Incroyable aveu de Jean Arthuis, l'ancien
ministre de l'économie et des finances du gouvernement Juppé et actuel président de la
commission des finances du Sénat : les concepteurs de l'euro n'avaient pas prévu les
effets de la mondialisation ! Ainsi donc, au beau milieu des années 90, alors qu'il
n'était question, dans les médias et dans les débats politiques, que des
bouleversements universels provoqués par l'ouverture généralisée des frontières et
l'explosion des échanges internationaux, il existait une catégorie d'individus qui
n'avaient entendu parler de rien, et ces personnages n'étaient autres que les gouvernants
de l'Europe ! Il est si rare que l'un de ces éminents esprits fassent acte de contrition,
qu'on se doit de citer largement ses propos, d'autant qu'ils n'ont provoqué aucun
commentaire dans la presse, ce qui donne bien la mesure de l'effondrement, dans notre
pays, du débat démocratique.
Voici donc ce qu'écrit Jean Arthuis dans une tribune publiée par le journal Le Monde
du 26 juin dernier : " Lorsque j'ai eu l'honneur, au nom du gouvernement français,
de mener le combat pour la monnaie unique, nous voulions mettre le marché européen à
l'abri des dévaluations compétitives qui minaient la croissance et détruisaient les
emplois. Pour lancer l'euro, nous avions alors conçu un règlement de copropriété de
notre nouvelle monnaie : le pacte de stabilité et de croissance. A l'époque, nous
concevions un dispositif transitoire, dans l'attente d'un gouvernement européen. Au
surplus, nous étions dans la logique des cinquante dernières années, marquées par des
cycles de croissance soutenue, rythmés par les pressions inflationnistes. Ce que nous
n'avions pas prévu, c'est que la mondialisation entraînerait des changements structurels
considérables dont nous ne mesurons pas toutes les conséquences. Ainsi, notre principal
danger n'est plus aujourd'hui celui de " la surchauffe inflationniste ",
mais celui de voir nos économies, celles de l'Allemagne et de la France, qui
représentent la moitié de la richesse de l'Europe des Quinze, entrer en déflation.
Quand la monnaie unique a été conçue, tout était au point, hormis les actions à mener
face à une telle perspective."
Répudier le socialisme
Tout était au point ! Comme dans le premier vol transatlantique sans pilote. L'avion
venait de décoller et une suave voix féminine se fit entendre dans le haut-parleur :
" Nous sommes heureux de vous accueillir dans ce premier vol entièrement automatique
entre Paris et New York. Soyez complètement rassurés, rien ne peut vous
arriver
river
river
river... "
Aujourd'hui, les passagers de l'euro doivent se rendre à l'évidence : il n'y a pas de
pilote dans l'avion. Et il n'y en a jamais eu ! On a fait décoller l'appareil sans
équipage, en se disant qu'il monterait à bord par la suite, quand la nécessité s'en
ferait sentir et que sa présence paraîtrait nécessaire à tous. C'est exactement ce que
dit Jean Arthuis quand il s'écrie : " Nous attendons de la Convention qu'elle dote
l'Union européenne des institutions et du gouvernement économiques qui font
dramatiquement défaut. " On se demande vraiment comment un gouvernement européen,
composé forcément des mêmes hommes que ceux qui peuplent les gouvernements nationaux,
ferait mieux que ces derniers. Une équipe Chirac-Schröder à la tête de l'Union
européenne ferait subir à celle-ci autant de malheurs qu'ils en infligent aujourd'hui à
la France et à l'Allemagne.
Ce dont ont besoin, en réalité, les deux principaux pays européens, c'est de répudier
chez eux le socialisme. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils n'en prennent pas le
chemin, même si le chancelier allemand semble aujourd'hui décidé à s'attaquer à
quelques tabous. Mais il n'a guère de chances de réussir, car il n'a pas été élu pour
cela et n'en a donc pas mandat. Quant à Chirac, il sait que son pouvoir et celui de la
technocratie qui l'entoure ne résisterait pas longtemps à la libération politique que
produirait en France la fin de la dictature socialiste. Et c'est pour cela qu'il ne fera
pas un pas dans cette direction. Il avait même préféré, en 1997, laisser le pouvoir à
la " gauche plurielle " plutôt que d'alléger le poids des impôts, des
réglementations et des charges qui étranglent la France. C'est la véritable raison de
la dissolution, dans laquelle beaucoup ont cru voir une maladresse, voire une folie, alors
même qu'elle n'avait pas d'autre but que de sauver le pouvoir de la technocratie, la
France dût-elle en périr. De ce point de vue, Chirac a obtenu un succès complet : les
technocrates règnent plus que jamais en maîtres sur notre pays, et celui-ci est entré
dans une des plus grandes crises économiques et sociales de son histoire. Une crise qui
va inévitablement devenir politique et emporter le régime et ses desservants sans
conscience ni scrupules, pour nous entraîner vers un inconnu que pourrait bien dominer
quelque abominable démagogue de gauche, si les patriotes français ne se réveillent pas
et ne prennent pas enfin eux-mêmes le pouvoir par les voies démocratiques.
A ceux qui doutent du danger, rapportons le slogan que scandent ces jours-ci les
gauchistes et les trotskistes, avec le soutien des socialistes et des Verts : " Bové
à l'Elysée, Chirac à la Santé ! " Tout un programme ! Le nôtre est, lui, digne
de la France. Il se résume en ces mots : Non au collectivisme, vive la liberté !
Claude Reichman |