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4/7/09 | Claude Reichman |
Le peuple fidèle lui a cassé la gueule ! Parti visiter de nuit une banlieue difficile dans une voiture de police, Henri Guaino, le « conseiller spécial » du président de la République, a vu le véhicule dans lequel il se trouvait subir un caillassage en règle de la part d’une quarantaine de « jeunes ». La scène rappelle celle d’une pièce de l’auteur dramatique polonais Slawomir Mrozek où un militant du parti revient à sa cellule passablement amoché et s’écrie : « Le peuple fidèle m’a cassé la gueule. » Ce n’est pas dit dans les journaux, mais c’est une réalité que tous les spécialistes de la politique connaissent parfaitement : il n’est plus possible à Nicolas Sarkozy de faire une sortie en France sans un impressionnant service d’ordre, qui aura eu soin auparavant de ne laisser se regrouper au lieu choisi qu’une brigade d’acclamations, les « vrais gens » étant tenus éloignés d’au moins plusieurs centaines de mètres. Le pouvoir, en France, vit dans une bulle artificielle. Non seulement il est coupé du peuple, mais il n’en est pas aimé. Pour bon nombre de Français, ce pouvoir est même détesté. Le phénomène avait connu une relative accalmie pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, d’une part parce que les périodes électorales fournissent un exutoire au peuple et d’autre part parce que le thème de la rupture, martelé par le candidat, avait nimbé celui-ci de l’espoir que le pays mettait dans un changement profond qui verrait la France sortir enfin de l’immobilisme et de l’étouffement étatique qui la conduisaient à sa perte. Deux ans après, la rupture n’est plus qu’une illusion et les réformes attendues ne sont qu’un embrouillamini de mesures sans grande signification et de nul effet sur les problèmes du pays. Sarkozy a vu plus de 6 millions de ses électeurs du premier tour de 2007 ne pas se déplacer aux élections européennes, ce qui n’est évidemment pas encourageant pour lui et signe un divorce grave avec ceux qui lui ont permis de devenir président de la République. Le pouvoir est désormais à la merci du moindre incident susceptible de dégénérer en « émotion populaire », comme on disait sous l’Ancien Régime, auquel ressemble tant, deux siècles après, celui qui lui a succédé. Partout, ce ne sont que blocages et privilèges. Nul ne peut entreprendre sans être entravé par des multitudes de règlements et de taxes, une administration pléthorique et inefficace décourage les énergies et étrangle les budgets, des politiciens lâches et menteurs, avec le concours empressé d’une majorité de médias, font tout ce qui est en leur pouvoir pour que le peuple ne prenne pas son destin en mains, et ce peuple qu’on a connu intelligent et frondeur n’est plus qu’une chiffe molle qu’amusent vaguement des faits divers crapoteux, scrupuleusement renouvelés chaque jour sur les écrans des télévisions. Sur ce problème, il y a comme toujours deux écoles. Ceux qui pensent que l’affaissement du pays peut encore durer longtemps. Et ceux qui sont certains qu’une situation aussi délabrée ne peut se poursuivre sans qu’une fracture ou une explosion se produisent. La première thèse serait crédible dans une France isolée. Or celle-ci est tirée à hue et à dia par une mondialisation qui se poursuivra quoi qu’il arrive et qui met à mal chacun des ressorts intimes d’une vieille nation qui ne s’est jamais résolue à épouser le grand large. C’est pourquoi la seconde thèse a toutes les chances de se vérifier. Le plus grave est que ceux qui s’attendent à un avenir catastrophique répugnent à s’y préparer. Comme si l’apathie générale inhibait leurs défenses naturelles et leurs mécanismes cérébraux. L’opinion de beaucoup est que, quoi qu’il arrive, on n’y peut rien. Or c’est radicalement faux. Le seul regroupement d’une minorité décidée est de nature à bouleverser la donne. La dissidente roumaine Doïna Cornea disait que s’ils avaient été ne fut-ce que cinq, la face des choses aurait changé. Nous sommes plus de cinq en France. Beaucoup plus. Alors un peu d’optimisme que diable, et au travail les courageux ! Claude Reichman
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