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La mort d'Arafat est aussi celle de la politique arabe de la France

13/11/04 Claude Reichman
Qui la France a-t-elle accueilli, soigné et reconduit vers sa dernière demeure avec les honneurs dus à un chef d'Etat ? Un héroïque défenseur de son peuple ou un escroc de haute volée ? On peut vraiment se poser la question quand on sait qu'Arafat était classé par le magazine Forbes à la sixième place dans la liste mondiale des milliardaires, " deux rangs après la reine d'Angleterre ", comme le rappelle Ivan Rioufol dans son bloc-notes du Figaro. Né sans biens, Arafat ne devait sa fortune qu'au détournement de l'argent versé par les Etats arabes et européens au profit des Palestiniens. A cet égard, il n'a fait que suivre l'exemple d'innombrables politiciens que le pouvoir a scandaleusement enrichis. Cela suffit-il à condamner la cause qu'il a défendue ? Evidemment pas, car il n'est guère de causes au monde qui garderaient quelque validité si l'on devait en juger uniquement à travers l'honnêteté et le scrupule de leurs chefs.

C'est à une autre aune qu'il faut considérer le problème. La seule question qui vaille consiste à se demander si, finalement, Arafat aura rendu service aux Palestiniens ? A voir la triste situation dans laquelle ils se trouvent, la réponse semble bien devoir être négative. La seule victoire d'Arafat aura été de créer de toutes pièces la notion de peuple palestinien. Car s'il y avait évidemment des habitants de la Palestine, ils étaient d'origines très diverses et ne s'étaient jamais constitués en entité politique indépendante depuis la destruction de l'Etat juif au début de l'ère chrétienne. La création de l'Etat d'Israël après la seconde guerre mondiale allait créer un conflit régional qui aurait parfaitement pu être évité et qui a aujourd'hui dégénéré au point que le monde entier a les yeux fixés sur lui alors qu'il ne concerne directement qu'une dizaine de millions de personnes, Israéliens et Palestiniens confondus, sur six milliards d'habitants de la planète. Les Etats arabes voisins d'Israël ont déclenché une guerre contre celui-ci aussitôt après sa création et se sont bien gardés d'accueillir chez eux ceux des habitants de la Palestine qui ne voulaient pas cohabiter avec les juifs, préférant les voir vivre dans des camps de réfugiés qui constituaient un abcès de fixation et allaient fournir un vivier aux actions terroristes contre Israël.

Chirac en ordonnateur des pompes funèbres

Ayant perdu ses guerres contre l'Etat hébreu, le plus puissant pays arabe de la région, l'Egypte a fini par faire la paix avec lui, suivi plus tard par la Jordanie. Dès lors le conflit changeait de nature. Puisqu'il n'était plus question de victoire militaire contre Israël, il ne restait plus que le terrorisme. Et c'est le développement de celui-ci qui a entraîné le monde musulman dans un affrontement généralisé avec l'Occident, dont les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont marqué à la fois le début et la fin. Le début parce que les islamistes se sont risqués pour la première fois à attaquer l'Amérique sur son sol. Et la fin parce que ce faisant ils avaient signé leur arrêt de mort. Ben Laden avait omis de remarquer que les Etats-Unis n'étaient plus dirigés par un président faible et velléitaire, comme l'était Clinton qui n'avait pratiquement pas réagi aux attentats contre deux ambassades américaines en Afrique, mais par un homme, George W. Bush, qui, comme son véritable inspirateur, Ronald Reagan, pensait qu'on ne doit pas marquer la moindre faiblesse face à ses ennemis.

Dès lors les évènements allaient s'enchaîner avec la logique qui, partout, préside à l'établissement des rapports de force géopolitiques. L'Amérique a éliminé les bases d'Al-Qaida en Afghanistan, puis a détruit le régime de Saddam Hussein en Irak, avant d'imposer, demain, un nouvel ordre pacifique au Proche-Orient. Cette stratégie n'est évidemment pas sans risque, mais elle a pour elle la justesse de l'analyse du phénomène terroriste. L'histoire récente a prouvé qu'il n'y a pas d'actions terroristes d'envergure sans le soutien d'Etats, tout simplement parce que les auteurs de ces actions ne peuvent agir sans argent ni logistique, et surtout parce qu'ils sont presque toujours manipulés par tel ou tel gouvernement qui cherche, par ce moyen, à faire aboutir des revendications qui lui sont propres. Le terrorisme est évidemment une marque d'impuissance. Tel est, éminemment, le sens du terrorisme palestinien, qui a directement inspiré celui d'Al-Qaida par le recours aux attentats suicides.

Les Américains ont parfaitement compris qu'il leur fallait, d'une manière ou d'une autre, neutraliser les Etats voyous pour vaincre le terrorisme. Celui-ci peut encore frapper cruellement, mais il n'a plus aucune chance de vaincre l'Occident. C'est le message que l'Amérique a envoyé au monde en réélisant nettement George W. Bush. Et l'on ne peut s'empêcher de penser que, d'une certaine manière, c'est ce qui a poussé Arafat dans son tombeau. Avec lui, disparaît l'homme qui n'a pas su choisir la paix alors qu'elle était à portée de main et qui a eu recours une ultime fois au moyen, le terrorisme, qui a fait de lui l'inventeur en même temps que le bourreau de son peuple.

Demain, il y a aura un Etat palestinien, parce que c'est la seule issue possible au conflit avec Israël et parce que l'Amérique, l'Europe et Israël lui-même en sont d'accord. La paix a échoué au cours de la dernière décennie du XXe siècle parce que Clinton, qui la voulait pourtant sincèrement, n'avait pas l'envergure d'un grand chef d'Etat et que l'Europe, elle-même dépourvue de grands hommes, n'a jamais joué le rôle qui aurait pu être le sien et n'a su que financer la corruption de l'Autorité palestinienne, dont elle était le principal bailleur de fonds. Il revenait évidemment à la France de jouer le rôle de l'ordonnateur des pompes funèbres, avec toute la ridicule solennité dont Jacques Chirac s'est fait une spécialité, en abritant l'agonie d'un homme dont la mort signifie aussi celle de la politique arabe de notre pays. Nous resterons étrangers à la résolution du problème palestinien, qui ne relève plus désormais que de la pax americana. Mal gouvernée, la France, dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, n'a pas su être digne d'elle-même. Si tel avait été le cas, bien des morts et des souffrances auraient été évitées. Et la paix au Proche-Orient aurait pu être entrevue bien plus tôt.

Claude Reichman


 

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