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12/3/09 | G.Vuillemey et V. Poncet |
Il n’y a pas de capitalisme sans capital L’extrême fragilité de nos économies est le fruit d’interventions politiques favorisant systématiquement la consommation par rapport à l’épargne et la dette par rapport au capital. D’où l’émergence d’un «capitalisme sans capital» et l’éclatement de la crise actuelle La crise actuelle a parfois été analysée comme «la crise d’un certain capitalisme», lequel serait «déconnecté de la richesse réelle», et «fondé sur de l’argent virtuel». Mais s’il est vrai que le système actuel repose sur des pyramides vertigineuses de dettes et de crédits, il ne s’agit pas là d’une conséquence du libre fonctionnement des marchés. Au contraire, l’extrême fragilité de nos économies est le fruit d’interventions politiques favorisant systématiquement la consommation par rapport à l’épargne et la dette par rapport au capital. D’où l’émergence d’un «capitalisme sans capital» et l’éclatement de la crise actuelle. Pour en sortir, plutôt que de vouloir stimuler la consommation et l’émission de nouvelles dettes, il conviendrait au contraire de favoriser la reconstitution des stocks d’épargne réelle et de capital. La crise actuelle est une crise du crédit, causée par les politiques monétaires laxistes des banques centrales, en particulier la Réserve fédérale américaine (Fed). Au lendemain de l’explosion, en 2000, de la bulle des nouvelles technologies, la Fed a cru bon de relancer l’économie en baissant massivement ses taux directeurs, lesquels sont descendus jusqu’à 1 %. Cette politique, qui était un succès en apparence, était pourtant fondamentalement contre-productive, bâtie sur l’idée que l’injection de liquidités dans l’économie permet la création de richesses réelles. Il ne faut donc pas perdre de vue la distinction essentielle entre deux types de crédits, l’un favorable au développement économique, l’autre source de mal-investissements et de crises. Le premier est fondé sur une épargne préalablement accumulée, l’autre non. Pendant des années, les banques ont prêté de la monnaie créée à partir de rien par de simples écritures comptables, sans épargne en contrepartie. Plus ce processus s’est développé, plus la quantité de monnaie en circulation dans l’économie – appelée masse monétaire – a été déconnectée de la réalité économique. Ces «mauvais» crédits qui ont été octroyés ont donné aux emprunteurs l’illusion de la richesse. Ces derniers ont alors pu effectuer des investissements qu’ils n’auraient pas réalisés si les taux d’intérêt avaient été plus élevés. Ces investissements ont été des mal-investissements, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas de rentabilité réelle. Leur rentabilité n’était qu’apparente, fondée sur l’afflux de «mauvais» crédit. La grande majorité des particuliers et des entreprises ont cédé à cette illusion. Ce fut la phase de bulle, qui a éclaté lorsque la réalité – c’est-à-dire la non-rentabilité de ces investissements – est apparue au grand jour. Ces «mauvais» crédits ont été émis dès lors que l’on a rompu l’équilibre entre crédit et épargne. Sur le marché, cet équilibre se fait via les taux d’intérêt, qui fluctuent en fonction de l’offre et de la demande de liquidités. Dans notre système monétaire, ce processus est faussé par l’intervention des banques centrales. Les taux ne sont pas des prix de marché mais des prix «administrés» par des entités para-étatiques. Ainsi, la quantité de crédit octroyée sur le marché ne dépend pas du stock d’épargne réelle, mais d’une décision politique. Les banques centrales, plus ou moins indépendantes des gouvernements, peuvent donc augmenter la quantité de «mauvais» crédit, notamment en abaissant artificiellement leurs taux directeurs, souvent pour financer des promesses pour lesquelles le stock d’épargne existant n’est pas assez important. Aux Etats-Unis, c’est la volonté de créer une «société de propriétaires» qui a servi de prétexte à de nombreuses dispositions favorisant les crédits immobiliers. Entre 2000 et 2008, la masse monétaire a doublé aux Etats-Unis sans que, bien évidemment, la richesse réelle n’ait doublé dans des proportions identiques. C’est dans cet afflux de «mauvais» crédit, salué à l’époque par les gouvernements, que se trouvent les racines de la crise. L’intervention publique a transformé le capitalisme en capitalisme sans capital. A l’heure actuelle, les secteurs de l’économie qui s’effondrent – au premier rang desquels l’automobile et l’immobilier – sont ceux qui ont bénéficié de ces crédits. Les politiques visant à favoriser un crédit peu cher ont en fait détourné des facteurs de production vers ces secteurs, au détriment d’autres qui auraient été plus rentables. Le «mauvais» crédit, créé à partir de rien, est donc néfaste. Il donne l’illusion de la richesse, déplace des facteurs de production de certains usages vers d’autres, et est à l’origine de nombreux mal-investissements. A l’inverse, le bon sens voudrait que tout investissement ait pour contrepartie une épargne réelle. C’est pourquoi l’idée de Keynes selon laquelle l’épargne serait stérile ou improductive est erronée. L’épargne a de nombreuses vertus: elle permet l’octroi de «bon» crédit et la création de richesses. Dès lors, comment la crise peut-elle être résolue ? Toute vraie relance ne peut être qu’une relance par l’épargne permettant la réalisation d’investissements rentables. Pour cela, il est nécessaire de revenir à une économie fondée sur l’épargne et le capital. Mais ni les banques centrales ni les gouvernements ne peuvent augmenter le stock d’épargne réelle. C’est pourquoi il conviendrait tout d’abord de cesser de manipuler les taux d’intérêt. Mais certaines réformes structurelles sont également nécessaires pour accomplir cette transition. Beaucoup de systèmes fiscaux incitent davantage à la consommation qu’à l’épargne. C’est le cas lorsque la taxation des revenus du capital – intérêts ou dividendes – est importante ou lorsqu’il existe une taxation spécifique des patrimoines, comme l’impôt sur la fortune en France. Pour ce qui est de la fiscalité des entreprises, elle incite au financement par la dette et non au financement par augmentations de capital. La reconstitution d’un stock d’épargne conséquent suppose aussi que les Etats mettent un terme à la spirale d’endettement dans laquelle ils sont aujourd’hui enfermés. Car lorsqu’ils empruntent sur le marché des capitaux, ils réduisent d’autant la quantité d’épargne disponible pour les grandes entreprises qui ont, elles aussi, besoin de capitaux. Le redémarrage de l’économie passe par une reconstitution des stocks d’épargne et un assainissement des «mauvais» investissements. Il faut se rendre à l’évidence qu’il n’y a pas de capitalisme sans capital! Guillaume Vuillemey et Vincent Poncet
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