Comment devenir avocat sans l’être !
L'actualité très brûlante nous conduit à évoquer de nouveau un des aspects
de l'exception française, à savoir « l'Enrichissement Personnel Indu » (EPI)
du groupe des prédateurs publics. Nous avons antérieurement montré en détail
que cet EPI représentait au moins 5 % du PIB. Combien sont ces prédateurs
publics agissant comme une véritable caste ?
Les contours sont diffus, et où s'arrête la limite entre les « petits »
gratteurs et les grosses pointures ? Le chiffre de 10 000 ne serait pas loin
de la vérité pour le sommet de l'échelle. Le prélèvement abusif est
parfaitement légal et ne peut donc être critiqué devant la justice, puisque
ce sont les mêmes ou leurs amis qui fabriquent la loi.
Quand nous affirmons que cet EPI représente 5 % du PIB, il est des
incrédules : ces derniers se bornent à enregistrer les salaires déjà très
importants et se combinant souvent avec des cumuls. Ils oublient les
avantages indirects multiples et bien plus gratifiants que les salaires.
Nous avons dressé une liste certainement incomplète de ces avantages.
L'inventivité et la voracité des membres de la caste sont sans limite. Les
faits récents ci-après pourront convaincre ces incrédules.
Un décret stupéfiant
Un décret du 3 avril 2012 publié au J.O. du 4 avril est ahurissant, car il
bouscule totalement au profit de la caste les règles d'accès à la profession
d'avocat.
C'est d'autant plus ahurissant que les divers candidats jurent que leur
seule préoccupation est celle des intérêts du peuple français. Il est un
autre sujet d'étonnement : la justice est très malade et personne, parmi ces
candidats, ne propose de remède efficace à la vraie déroute de cette tâche
régalienne par excellence. Or, le décret sur la profession d'avocat est
passé en catimini avec l'accord unanime des représentants patentés des deux
principaux partis au pouvoir, ce qui est rarissime.
L'avocat est un auxiliaire de justice. Dans le cas général, pour être avocat
et en revêtir la robe, chacun d'entre nous doit suivre une formation et
passer l'examen du CAPA, ou certificat d'aptitude à la profession d'avocat.
Ensuite, il doit s'inscrire à un barreau, étant accepté par ses futurs
pairs. Ce résumé du parcours le plus général est le fruit de plusieurs
évolutions. L'ensemble du système est bien balisé et connu des spécialistes.
Le somptueux cadeau que les prédateurs se sont fait à eux-mêmes, par le
truchement de ce décret, est le droit pour certains d'entre eux de devenir
avocat sans passer par la voie normale.
Les ministres, les élus et les assistants parlementaires seront dispensés du
passage par le CAPA s'ils justifient de huit ans au moins d'exercice de
responsabilités politiques les faisant directement participer à
l'élaboration de la loi. Personne ne peut savoir le chiffre exact des
personnes ainsi favorisées et dont le nombre doit être considérable bien
qu'incertain. Comme toujours l'imprécision des textes annonce de belles
bagarres juridiques. Comment justifier les huit ans ? Gageons que des
circulaires et des interprétations jurisprudentielles devront intervenir
avec les incertitudes habituelles.
Les conséquences
Les conséquences de ce vrai coup de force sont graves.
D'abord le beau service rendu à la société par les avocats perd de son
lustre. Ensuite, les personnages qui voudront et pourront profiter de
l'aubaine, éventuellement en grand nombre, n'exerceront pas vraiment le
métier, étant par définition incapables de le faire. Ces personnages se
contenteront sans doute d'utiliser leur carnet d'adresses pour faire du
lobbying. Rappelons que le lobbying et sa prospérité incroyable est l'un des
effets négatifs de l'intervention abusive des États dans la vie des
citoyens. Ces États disposant de pouvoirs intolérables, il n'est pas
étonnant que des groupes organisés tentent de tirer la couverture à eux,
parfois avec des moyens douteux.
Le prestige de la classe politique, déjà au plus bas, ne va rien y gagner.
Selon le droit des gens, il s'agit d'un véritable vol puisque, si ce décret
est maintenu et appliqué, l'on privera de leurs droits légitimes les
personnes qui suivent la voie normale et l'on dépréciera le résultat de
leurs efforts. Ce droit hors du commun peut tout doucement devenir un droit
acquis pour les membres de la caste. C'est une forme nouvelle d'«
Enrichissement Personnel Indu » (EPI). Il aura une « valeur marchande »
considérable bien qu'impossible à évaluer.
La hâte avec laquelle ce décret est sorti en période pré-électorale, dans un
accord pour une fois unanime, montre bien qu'il s'agissait de sauver les
meubles pour les futurs perdants.
La colère des avocats
La colère des avocats est grande et légitime. Des recours ont été déposés au
Conseil d'État, dont celui de l'ordre des avocats de Paris. Ce dernier à
précisé que si le recours était rejeté, il refuserait l'inscription au
barreau de Paris des bénéficiaires éventuels.
Cette colère aura-t-elle de l'effet ? Méfions nous. Pour résister
efficacement, les avocats de tous les barreaux de France auront besoin
d'offrir un front sans fissures.
Quel que soit les résultats des élections, l'appareil d'État en France
continuera à disposer de moyens gigantesques. Aucun des candidats supposés
gagnants ne souhaite faire reculer l'État, ce qui serait pourtant la seule
solution évidente et possible aux calamités qui frappent le peuple français.
Dans la situation présente, la caste au pouvoir manipule environ 56% des
ressources nationales. Toucher à ses intérêts vitaux s'apparente à un crime
de lèse-majesté et tous les moyens, au besoin les plus vils, seront employés
pour asseoir le nouveau « droit acquis ».
Le décret pris « à la va vite » est l'illustration du « pas vu-pas pris »,
un des principes qu'utilise la caste pour agir sans contrôle dans le sens de
ses intérêts. En fait, d'ailleurs, ce fameux principe a mal fonctionné. Le
Figaro a publié un long texte pour décrire l'imposture. Pour défendre ses
amis, un des membres de la caste a dit que ce décret n'était qu'une
maladresse, simple avatar parmi d'autres de la vie gouvernementale :
circulez, il n'y a rien à voir !
Bonne chance aux vrais avocats s'ils veulent sincèrement défendre et
valoriser leur belle mission.
Michel de Poncins
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