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17/1/15 Olivier Pichon
     
                   L’Europe est un bateau ivre !

Depuis le 11 janvier, c’est inflation des sentiments. Faute de gouverner, à l’Elysée on joue les pères de la nation, mais la déflation des prix se pointe à l’horizon. Un cas historique : c’est la première fois depuis les années trente.

Le réveil sera douloureux, la déflation étant amorcée depuis plus d’un an. Les politiques l’avaient niée, le président de la BCE en tête. Lui qui considérait comme souhaitable une dérive des prix de 2%, le voilà gratifié d’un taux de -0,2% en fin d’année 2014 ! La baisse générale des prix du pétrole y est certes pour beaucoup, mais l’inflation sous-jacente - celle des prix moins soumis à la conjoncture- est extrêmement faible. Bien sûr on s’en réjouira pour le pouvoir d’achat, mais cela demeure un signe d’anémie économique et surtout, puisque les prix baissent, investisseurs comme consommateurs font le calcul fatal d’attendre une nouvelle baisse. Gare aux carnets de commande vides !

Il semble bien que même l’Amérique, dont la croissance a été forte en 2014, soit à son tour menacée par cette langueur des prix, prévoyant une baisse de l’ordre de 0,3. Outre la chute du prix des hydrocarbures (le pétrole est tombé sous la barre de 50 dollars), ce sont les investissements vers les pays émergents, eux-mêmes en net recul en termes de croissance, qui expliqueraient le ralentissement probable de la croissance américaine. Voilà en ce début d’année une très mauvaise nouvelle pour l’Europe, laquelle plus que jamais n’est pas gouvernée et aujourd’hui sans doute même plus administrée. Qui le sait, qui le dit ?

Crise de l’euro, le retour !

Il ne pouvait en être autrement. Les pays s’endettent avec de l’argent qu’ils n’ont pas et certains sont carrément en faillite. Les dettes sont toujours là, mais plus grosses encore qu’au début de la crise des subprimes. La chancelière allemande admet maintenant que la Grèce, dont les dettes se montent à 220 milliards d’euros, peut sortir de l’euro. Après tant de sacrifices, n’aurait-il pas mieux valu qu’elle en sortît des le départ, il y a sept ans ! Démonstration est ainsi faite que l’euro, loin de créer de la convergence, a au contraire souligné les divergences et les a accentuées, entre le nord et le sud, entre l’est et l’ouest.

Dumping fiscal, dumping social et dumping économique font rage dans l’espace économique européen, ce qui n’augure pas d’une survie de cette monnaie, a fortiori si la Grèce en sortait. Pourtant le traité de Lisbonne (2007), en son article 140, dispose que l’appartenance est irrévocable. Ainsi la baisse de l’euro, qui n’a pas que des inconvénients - nos exportateurs s’en réjouissent -, peut s’expliquer par la crainte éprouvée par les marchés d’une sortie de l’euro de la Grèce. Mais c’est surtout un précédent redoutable pour d’autres pays.

A cela peut s’ajouter la volonté de Mario Draghi de faire du QE (quantitative easing) à l’américaine, au moment même où ce pays l’abandonne. Ce QE est une politique de facilité monétaire par rachat de titres souverains et de titres privés (ABS) et mutualisation des dettes. La BCE est en train de devenir, sous l’impulsion de super Mario, une bad bank, et sa politique est une incitation à ne pas faire les réformes douloureuses pour les peuples C’est justement le rêve secret de Valls et de Hollande. Hélas pour eux, l’Allemagne refuse cette politique monétaire, et si la Grèce veut rester, elle devra payer et souffrir. Mais si Syriza (gauche radicale) gagne les élections, adieu les créances pour les Etats et les banques, dont le Crédit Agricole français, très engagé chez les Hellènes. Or le défaut est hautement probable.

Inflexible Allemagne

Jusqu’à présent la fourmi n’a pas cédé aux cigales, elle pratique un ascétisme monétaire d’une rigueur que l’on peut expliquer par le souvenir de l’hyper inflation des années 1921-1922. Nouveauté, Mme Merkel veut bien laisser partir la Grèce, mais que se passera-t-il si demain l’Italie et la France continuent à ne pas respecter les règles de limitation des déficits ? Tôt ou tard les marchés attaqueront les dettes de ces deux pays. L’euro sera-t-il toujours irrévocable pour eux ?

Pour l’heure, en dépit des mouvements de menton du Premier ministre français lors du vote de la loi de finance 2015, les contrôleurs de la Commission européenne sont bien à Paris pour en vérifier l’exécution (pas celle de Valls, celle du budget). Le gouverneur de la Bundesbank, Jens Weidman, a précisé sans ambages que si la France continue dans le laxisme budgétaire (encore 4,4 % cette année, en dépit de la déflation), « la crédibilité des règles serait sérieusement entamée » ! C’est le moins qu’on puisse dire !

Réforme de l’économie ou économie de la réforme ?

Ceux qui rêvent d’une sortie de l’euro et le proposent en programme politique ne doivent pas se dissimuler qu’ils ne pourront faire l’économie des réformes. Pire que la crédibilité des règles, c’est la guerre au sein des institutions européennes. L’Allemagne ne cédera rien sur la politique monétaire, elle ne veut pas payer pour le reste de l’Europe et on peut le comprendre. La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe (notre Conseil constitutionnel) a posé une question préjudicielle auprès de la Cour de justice européenne sur la compatibilité de la politique de Mario Draghi avec les traités européens. Il faut en effet comprendre que cette politique de rachat massif de dette publique est un transfert de milliards d’euros en risque de solvabilité des créanciers vers les contribuables.

Les minutes du directoire de la BCE sont remplies d’empoignades homériques entre les Allemands et les représentants des autres pays, minutes que les Américains se sont empressés de publier, mais que doivent ignorer les Européens Tout ce qui peut empêcher une Europe de la puissance est bon à prendre pour l’oncle Sam ! Bref, le torchon brûle au sein même des grandes instances européennes, tandis que le président de la Commission est affaibli par la découverte des avantages fiscaux du Luxembourg, qu’il dirigea dans le passé (affaire LuxLeaks).

Depuis 2012, le traité budgétaire européen (TSCG) est un carcan pour les gouvernements. Rigueur et austérité sont toujours à l’ordre du jour, sans aucune issue vers une relance de l’activité ! Une pomme de discorde entre rigueur et relance qui écartèle aussi les socialistes français : Macron contre les frondeurs ! Un plan de relance par l’investissement est bien prévu par Jean-Claude Junker à hauteur de 315 milliards, mais sa modeste mise de fonds se limite à 16 milliards (fournis par la BEI, la Banque européenne d’investissement) ! Au total un système confus et incompréhensible aux populations et qui paraît incapable de faire face aux défis contemporains.

L’administration des choses ou le gouvernement des hommes ?

Ainsi donc l’euro n’aura pas fait converger les économies, mais il divise maintenant les hommes. Dans ces conditions, il apparaît que l’Europe est à un tournant majeur. Ou bien elle met en place une union de transfert, un impôt européen, des obligations européennes avec péréquation entre riches et moins riches, et alors l’euro peut être sauvé. Mais qui le veut encore ? L’Allemagne s’y oppose pour des raisons économiques et les autres pays pour des raisons de souveraineté. C’est donc le problème de la gouvernance européenne, comme l’on dit aujourd’hui, qui est en cause, à l’heure où des foules de refugiés se ruent vers les côtes méditerranéennes sur d’improbables navires sans commandant.

L’Europe est, elle aussi, comme un navire sans commandant. Elle a voulu croire à la fin de l’histoire et faire comme Saint -Simon en 1815, au lendemain des guerres napoléoniennes. Il suggérait que l’on remplaçât désormais le gouvernement des hommes par l’administration des choses. Fukuyama nous refit le même scénario avec sa théorie de la fin de l’histoire, à la chute de l’empire soviétique. Mais c’est là que le bât blesse : entre la doctrine de la fin de l’histoire et le choc des civilisations de Samuel Huntington (en Méditerranée ou à Paris le 11 janvier), il faut choisir.

Il est plus que temps de revenir au gouvernement des hommes, en Europe comme en France. Mais avec les nains politiques qui les dirigent, cela pourrait en effet être la fin de l’histoire dans l’acception de Spengler (1) et même de Toynbee : « Les civilisations meurent par suicide et non par meurtre ».

Olivier Pichon

(1)Le déclin de l’Occident (Der Untergang des Abendlandes), Oswald Spengler (1918).









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