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13/12/08 Bernard Martoïa

On ne sortira pas rapidement de la crise financière

Cette question qui taraude les Keynésiens a été posée au gouverneur de la Banque de France par le journal Le Figaro. Christian Noyer a constaté des baisses de prix qu'il attribue à l'éclatement de bulles spéculatives (pétrole, matières premières, immobilier) Voici sa réponse.

"Je n'ai pas d'inquiétude sur l'arrivée d'une déflation telle qu'on l'entend, c'est-à- dire une baisse du niveau général des prix et des salaires pendant une certaine période et une anticipation de la poursuite de la baisse. Ce n'est pas du tout ce à quoi on assiste, qui est une forte désinflation du fait de la baisse des prix de l'énergie et des matières premières. Pour la période à venir, si on ne peut pas exclure certains mois se traduisant par une inflation négative, le glissement annuel devrait rester largement positif. Nous constatons certes par ailleurs une forte baisse de certains actifs, notamment les valeurs immobilières, mais il s'agit du contrecoup d'une hausse trop vigoureuse que nous avions dénoncée pendant plusieurs années. Cela provoque de l'attentisme pour les ménages investissant dans le logement, mais je ne crois pas à un effondrement. Notamment parce que nous n'avons pas connu en France les excès d'autres pays en termes de flambée des prix. Le crédit immobilier a été distribué à des niveaux assez raisonnables, et il me semble que le marché immobilier est fondamentalement assez sain dans notre pays : il devrait redémarrer lorsque les facteurs notamment psychologiques qui ralentissent la demande des ménages se seront dissipés."

Pourquoi le gouverneur de la Banque de France refuse-t-il de parler de déflation?

Parce que ce mot fait peur ! Il est étroitement associé au spectre de la grande dépression de 1929. Dans une nation schizophrène, le choix des mots compte. Pour l'instant, le gouverneur a partiellement raison. On assiste à une baisse généralisée des prix mais pas encore des salaires. L'ajustement des salaires est freiné par les lois de protection sociale comme le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) en France. Mais avec la cohorte des chômeurs qui s'allonge inexorablement au fil des semaines, la pression sur les salaires va devenir infernale pour les gouvernements en place.

Les gouverneurs des banques centrales voient leur marge de manœuvre se rétrécir comme une peau de chagrin. Le taux directeur de la Federal Reserve Bank aux Etats-Unis est tombé à 1 % rejoignant ainsi la Banque Centrale du Japon dans la trappe à liquidité. La Banque Centrale Européenne a encore une petite marge de manœuvre avec un taux directeur de 2,5 %.

Avec un taux proche de zéro les ménages préfèrent thésauriser que de laisser leur argent sur un compte d'épargne non rémunéré. A ce propos, il convient de rectifier la contre-vérité du gouverneur de la Banque de France lorsqu'il déclare : " Si le taux du livret A ne baissait pas, ce serait un obstacle au redémarrage de la croissance. Il faut absolument laisser fonctionner ce mécanisme." N'en déplaise au gouverneur, une épargne n'existe que si elle est correctement rémunérée et sans épargne préalable, il n'y aura pas d'investissement. Monsieur de la Palice en conviendrait.

La baisse inconsidérée des taux directeurs des banques centrales produit l'effet inverse qui est recherché. Elle accentue la récession. Un environnement de trappe à liquidité décourage les banques d'accorder des prêts. Il faut que le taux nominal soit supérieur au taux d'inflation. Si ce n'est pas le cas, la banque perdra de l'argent sur le prêt. Une banque n'est pas une association caritative.

La spirale déflationniste vue par les Keynésiens

Comme les prix baissent, les entreprises produisent moins et font faillite. Moins de marchandises et de services sont donc offerts. Comme l'activité économique s'écroule, le capital tarit parce que les investisseurs ne croient plus à la rentabilité d'un produit ou d'un service. Thésauriser devient synonyme de survie. Wall Street (ce qu'il en reste après le passage des gorilles européens) ne peut plus lever de capital pour les entreprises. Les investisseurs dégoûtés se retirent de la Bourse. En résumé, la déflation est synonyme de spirale régressive pour les Keynésiens.

La vision positive de l'école autrichienne

Il y a eu une longue période de déflation après la guerre civile américaine. Elle a duré trente-deux ans : de 1865 jusqu'en 1897. Plus surprenante encore, elle s'est accompagnée d'une croissance moyenne de 4 % par an ! Robert Higgs a étudié cette période dans son livre paru en 1971 : "The Transformation of the American Economy, 1865-1914".

Dans le premier tome de mon livre consacré à Théodore Roosevelt (« L'ascension d'un homme courageux ») et qui couvre la période allant de 1858 à 1898, le jeune Teddy s'exila dans les Badlands sur le conseil du commandant Gorringe. Il pensait y faire fortune dans l'élevage. L'agriculture américaine était en très forte expansion pour approvisionner le marché européen.

Milton Friedman a analysé la période allant de 1875 à 1896. Les prix baissèrent de 1,7 % par an en moyenne aux États-unis et de 0,8 % seulement en Grande-Bretagne. La plus grande baisse des prix jamais enregistrée fut la période 1930-1933 avec 10 % par an.

Y a-t-il à présent un risque de déflation ?

Robert Higgs pense que non en raison de l'injection massive de liquidité par la Fed. Les banques auraient amassé 268 milliards de dollars de réserve. Elles ne vont pas rester éternellement assises sur ces réserves. Dès que la confiance sera rétablie, elles prêteront à nouveau.

La bombe à retardement des CDS complique la donne

Je ne partage pas ce scénario optimiste d'une sortie rapide de la crise financière. D'après une estimation grossière de la Banque des Règlements Internationaux, la masse incontrôlée des credit default swap (CDS) représenterait entre 45 et 62 trillions de dollars à la fin de l'année 2007. Selon les statistiques disponibles sur le site de la C.I.A, le produit national brut de la planète s'élevait à 54,62 trillions de dollars à la fin de l'année dernière. Il y a presque une parité entre la production mondiale de richesse et ces contrats opaques.

Le risque de défaut d'une contrepartie dans ce type de contrat a considérablement augmenté avec la crise des crédits hypothécaires à haut risque (subprime) aux États-unis. La chute de Lehman Brothers serait due à son exposition élevée dans les CDS. Sur un total de 15,5 trillions de dollars de CDS en circulation dans ce pays, ceux qui sont corrélés aux subprime en représentent 27 %. Parmi ces 4185 milliards de dollars de CDS adossés aux subprime, il faut distinguer ceux dont la maturité est comprise entre 1 et 5 ans (environ 19 % du total) de ceux dont la maturité est supérieure à 5 ans. (8 %) Cette bombe à retardement et l'absence de transparence des CDS expliquent pourquoi les banquiers sont incapables de prédire quand ils seront enfin débarrassés de ces produits toxiques en circulation.

La création rocambolesque des CDS

Les exhortations des politiciens ne font que compliquer la tâche pénible des banquiers de séparer le bon grain de l'ivraie. Au lieu de pousser des cris d'orfraie, ils feraient mieux de se taire. Ces élus qui sont censés protéger les intérêts de leurs concitoyens sont des irresponsables.

Les CDS ont été inventés en 1997 par une équipe de mathématiciens au sein de la banque JP Morgan Chase. Ils furent mis sur le marché sans rencontrer d'opposition de la part de la Fed, dirigée par Alan Greenspan qui passait pour un grand sage. Ils rencontrèrent un grand succès auprès des hedge funds. Inventés au départ pour assurer un défaut de paiement d'un emprunteur, ils furent dévoyés de cet objectif initial par une spéculation effrénée. On gagnait énormément d'argent par l'effet de levier. On atteignit le nirvana puisque n'importe quel risque était assuré par une ribambelle de CDS. Quelques esprits grincheux firent remarquer que ce marché de gré à gré (over the counter dans le jargon boursier) opérait dans la plus grande opacité. Il n'y a pas de centralisation des ordres et de maison de clearing pour une réconciliation des ordres en fin de journée. Qu'à cela ne tienne ! Les fonds et les banques gagnaient beaucoup d'argent. Il ne fallait pas gâcher la fête.

Cette spéculation effrénée fut approuvée dans des conditions rocambolesques au Congrès américain. Les CDS firent l'objet d'un amendement introduit subrepticement, le 14 décembre 2000, dans une loi fourre-tout en fin d'année qui faisait 11 000 pages ! (Public Law 106-554) On parle d'inflation législative en France mais on constate le même phénomène ailleurs dans la plus grande indifférence du public qui devrait se méfier. Cette loi fut votée, une semaine plus tard, par le Congrès américain. Le président Clinton la signa le jour même (21 décembre 2000) avant de partir en vacances. Je ne connais pas la genèse des CDS en Europe mais je parie qu'elle n'a pas été plus réfléchie ou plus heureuse qu'en Amérique.

Le philosophe Sophocle racontait qu'un homme prudent ne devrait négliger aucune circonstance. Cette sagesse est oubliée par nos keynésiens indécrottables qui ont trouvé leur gourou en la personne de l'éditorialiste du New York Times. Paul Krugman a été adoubé par le jury d'Oslo qui lui a décerné le prix Nobel d'économie. Sa photo fait la couverture du magazine Challenge. Avec lui et son compère Barack Obama à la Maison Blanche pour injecter des trillions de dollars dans l'économie, les gogos se sentent rassurés. C'est justement cela qui m'inquiète. Comme avant la débâcle des subprime, j'appartiens à la minorité des esprits chagrins incurables. Pour l'instant, le public vote massivement en faveur de ceux qui leur promettent une santé éternelle sans faire de régime. L'avenir nous dira qui avait raison.

Bernard Martoïa

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