Les
interventions des banques centrales faussent
complètement le marché !
Tout à coup, il ya des signes d'optimisme partout, à tout le moins sur les
marchés. Certains indices boursiers ont atteint leur plus haut niveau depuis
le début de la crise financière mondiale. Les fonds d'actions américaines
ont enregistré leurs plus fortes entrées d’argent depuis 2007. Les valeurs
bancaires européennes se négocient à un niveau proche de leur valeur
comptable et, selon Morgan Stanley, « elles sont enfin sorties du
triangle des Bermudes ».
Sur le marché des obligations d'entreprise, les spreads se sont fortement
resserrés à des niveaux jamais vus depuis le boom et leur émission est
exceptionnellement forte. Les rendements sur les obligations souveraines des
pays frappés par la crise de la zone euro se sont considérablement
resserrés. Le franc suisse a chuté bien en dessous du plafond fixé par la
Banque nationale suisse ; un signe clair que les investisseurs sont prêts à
prendre plus de risques. L'indice Vix, souvent appelée la jauge de la peur
du marché, est revenu au niveau de 2007. Il faudrait être un investisseur
extraordinairement incompétent ou malchanceux pour ne pas avoir gagné
d'argent au cours de ces dernières semaines.
Mais le fait que les marchés soient en hausse ne garantit pas que l'économie
réelle le soit aussi. Deux choses en particulier se trouvent derrière le
changement d'humeur du marché. La première est que les angoisses diverses
qui avaient pesé sur les investisseurs ont été levées : la zone euro ne
présente plus un risque de rupture imminente, les Etats-Unis ont contourné
le « précipice fiscal», et la Chine semble avoir évité un atterrissage
brutal de son économie.
Mais les marchés ont également réagi à ce qui semble être un changement
d'attitude des banques centrales. La Réserve fédérale américaine a fixé un
objectif d'emploi en sus de sa politique monétaire ultra-accommodante. (1)
La Banque du Japon est pressée par le nouveau gouvernement de M. Shinzo Abe
d'accroître son émission de monnaie. Et le nouveau gouverneur de la Banque
d'Angleterre, Mark Carney, a laissé entendre qu'il pourrait changer de cible
d'inflation afin qu’elle soit compatible avec un objectif de croissance plus
élevé, et ce à la grande joie du Trésor. Les marchés soupçonnent la
politique monétaire ultra-accommodante de pouvoir l’être davantage. (2)
Bien sûr, les décideurs espèrent que la hausse du prix des actifs se
traduira par une plus forte reprise de la croissance. Ce qui est loin d'être
prouvé.
L'une des principales justifications de l'assouplissement quantitatif (Q.E),
c'est que les prix supérieurs des actifs suscitent le retour de la
confiance, enflammant ainsi les spirit animals dans le jargon propre
aux keynésiens. Les banquiers centraux ont également parié que Q.E. pourrait
inciter les investisseurs à choisir des actifs plus risqués. Ils ont aussi
supposé que la hausse du prix des actifs va induire de puissants «effets de
richesse», encourageant les ménages à augmenter leur consommation. (3)
Mais il y a peu de signes que l’envolée du marché se soit accompagnée
d'améliorations importantes dans les prévisions de bénéfices des sociétés.
Il n'existe aucune preuve d'une reprise des dépenses d'investissement des
entreprises ; les enquêtes suggèrent que les chefs d'entreprise restent
prudents. Une grande partie de l’argent déversé sur le marché obligataire
est utilisé pour remplacer les coûteuses installations existantes ou pour
financer des rachats d'actions. Les dépenses de consommation dans les pays
en voie de développement restent également modérées.
Étonnamment, un nombre croissant de décideurs doutent que la politique
monétaire ultra-accommodante puisse générer une reprise de la croissance.
Les économistes de la Banque pour les règlements internationaux (B.R.I),
souvent considérée comme la banque des banques centrales, craignent depuis
longtemps que la politique monétaire accommodante ne donne qu’un répit aux
gouvernements, aux institutions financières et aux ménages pour assainir
leurs finances.
William White de la Fed de Dallas a fait valoir avec force que les taux
d'intérêt extrêmement bas aggravent le problème. Ian McCafferty de la Banque
d’Angleterre a dit, la semaine dernière, que les entreprises et les ménages
peuvent freiner leurs dépenses en raison de l'incertitude quant à l'avenir.
Cela va de soi, après tout, car le stock de la dette du gouvernement et des
ménages dans de nombreux pays occidentaux reste très élevé, et il y a un
manque de clarté sur la façon dont les niveaux d'emprunt seront réduits.
En effet, la preuve semble de plus en plus évidente que la politique
monétaire ultra-accommodante en général, et que l'assouplissement
quantitatif en particulier, ont simplement réduit la pression pour agir. (4)
Le Japon a connu des taux d'intérêt proches de zéro pendant deux décennies
au cours desquelles la dette publique en proportion du PIB a grimpé de 20% à
plus de 230%, alors que Tokyo a constamment résisté à des réformes
structurelles qui pourraient améliorer le taux de croissance de son
économie. La réponse du gouvernement britannique aux coûts d'emprunt très
bas a été d'abandonner son objectif d'endettement. De même, les banques
centrales craignent que les banques commerciales aient profité des taux
d'intérêt extrêmement bas pour éviter de purger leurs créances douteuses en
gardant en vie des zombies. Cela rend plus difficile que les entreprises se
développent en bonne santé et cela empêche aussi l’allocation optimale des
ressources.
En attendant, les conséquences non désirées de l'assouplissement quantitatif
deviennent de plus en plus visibles. Des taux d'intérêt très faibles dopent
le passif des fonds de pension ; ce qui conduit à un accroissement des
déficits. Cela force les entreprises et les ménages à accroître leur épargne
au détriment de la consommation. Q.E. est responsable d’une mauvaise
allocation du capital des fonds de pension et des assureurs qui regardent à
présent des investissements à risque dans une recherche désespérée du
rendement. (5)
Tout effet de richesse induit par la hausse de l’immobilier - dopé
artificiellement par les taux d'intérêt bas - peut finalement contrecarrer
la demande intérieure à cause du coût du logement. Même une dévaluation
provoquée par une politique monétaire laxiste est une arme à double
tranchant, comme le Royaume-Uni le découvre à ses dépends, avec la hausse de
l'inflation qui rogne le niveau de vie des ménages.
Ce qui semble clair, c'est que 2013 s'avère une année décisive pour la
politique monétaire qui a été la réponse dominante apportée à la crise dans
les économies avancées. Si la croissance commence à se redresser, les
banques centrales pourront se féliciter d'avoir dirigé leurs économies à
travers la crise sans déclencher une répétition de la Grande Dépression.
Mais si la croissance reste très faible malgré la hausse récente des prix
des actifs, l'optimisme actuel du marché va se révéler de courte durée.
Comment les décideurs répondront-ils à ce défi ?
La bonne réponse est peut être de ne rien faire, d’accepter que les banques
centrales risquent en fin de compte de faire plus de mal que de bien si
leurs actions empêchent la purge des mauvais investissements et donnent la
possibilité aux hommes politiques d’éviter les ajustements structurels
nécessaires. Mais pourquoi un banquier central voudrait-il courir le risque
d'être blâmé pour avoir causé une récession, en particulier lorsque la
pression inflationniste dans les économies avancées semble aussi faible ?
Même les sceptiques auront du mal à résister à la pression pour inonder le
marché avec de la monnaie de la part de politiciens et d’économistes
keynésiens qui jouent leur carrière sur la conviction que les banques
centrales ont toujours plus d’un tour dans leur poche pour soutenir la
croissance. (6)
Maintenant que le génie est sorti, on ne peut plus le remettre dans la
bouteille, alors qu’il va condamner les économies à des années de stagnation
avec un fardeau de dette qui s’accroît, et avec moins de possibilités pour
les jeunes de trouver un emploi, et finalement avec le risque d’une hausse
de l'inflation et d’une instabilité monétaire mondiale. Mais dans le court
terme, il est agréable d’être propriétaire d'actifs financiers, et surtout
d’actions, comme les marchés n’en sont que trop conscients.
Simon Nixon
Notes du traducteur
(1) En fait, la Fed est depuis 1978, avec la loi Humphrey Hawkins, dans
l’obligation de poursuivre deux objectifs contradictoires : croissance et
lutte contre l’inflation.
(2) Tous les gouverneurs des grandes banques centrales pratiquent la même
politique monétaire laxiste avec le succès que l’on connaît. Le meilleur
exemple est celui du Japon qui la pratique depuis vingt ans en espérant
toujours renouer avec la croissance. La seule chose qui a augmenté dans ce
pays est la dette, qui a été multipliée par dix ! Comme le disait Albert
Einstein, la folie consiste à répéter à l’infini la même expérience en
espérant obtenir un résultat différent.
(3) C’est le Graal de nos indécrottables keynésiens.
(4) Les politiques américains et européens peuvent remercier MM. Bernanke et
Draghi de différer aussi longtemps que possible les douloureuses réformes
structurelles qu’ils auraient dû entreprendre dès le 16 septembre 2008, le
lendemain de la faillite de Lehman Brothers. Il fallait comprendre que le
cœur de la crise est la banque centrale américaine. Il faut supprimer la
banque centrale, dépecer les grandes banques afin qu’aucune ne dépasse 10%
du PIB d’un pays donné, supprimer le fractionnement des réserves des
banques, et retourner tout simplement au capitalisme d’avant 1913 qui
s’autorégulait parfaitement. Jamais une crise ne durait plus de quelques
mois. Grâce à nos apprentis sorciers keynésiens, nous entamons la cinquième
année de crise sans voir le bout du tunnel.
(5) Confer l’article de Charles Gave : « J’ai appris le bridge et on me fait
jouer au poker ».
(6) QE 1, QE2, QE3, …..et QEN dans vingt ans comme au Japon. C’est toujours
le même traitement avec une dose de morphine supplémentaire pour redonner du
tonus au patient. Si Lance Armstrong a finalement avoué qu’il s’est dopé
pour gagner sept Tour de France, il reste un amateur à côté des moyens
employés par nos décideurs pour renouer avec la croissance économique.
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