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    22/6/11 | Laurent Artur du Plessis | 
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	La Turquie se réislamise à grands pas ! Le 12 juin dernier, l’AKP (parti de la Justice et du Développement) a raflé la majorité absolue (326) des 550 sièges parlementaires aux élections législatives turques, faisant mieux qu’au précédent scrutin, en 2007 (47% des voix), qui lui-même avait amélioré le score de celui de 2003 (34%). C’est la troisième fois que ce parti fondamentaliste islamique, au pouvoir depuis 2003, remporte les législatives : une éclatante victoire pour sa figure de proue, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Un génie politique Erdogan est un génie politique. Maire d’Istanbul depuis 1994, il fut condamné, en 1998, à une peine de prison pour avoir prononcé un discours qualifié d’incitation à la haine, dans lequel il avait cité le poète nationaliste Ziya Gökalp, lors d’un meeting à Siirt, dans l’est du pays : « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupelles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats ». Il a compris qu’il fallait adapter le vocabulaire islamiste pour éviter de se heurter de front à l’armée. En 1998, Erdogan quitta le Parti de la Vertu (FP), une organisation 
	fondamentaliste ayant succédé au Refah Partisi de Necmetin Erbakan, qui 
	était à l’époque la figure de proue du fondamentalisme islamique sur la 
	scène politique turque. Et, avec une grande habileté tactique, il prôna une 
	séparation de la religion et de l’État. Il plaida pour ces nouvelles façons 
	de faire envers et contre la veille garde islamiste, sans renoncer pour 
	autant à son objectif : la réislamisation de la Turquie et la renaissance du 
	vieil empire ottoman qui avait dominé les Balkans, le Moyen Orient et 
	l’Afrique du Nord. En 2001, il créa l’AKP. Ainsi adossé à l’Europe, Erdogan multiplia les lois et mesures destinées à éreinter le pouvoir politique de l’armée, qui s’apparentait à un despotisme éclairé visant à sauvegarder, autant que possible, les acquis kémalistes en matière de laïcité. Il en est même venu à faire traduire en justice d’anciens officiers supérieurs accusés d’avoir comploté pour renverser le gouvernement de l’AKP. L’armée ne sortit pas de ses casernes pour autant, comme elle l’eût fait en d’autres temps… Le processus d’intégration de la Turquie à l’UE patine, parce que les 
	peuples européens le rejettent de plus en plus ouvertement. Qu’importe. 
	Grâce à la pression européenne (et américaine), Erdogan a atteint son 
	objectif : la neutralisation politique de l’armée turque. Il est déjà passé, 
	depuis deux ans, à la phase suivante de son plan : le garrotage progressif 
	des libertés publiques afin de réislamiser la Turquie. Il bride de plus en 
	plus la presse, emprisonne les journalistes de l’opposition kémaliste et, à 
	l’occasion, s’en prend aux intérêts des patrons liés à cette mouvance. Il 
	encourage la prohibition de l’alcool, le port du voile… Il accentue le 
	caractère islamiste de la politique étrangère turque dans les zones 
	d’influences correspondant à l’empire ottoman de jadis, notamment les 
	Balkans et l’Asie centrale. Erdogan est admiré et respecté dans le monde arabe. Il y est déjà 
	qualifié de « leader du Moyen-Orient ». Il rêve de restaurer le califat 
	ottoman (fonction à la fois politique et religieuse) aboli par Atatürk en 
	1924. La crise économique mondiale, qui s’achemine vers sa phase aiguë avec 
	la prochaine faillite en série des États, engendrera un contexte favorable à 
	ce dessein : naufrage de la mondialisation, échauffement des esprits, choc 
	des civilisations…  |