attendant, il y a des mauvaises nouvelles en provenance d'Espagne et du Portugal où, malgré les promesses les plus solennelles d’entreprendre les réformes avec la bénédiction de Bruxelles, les économies de ces pays ne redémarrent pas. Ajoutez à cela un bond sur les rendements obligataires italiens, et l'Europe a repris sa sinistre glissade. Le problème sous-jacent demeure : l'Allemagne et la France sont bloquées dans leur lutte la plus féroce depuis la percée des panzers de Guderian dans la forêt ardennaise en 1940. L'argent est une composante importante de cette lutte sans merci. Pour faire court, l'Allemagne doit payer pour ressusciter d'entre les morts le système bancaire français. Des régulateurs européens écervelés (qui ont accompli l'exploit non négligeable de faire passer le dysfonctionnement du système bancaire américain comme une simple péripétie de l’histoire) ont poussé de nombreuses banques à investir dans la dette souveraine dès à présent sans valeur de pays comme l'Espagne, l'Italie et la Grèce. Ainsi les banques françaises, en particulier, sont pleines à ras bords d’obligations pourries. Pire, l'élite française a décidé, à sa façon élégante, que c'était le bon moment pour investir en Italie avec l'achat de banques, de sociétés et d’obligations, ce qui constitue l'intervention française la plus désastreuse dans la péninsule italienne depuis que le roi François Ier a perdu la bataille de Pavie en 1545. Évidemment, comme l’affirment les Français, l'Allemagne doit payer pour cela. (1) Avec leur logique gauloise immaculée, ils peuvent démontrer que si la France est coincée avec sa folie des grandeurs, elle perdra sa cote de crédit AAA qui, à son tour, rendra le Fonds européen de stabilité financière (FESF) inopérant, exposant l'Europe, et l'Allemagne en particulier, à la pleine force de la tempête financière. La position française semble d'attendre patiemment que l’esprit lent de leurs voisins teutoniques fasse son chemin vers une compréhension de la clarté du raisonnement français. À ce moment-là, les Allemands seront censés capituler en autorisant la Banque centrale européenne (BCE) à imprimer directement ou indirectement des masses d'argent pour sauver le système bancaire français sans que se produise rien d’aussi humiliant pour l’élite française qu’un renflouement jamais évoqué. Si c'était tout, peut-être la question pourrait-elle être réglée. Mais c’est surtout une question de pouvoir : il s’agit de savoir qui régnera en Europe, ou plus exactement quelles seront les règles qui seront appliquées en Europe dans les décennies à venir. La France est fondamentalement un pays du Club Med, avec quelques traits nordiques que l’on retrouve historiquement parmi les communautés huguenotes et juives qui lui ont donné ses meilleurs chefs d’entreprise. La France veut un système économique qui soit dirigé par le «politique» pour toute l'Europe, celui dans lequel les pressions politiques peuvent assurer le genre de dévaluation constante de l'euro que l'Italie, l'Espagne, la France, la Grèce et le Portugal ont utilisé à profit pour leurs monnaies nationales dans le bon vieux temps. Le seul problème avec ce vieux système, c’est qu'il a donné trop d'avantages aux Allemands, aux Hollandais et aux autres sous la forme de taux d'intérêt plus bas. La France veut tenir les Allemands avec une devise latine et des règles latines. Pour sa part, l’Allemagne voudrait que les pays latins vivent sous les règles nordiques, avec une monnaie forte, un budget équilibré, et en laissant choir les pays qui ne peuvent pas suivre son exemple. Il n’y a personne en Allemagne qui voudrait vivre avec les règles latines et laisser l'euro entre les mains de politiciens français ou italiens. Des technocrates liés par leurs règles, les Allemands peuvent s’en accommoder. C'est pourquoi un technocrate italien a remplacé un Français à la tête de la B.C.E. Mais c'est aussi pourquoi les Allemands sont très pointilleux sur les règles pour empêcher la BCE de renflouer les pays insolvables en rachetant massivement leurs dettes pourries. S’il y a un moyen de combler le fossé entre ces deux positions, personne ne l'a trouvé jusqu'à présent. Aucune des deux parties n’est prête à se rendre et aucun compromis ne peut être trouvé. C'est pourquoi les sommets européens se terminent toujours par un communiqué décevant. Aucune des deux parties ne souhaite un krach boursier, et les deux parties travaillent ensemble pour produire un accord plausible mais uniquement sur le papier tant les différences sont inconciliables entre elles. Quelle Europe adviendra ? Dans le passé, les nations ont fait la guerre pour ce genre de désaccord. Cette fois, le différend se trouve être la monnaie. L'UE est une tentative pour développer une structure post-historique qui puisse accommoder ces controverses sans effusion de sang, mais il a toujours été caché que les intérêts de la France et de l'Allemagne demeurent inconciliables. (2) Il n'y avait pas, jusqu'à ce que l'euro arrime ces deux pays dans une monnaie unique, de règle commune. La question est maintenant de savoir si la France va imposer sa loi à l'Allemagne, comme elle l'a fait dans la période napoléonienne et en 1918, ou si l'Allemagne va dicter la sienne à la France comme elle l'a fait en 1870 et en 1940. Les Allemands sont plus riches et plus tenaces, les Français plus sémillants et plus vite sur leurs pieds. Nous verrons bien. Walter Russell Mead (1) C’est une référence à la position intransigeante et humiliante de Clemenceau aux négociations du traité de paix de Versailles en 1919 qui se traduira par le revanchisme allemand, la défaite cuisante de l’armée française en 1940 et la signature exigée par le chancelier Adolf Hitler de sa capitulation dans le même wagon de Rethondes pour effacer l’humiliation subie le 11 novembre 1918. L’élite française actuelle fait penser à la phrase de Talleyrand au retour des émigrés en France : « Ils n’ont rien appris ni rien oublié. » L’histoire n’est qu’un éternellement recommencement. (2) Après la réunification de l’Allemagne qui a affolé le Quai d’Orsay, avec la perspective d’une puissante Mitteleuropa dont la France serait exclue, le rusé Mitterrand eut l’idée d’une monnaie unique pour phagocyter l’Allemagne. Le traité de Maastricht de 1992 était un contrat de mariage entre cigales et fourmis. Etabli par la fourmi allemande, il n’a pas été respecté par les cigales du Club Med qui, après avoir chanté tout l’été, pleurent pour être sauvées. Même si l’Allemagne acceptait de payer, elle ne pourrait empêcher la faillite de la zone euro. La France ne se résout pas à l’admettre. Tout ce qu’elle veut dans cette négociation qui n’en finit pas, c’est gagner du temps et sauver ses grenouilles banquières qui voulaient devenir bœufs. On aime toujours la folie des grandeurs dans notre royaume qui n’a pas changé de mentalité depuis le Roi Soleil. BNP Paribas et la Société Générale, qui sont les plus grandes banques du monde, sont au bord de la faillite. Comme dira son arrière petit-fils Louis XV : « Après moi le déluge ! »
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