Conte de Noël
Comment le Père Noël a sauvé la France !
Ce 25 décembre, la France se réveilla sous la neige. De l’Alsace au Pays
basque, de la Côte d’Opale à l’Esterel, partout de la neige, épaisse, pesant
de tout son poids sur le toit des maisons, sur les automobiles, sur les
parcs et les jardins. De mémoire de Français, on n’avait pas vu autant de
neige depuis les hivers d’antan, ceux qu’éclairait la joie des familles
attendant le Père Noël pour leurs enfants auprès de l’âtre où des mains
compatissantes étouffaient le feu à l’approche de minuit.
Il y avait bien longtemps que les Français ne savaient plus dégager la
neige autour de leur maison. Ce matin-là, comme un seul homme, ils
téléphonèrent aux pompiers, à la préfecture, à la mairie. Mais nul ne leur
répondait. Ils pensèrent d’abord que c’était Noël pour tout le monde et que
les pompiers et les employés municipaux avaient bien le droit, eux aussi, à
une grasse matinée en ce matin de paix.
Mais bientôt l’agacement gagna les esprits, puis la colère. « Tout de
même, grognait-on, avec toute cette neige, ces fainéants devraient être au
boulot. On ne peut décidément plus compter sur personne ! »
Péniblement, par les rues enneigées où la marche était lente et pénible,
on se dirigeait vers les bâtiments officiels avec la ferme volonté de dire
son fait à qui de droit. Ceux qui parvenaient aux caserne des pompiers
s’entendaient tous répondre que le téléphone ne fonctionnait plus, ni les
réseaux informatiques, et que les soldats du feu, pourtant disposés à se
faire soldats de la neige, ne sachant pas vers qui se diriger en priorité,
ne recevant ni ordres ni informations, devaient se contenter de dégager la
neige autour de leurs locaux.
Les radios et les télévisions n’émettaient plus. Pour les nouvelles, on
devait se rabattre sur les voisins qui n’en savaient pas plus que vous.
Comme on ne pouvait rien faire d’autre que tenter de dégager la neige et
qu’on n’avait pas d’outils appropriés, plus personne n’ayant de pelle chez
soi dans nos villes en béton, on se dit qu’il suffisait de patienter, que la
neige fondrait rapidement, et que tout redeviendrait normal. On décida donc
de faire de cette matinée un réveillon supplémentaire et de finir ce qui
restait des agapes de la nuit.
La journée passa ainsi, dans une ambiance où se mêlaient l’excitation qui
naît de l’imprévu et la résignation face aux beaux projets qu’on avait
formés pour ce jour de fête.
Mais le lendemain, la neige n’avait pas fondu et rien ne fonctionnait.
Comment une telle panne avait-elle pu se produire dans un pays qui se
flattait de disposer de tout ce que la technique peut offrir à l’homme ?
Le surlendemain, on eut un moment d’espoir. Une radio parvint à émettre
sur sa fréquence habituelle, mais sans le moindre accompagnement musical.
Les Français apprirent ainsi, par une voix brouillée qui semblait venir de
Londres, que la France était paralysée. L’homme qui parlait n’avait que peu
d’informations mais disait qu’un mystérieux correspondant qui utilisait
aussi la fréquence de la radio avait annoncé un message important pour le
soir même.
A l’heure où d’habitude la plupart des Français regardent le journal
télévisé, un peuple tout entier tendit l’oreille vers ses transistors. Et le
message qu’il entendit le glaça d’effroi.
« C’est le Père Noël qui vous parle. Je sais que vous me prenez tous pour un
vieux con. Et pendant longtemps vous avez eu raison. Mais maintenant c’est
fini. J’en ai marre de vous distribuer des cadeaux plus inutiles les uns que
les autres. Je finis par me demander si je sers à quelque chose. Alors cette
année, j’ai décidé de tout changer. Je vous ai apporté le seul cadeau dont
vous avez besoin. On sait que je me déplace dans un traineau tiré par des
rennes. Mais ça, c’est pour le look. En réalité, mon traineau est
supersonique et bourré d’informatique. Le Père Noël, sachez-le est une
multinationale. Comment pourrait-il en être autrement quand il faut
parcourir le monde entier en peu de temps et distribuer des milliards
d’objets ? Nos informaticiens sont les meilleurs du monde. Ils peuvent
entrer par effraction dans les systèmes les plus sophistiqués et les mettre
en panne, provisoire ou définitive. C’est ce qu’ils ont fait, sur mon ordre,
en France. Françaises, Français, c’est l’Etat qui vous empêche de vivre et
d’être heureux. Je l’ai rendu impuissant en annihilant tous ses moyens de
communication, internes et externes. C’est le cadeau que je vous fais.
J’avais longtemps espéré que vous feriez cette réforme vous-mêmes, sans que
je m’en mêle. Mais vos hommes politiques sont des clowns. Pas drôles en
plus. Et plus intéressés à accumuler des avantages et de la richesse qu'à
prendre de bonnes décisions pour le pays. Maintenant, c’est fini. Ils n’ont
plus le moyen de vous contraindre, ils sont donc morts, car aucun d’entre
vous ne fera librement ce qu’ils vous faisaient faire par la menace et la
punition. Sachez aussi que, pas bête, je veille au grain. Mes informaticiens
sont supérieurs aux leurs. Dès qu’ils verront poindre la moindre tentative
des hommes de l’Etat de reconstituer leur système, ils l’empêcheront. Que
voulez-vous, un cadeau c’est un cadeau. Il faut assurer le service
après-vente. L’année prochaine, si vous vous êtes bien conduits, je vous
apporterai encore des cadeaux utiles. Le temps des distractions stupides est
fini pour vous. Vous allez devoir réapprendre à vivre. »
Le lendemain matin, toute la neige avait fondu, grâce aux heureux effets du
réchauffement climatique, celui-là même qui, il y douze mille ans, en
mettant fin à la glaciation qui faisait de la planète
une grosse boule de givre, avait permis à l’humanité de conquérir le monde.
Les Français d’aujourd’hui n’avaient, eux, qu’à reconquérir leur pays et
leurs droits. Ce qu’ils entreprirent de faire avec une bonne humeur qu’ils
n’avaient plus ressentie depuis des décennies. Et aujourd’hui, dans ce pays
sceptique et blasé, on croit enfin au Père Noël.
Claude Reichman
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