Voyage insolite dans les niches fiscales !
Dans notre dernier article, nous avons donné l'information suivante : « Le
total des niches fiscales atteint 100 milliards, dont 30 milliards seraient
injustifiées. Chacune de ces niches correspond à une volonté momentanée du
pouvoir de favoriser telle activité supposée utile à une époque donnée ».
Certains lecteurs ont marqué de l'étonnement. D'où l'idée d'un voyage dans
ces niches qui montre un aspect parmi d'autres de l'idéologie du « Tout Etat
».
L'inventaire exhaustif est difficile à faire. Un rapport de l'Inspection des
finances en décompte 538 et chiffre leur « coût » à 104 milliards d'euros.
Elles touchent non seulement l'impôt sur le revenu mais aussi d'autres
impôts, comme l'impôt sur les sociétés et la TVA.
Efficaces ou non ?
Certaines sont, abusivement, présentées comme efficaces. Les intérêts du
livret A, du livret de développement durable (ex-Codevi) et du livret
d'épargne populaire sont exonérés d'impôt. Il paraît que, par des circuits
complexes, ces dispositifs servent à financer la politique du logement ou
encore des projets de développement industriel ou durable (sic). Le Crédit
d'impôt recherche pour les entreprises, créé en 2003 et déjà réformé en
2008, a « coûté » 2 milliards d'euros en 2011. Ces fonctionnaires sont fort
malins, car comment définir avec exactitude les dépenses de
recherche-développement d'une entreprise ?
D'autres sont jugées inefficaces. L'impôt sur le revenu des pensions de
retraite bénéficie d'un abattement de 10 %, qui représente avec
l'exonération des prélèvements sociaux, 4,3 milliards d'euros. Cet avantage
correspond, paraît-il, à une période où le revenu des retraités était
inférieur à celui des actifs, et il lui est reproché, de plus, de ne
favoriser que les retraités imposables.
Ici se mélangent l'idéologie égalitaire et le constructivisme étatique :
Bercy, au détriment de toute logique, se donne le droit de s'occuper des
revenus des uns et des autres pour prétendument corriger ce qui ne convient
pas aux maîtres du moment.
Et voici les niches vides ou presque : ainsi en est-il du statut de « maître
restaurateur ». Si un restaurant veut se moderniser, il peut obtenir ce
statut entre le 15 novembre 2006 et le 31 décembre 2012. Les textes ont mis
tellement de temps à paraître que personne n'a quitté ses fourneaux pour
s'en occuper.
Une niche obscure est la TVA à 5,5% adoptée pour encourager les communes à
sous-traiter au privé les opérations de déneigement : elle devait coûter 15
millions, elle est restée inutilisée à cause d'une erreur de calcul de la
communauté urbaine de Lyon !
Les effets de ce désordre sont nombreux.
Chacune des niches correspond à une politique déterminée au hasard du bon
plaisir du pouvoir en place. Comme cela bouge tout le temps, l'incertitude
est totale. Les conditions d'exercice sont souvent complexes et changeantes.
Dans toute action étatique, beaucoup de personnes sont flouées sans même le
savoir. Il en est ainsi des épargnants tentés par les exonérations fiscales
de certains livrets. Ils perdent leur liberté de choix qui est, pourtant,
l'ingrédient essentiel d'une bonne gestion. Enfin les coûts de gestion au
niveau étatique sont immenses et impossibles à connaître. Ces niches
viennent soi-disant compenser pour certains la lourdeur de certains impôts.
Le vrai chemin est de supprimer tel ou tel impôt et non de taxer pour
alléger ensuite.
Le jeu des lobbies
En arrière plan apparaît l’efficacité de certains lobbies qui parfois ne se
cachent même pas. Voici, pour terminer, la folle histoire du taux de 5,5 %
en faveur des restaurateurs, lequel est d'ailleurs menacé aujourd'hui d'un
coup de rabot dans une grande complexité.
Le lundi 19 octobre 2009, les restaurateurs ont obtenu enfin que la TVA
passe de 19,6 % à 5,5 %. Au départ, pour obtenir la présidence de la
République, le candidat l'avait promis car les restaurateurs sont environ
200 000 et leurs clients se trouvent pratiquement dans toute la population.
L'achat de voix se passait en fait avec de la fausse monnaie, car le
gouvernement de la France est soumis à la bureaucratie européenne, elle-même
peu encline au projet.
Un lobby financé par les restaurateurs, en particulier les plus importants,
s'est constitué sous le nom de « club TVA ». Les moyens ont été
nécessairement élevés. Son président, Jacques Borel, savait de quoi il
s'agissait, puisqu'il créa la restauration collective en France. Il fut
brillamment récompensé du succès, avouant publiquement que ce succès lui
rapportait contractuellement un million d'euros avant impôts. Il s’est
justifié en précisant que, pour réussir, il avait dû travailler dur en
faisant 71 heures par semaine pendant plusieurs années !
Le gouvernement se vanta d'avoir obtenu, en contrepartie, la promesse d'un
grand nombre d'emplois : 40 000 créations d'emplois, soit 20 000 embauches
pérennes, et 20 000 jeunes en contrat d'apprentissage. Cela montre une
nouvelle fois la méconnaissance des réalités économiques par le pouvoir.
Comment, à partir d'une tour de contrôle centrale, peut-on raisonner sur 200
000 entreprises employant 900 000 personnes, chaque entreprise ayant son
propre parcours et sa propre organisation ?
Le même gouvernement s'est félicité d'exiger des restaurateurs des baisses
de prix. Les syndicats des restaurateurs avaient promis que les baisses de
prix concerneraient sept produits sur dix types de plats (entrée, plat,
dessert) et représenteraient aussi 30 % du chiffre d'affaires : admirons la
précision de la visée. Que veut dire une baisse de prix dans une production
aussi variée et qui se renouvelle quotidiennement ? Faut-il compter le
nombre de petits pois dans l'assiette et la dimension de la viande ? Quelle
différence y a-t-il entre le prix de la salade d'été et celle d'hiver ? Un
restaurateur est venu à la télévision pour déclarer que la nouvelle mesure
lui évitait de déposer son bilan. Depuis plusieurs années, il vit sur le
salaire qu'il donne à sa femme pour l'aider dans son travail ; il va pouvoir
enfin se rémunérer lui-même : va-t-il dans les statistiques compter comme un
emploi créé ?
Pour terminer ce voyage insolite remarquons qu'une belle nappe blanche est
plus agréable qu'une nappe en papier : Bercy devrait en tenir compte. . . .
Michel de Poncins
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