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28/1/24 | Claude Reichman |
Surtout, il ne faut rien changer ! En face de chez moi il y avait une droguerie. Un des employés arriva à l’âge de la retraite et cessa d’y travailler. Mais chaque matin, devant le magasin, il attendait l’ouverture et saluait ses collègues. Il allait ensuite boire un café au bistrot du coin, puis revenait prendre son poste devant le magasin. Il passait sa journée ainsi, incapable de vivre autrement. L’homme est un être d’habitudes. Il déteste en changer. C’est la clé de tout régime politique. Seuls les bouleversements, qu’il s’agisse de guerres, de révolutions ou de tempêtes climatiques peuvent le faire vivre autrement. Par chance, ces évènements ne sont pas rares. Et l’homme peut ainsi évoluer. Une population compte toujours une minorité entreprenante. Tout l’art des gouvernants consiste à l’annihiler. S’ils y échouent, le pays sombre dans l’instabilité politique, jusqu’à ce qu’un pouvoir fort rétablisse la stabilité. Fût-ce contre l’intérêt du pays. Ainsi va la vie des peuples. La France a longtemps été une monarchie. Depuis deux siècles elle est en révolution. Mais le régime né après la fin de la deuxième guerre mondiale a aujourd’hui 80 ans et, s’il a été transformé en 1958 en faveur des gaullistes, il n’a en réalité pas changé depuis ces deux tiers de siècle. Il est resté pendant tout ce temps marqué par l’avancée permanente de l’Etat et de l’administration, et par la confiscation systématique, et sans cesse augmentée, des fruits du travail des citoyens. En fait c’est un régime totalitaire, de forme communiste, qui s’est durablement installé en France. La vie publique française n’a pas d’autre thème que la répartition des rapines de l’Etat. Le premier groupe servi a été celui des fonctionnaires. D’autres groupes ont été réduits à la portion congrue comme les médecins, dans l’intérêt non pas des patients mais de la Sécurité sociale. De ce fait, on a de plus en plus de mal à se faire soigner en France. Mais la Sécu est toujours debout. Les groupes bien servis, comme les enseignants, sont trop nombreux pour vivre bien, mais ils tiennent à leur poste car ils y ont le droit de ne pas beaucoup travailler, grâce notamment aux incessantes vacances qu’exige la fatigue des bambins et que prennent aussi par solidarité les professeurs. Un autre groupe tire bien son épingle du jeu. Il s’agit des retraités. Certains, qui vivaient d’activités indépendantes, sont miséreux, comme les agriculteurs et les commerçants. Mais la plupart des autres, qui étaient salariés, donc représentés par des syndicats aptes à mener des grèves, ont tiré leur épingle du jeu et vivent bien de leurs pensions. La plupart de ceux-ci ne se rendent pas compte que leur système de retraite, tout comme les civilisations dont parlait Paul Valéry, est mortel. Fondé sur le principe de la répartition, il ne peut distribuer que ce qu’il prélève, et quand le nombre de cotisants en vient à presque égaler celui des bénéficiaires, il n’y a presque plus rien à répartir. En ce moment un autre groupe se révolte, celui des agriculteurs, autrefois dénommés les paysans. Ils étaient le cœur de la population française. Ils ne sont plus que des employés de l’Union européenne, qui leur décerne leurs revenus. Mais l’Union est une puissance exportatrice, et si elle veut pouvoir le faire, il lui faut importer. De ce fait des produits étrangers viennent concurrencer ceux des agriculteurs français, et surtout ces derniers sont affectés d’une Sécurité sociale qui les ruine. Le charmant Attal est venu dans une grange leur servir lui-même un coup de rouge et a présenté en personne l’assiette de saucisson. Mais ils n’en sont pas plus riches et leur mort est proche. Il est inutile de prolonger davantage l’exposé des malheurs français. Tout le monde a compris que notre pays a un besoin pressant de changement. Mais il ne le peut pas, car le régime politique qu’il s’est donné ne le permet pas, sauf à disparaître au profit de nouveaux chefs. De ce fait, rien ne bouge. Et ce sera ainsi jusqu’à ce qu’une révolution vienne tout bouleverser. On peut dire de Paris ce que Fellini disait de Rome : c’est l’endroit le plus agréable pour attendre la fin du monde. Dire la fin d’un monde serait plus exact. C’est le monde français de la Libération qui est appelé à disparaître. Nous avons même eu l’idée d’élire à la tête du pays un jeune homme qui ne le représente en rien. N’ayant pas fait de service militaire, n’ayant eu pour copine que sa professeure qui avait vingt-six ans de plus que lui, n’ayant jamais eu d’enfants, bref n’ayant jamais vécu et fort seulement de la sagesse de sa grand-mère, il trône à l’Elysée et parle d’abondance pour ne rien dire, tel Néron ou Caligula, empereurs décadents ayant ouvert le chapitre ultime de l’Empire romain, que les invasions barbares allaient faire disparaître. Une pièce de Pinter eut un immense succès à Paris, comme dans le monde entier, dans les années soixante. Jacques Dufilho y jouait le rôle d’un clochard que deux frères avaient recueilli et qui ne cessait de dire, toute la pièce durant : « Il faut qu’on s’organise ! ». Bien entendu, on ne s’est jamais organisé. Les spectateurs qui se sont pressés au théâtre et fait un triomphe à la pièce ne savaient pas qu’ils applaudissaient l’agonie de la France ! Claude Reichman
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